Réduire la part modale de la voiture en ville

Le 19 octobre 2020, Anne Hidalgo annonçait son intention de supprimer la moitié des places de stationnement à Paris. Cette annonce a choqué énormément de personnes, qui ont repris le cliché de l’écologie punitive et restrictive. C’est pourtant cohérent avec le développement des pistes cyclables et la réduction progressive de la place d’un moyen de transport qui, dans les faits, ne représente plus qu’une minorité des usages à Paris. Réduire la place de la voiture en ville n’est pas une lubie, c’est une nécessité urbanistique et environnementale.

D’ailleurs, une automobile reste stationnée durant 96% de sa durée de vie, mais les automobilistes perdraient 1 jour par an à chercher une place pour se garer. A Paris, seuls 34% des ménages parisiens possèdent une automobile. Pourtant, la majorité des trajets se font intramuros et pourraient déjà être remplacés par les infrastructures collectives. D’après la mairie de Paris, seuls 22% des trajets n’ont pas d’alternatives, notamment ceux pour les travailleurs nocturnes.

Ainsi cette cristallisation du débat autour de la mise à disposition d’une place de stationnement interroge. C’est le signe que nous restons attachés à une mobilité littéralement individuelle, puisque la plupart des véhicules ne transportent que leur conducteur. Au regard de la transition écologique, cette place devrait en effet décroître. L’automobile comme mode de déplacement principal n’est pas compatible avec la diminution de l’empreinte carbone. Alors que les Français parcourent en moyenne 13 000 kilomètres en voiture par an, l’automobile devient ainsi responsable d’environ 2 tonnes de co2 par individu et par an. Cela représente 17% de l’empreinte carbone individuelle. A elle seule, l’automobile consomme l’intégralité du budget carbone d’un français en 2050. Maintenir le statu quo n’est ni durable, ni souhaitable. L’impact écologique de l’automobile doit diminuer.

Trop polluantes, trop bruyantes, trop dangereuses, trop grandes, trop rapides, trop encombrantes, les superlatifs concernant les inconvénients de l’automobile peuvent s’accumuler sans soucis. La ville moderne a pourtant été construite à partir de la mobilité automobile, de sorte qu’il paraît désormais difficile de s’en passer. Réduire la place de la voiture en ville apparaît ainsi comme un véritable défi pour les villes en transition écologique.

Cet article est vraiment très long. Avec 14 000 mots, il demande 45 minutes pour un bon lecteur. Prenez le par petits bouts si possible. Vous trouverez un résumé par ici

Définir la part modale des transport

La part modale désigne la répartition des usages des différents modes de transport. Elle peut être calculée finement, au niveau d’une agglomération, mais aussi nationalement et au-delà en incluant les avions long courrier et navires de transport de passagers.

De même la répartition modale peut varier selon la catégorie étudiée. D’abord ce peut être la distance parcourue par l’échantillon analysé. Ensuite il peut s’agir du temps passé en déplacement selon le moyen de transport utilisé. Enfin, l’analyse peut se pencher sur le nombre de trajets réalisés dans la journée ou en tout. Il est également à considérer que ces données concernent les déplacements légitimes. Faire du vélo comme loisir, du rallye automobile ou de la randonnée n’est pas pris en compte dans ces chiffres.

La cohérence de la voiture entre les 3 modes d’analyse

Le graphique ci-dessus illustre par exemple les résultats obtenus par Aurélien Bigo dans sa thèse de doctorat sur les mobilités. En compilant les données issus de plusieurs rapports, dont la dernière enquête nationale sur les transports et déplacements. Cela lui permet par exemple de constater que le trajet moyen pour se rendre au travail est de 11km, alors que les autres trajets locaux font plutôt 8km.

La marche par exemple représente une faible distance, mais un temps et un nombre de trajets importants. Aller acheter du pain à la boulangerie au bout de la rue compte comme un trajet, tout comme le fait d’aller au travail. Naturellement, les trajets comptent double, aller et retour. Cela est important notamment si le retour ne se fait pas le même jour que l’aller. Les déplacements aériens ne sont pas toujours comptabilisés dans les calculs modaux locaux car ils arrivent très rarement, mais représentent des distances considérables.

Connaitre ces chiffres est important pour déterminer la dépendance de son territoire envers un moyen de se déplacer. Cela permet aussi de déterminer le temps passé pour se rendre au travail ou faire ses courses, et donc le temps que les individus sont prêts ou non à y consacrer.

En France, en 2020 la voiture occupe représente 2/3 de la part modale dans les 3 types d’analyse. Le but de la politique de réduction de sa part modale est donc de jouer à la fois sur les distances, le temps de trajet et le nombre de trajet. D’ailleurs, la part modale de l’avion doit elle aussi diminuer, mais cela concerne moins directement les collectivités locales.

Les inconvénients de l’automobile

La reine des rues

L’histoire de l’accaparement de l’espace urbain par la voiture est désormais bien connue. Encore marginal au début du XXème siècle, son usage se répand rapidement aux USA. Dès les années 20, elle domine dans les rues. La figure du piéton est moquée, devenu le danger public qui traverse n’importe où. Dès lors, c’est toute la ville qui se met au diapason de la présence de l’automobile. Dans son manifeste pour un urbanisme circulaire, Sylvain Grisot explique l’invention de Jay Walker. Ce personnage de fiction sert de figure centrale au discours anti-piéton et pro-voiture qui s’écrit à l’époque. L’idée était de faire passer le piéton pour un intrus, un perturbateur du progrès et de l’économie. Et ce alors même que jusque là, la rue appartenait aux piétons…

La démocratisation de l’automobile en Europe dans les années 60 se déroule différemment, puisque le code de la route français a été conçu pour protéger les autres utilisateurs. Le processus final est néanmoins le même. Les chaussées sont aménagées pour la circulation automobile. A l’inverse, les trottoir occupent la part restante, quitte à parfois ne pas pouvoir respecter la loi sur leur largeur minimale.

Le stationnement devant chez soi devient la norme, et l’occupation du domaine public consécutive est considérée comme légitime. La hausse des revenus permet à chacun de s’équiper et le taux de motorisation explose en 20 ans. Cette normalité devient de plus en plus source de conflits de voisinages. Pour pouvoir stationner, les conducteurs sont prêts à s’affranchir de la loi, à mettre en danger autrui, et à s’offusquer de se voir rappeler la norme.

Et pour se déplacer, l’automobile aussi devient la norme incontestée. Le vélo et le train s’effondrement dans la répartition modale. Peu importe la distance, y compris pour acheter du pain à la boulangerie voisine ou aller déposer ses enfants à l’école. Non seulement, la part modale de l’automobile est majoritaire, mais elle concerne aussi les déplacements de moins de 3 kilomètres.

Or la prépondérance de la voiture en ville multiplie les risques pour les autres usagers, conduisant à un excès de prudence. La carte ci-dessus provient d’une étude menée en Angleterre, à Sheffield, sur l’évolution de la distance maximale de marche seule autorisée aux enfants de la famille Thomas sur 4 générations. En 1919, c’était 10 kilomètres, aujourd’hui c’est 500m. Le CGDD estime ainsi que 70% des déplacements des enfants sont désormais motorisés.

La voiture reine transforme la vision du monde et impose de nouvelles limites. Face à des individus se déplaçant vite dans des engins mortels, ce sont les libertés des plus faibles qui reculent.

L’occupation de l’espace

La voiture prend de plus en plus de place. Depuis les années 60, sa superficie a ainsi augmenté de 40%, avec une largeur en hausse de 30% notamment. Une hausse qui a un impact direct sur la largeur des chaussées et des places de stationnement, donc sur la place accordée aux autres usagers.  A Paris, c’est 50% de l’espace public qui est ainsi dévolu à l’automobile. Entre les voies de circulation et le stationnement, ça va vite. Pourtant, elle n’y représente que 13% des trajets… A l’inverse les pistes cyclables occupent 4% de l’espace pour 3% des trajets (chiffres de 2018).

Pourtant, cette hégémonie motorisée n’est pas forcément si légitime que cela. Il y a d’abord la disproportion évidente entre la part modale et l’espace occupé. Mais cela n’est valable que pour les grandes villes. Dans les plus petites, où il n’y a pas de transports en commun et où des départementales coupent la commune en deux, il est difficile de proposer des alternatives. D’ailleurs, à regarder de plus près les statistiques de l’insee, ce lien de causalité entre taille de la ville et taux de possession d’un véhicule motorisé saute aux yeux. Plus la ville est petite, plus vous serez susceptible de posséder un véhicule. Il y a une certaine logique là-dedans. Les petites villes sont dans des espaces ruraux, pour lesquels les transports collectifs sont moins rentables. De plus, les zones d’activités et commerciales sont plus éloignées, de sorte que la voiture devient presque indispensable.

Cette prépondérance de l’automobile s’illustre avec pertinence dans la place que ses infrastructures occupent. Ce site propose ainsi de questionner la place accordée aux différents moyens de locomotion en les cartographiant. A partir d’une image aérienne, un algorithme identifie les voies pour automobiles, cyclistes, piétons ou transports en commun. De la sorte, l’hégémonie de l’automobile ressort assez clairement dans la plupart des cas de manière écrasante.

Le problème vient plutôt de l’usage de l’argent public au profit quasi exclusif d’un seul mode de transport. Le stationnement résidentiel ou à bas coût est ainsi un avantage énorme concédé aux automobilistes. Ainsi, 10m² en pleine ville, rapportés aux loyers moyens pour un petit studio, aboutissent à une coquette somme. Et même par rapport à un garage, les montants en jeu restent conséquents. A l’inverse, les stationnements pour les vélos restent souvent assez maigres, voire impensés.

C’est d’autant plus regrettable que les espaces de stationnement pourraient servir à bien d’autre choses. Ce pourraient être des espaces de maraichage urbain ou même juste des espaces verts supplémentaires. Ils pourraient améliorer la gestion des déchets, soit en permettant d’installer plus de points d’apports, soit en devenant des sites de compostage partagé. Et même, sans aller jusqu’à des terrasses de bar, ils pourraient servir à des lieux de convivialité collective, à des frigos solidaires, à des trucothèques.

Les inconvénients sanitaires de l’automobile

Rouler en voiture n’est pas quelque chose de neutre sur le plan sanitaire. Sans même évoquer la mortalité de ce mode de locomotion, bien d’autres aspects peuvent être évoqués.

Il existe un consensus scientifique sur le lien entre l’impact de l’urbanisme sur le choix d’un mode de transport. Et cela peut même plus loin, puisque des études soulignent une corrélation entre automobile et obésité. En bâtissant la ville pour favoriser l’automobile, nous aurions favorisé le surpoids (causé par de nombreux autres facteurs évidemment), qui aboutit à des maladies cardiovasculaires et facilite de nombreuses autres maladies. Les mobilités actives permettraient ainsi d’améliorer l’état de santé.

Cela concerne aussi les problèmes respiratoires. Selon les études, la pollution de l’air provoquerait de 50 000 à 70 000 décès chaque année en France. Cette pollution a elle aussi de nombreux facteurs comme la production industrielle, le chauffage et les rejets de produits agricoles. Néanmoins, la circulation routière reste la cause principale de la pollution de l’air en ville. En effet, elle se concentre autour des axes routiers, là où la concentration de population est la plus forte. Un lien que l’ONG Greenpeace avait d’ailleurs mis en évidence en 2019 lors d’une campagne de cartographie atmosphérique, soulignant que les abords de nombreuses écoles des métropoles françaises dépassaient les seuils d’alerte à la pollution de l’air du fait du trafic routier. La France a d’ailleurs été condamnée pour son inaction en la matière par la Commission Européenne, sans que rien ne change.

D’ailleurs, contrairement aux idées reçues, les automobilistes respirent plus de particules polluantes que les autres usagers. En effet, dans leur véhicule, ils respirent eux aussi l’air ambiant, mais il s’accumule dans l’habitacle, et les microparticules également. A l’inverse, piétons et cyclistes changent d’air constamment, échappant donc au plus gros. Et même si l’Anses considère la pollution routière thermique comme un problème majeur, l’électrification ne résoudra pas tout. Le freinage est une cause de pollution (usure des pneus) secondaire. Il faut donc favoriser l’écoconduite pour avoir un impact significatif.

A tout cela nous pouvons rajouter les accidents de la route. Avec un peu plus de 3000 morts par an, la létalité automobile reste stable en France. Mais outre les morts, les accidents sont aussi responsables de nombreuses infirmités temporaires ou permanentes. Ce sont des dommages corporels qui occasionnent eux aussi de grosses dépenses pour le système de santé et pourraient être évités avec une conduite plus prudente. D’ailleurs, le type de véhicule influe sur le taux de mortalité. Une étude britannique souligne qu’à 60km/h, 100% des SUV tuent les piétons renversés. Ce chiffre tombe à 53% pour tous les autres véhicules. Les collectivités locales n’ont pas le pouvoir d’agir là dessus hélas.

Réduire la place de la voiture en ville serait ainsi une question de santé publique. Non seulement il y aurait moins d’accidents de la route, mais la santé s’améliorerait par les effets conjoints de la baisse de la pollution et de l’exercice physique. Ce sont en tout cas les conclusions du rapport dédié de l’observatoire régionale de la santé d’Ile de France.

L’impact financier de l’automobile

Il est compliqué de calculer les charges supportées par la collectivités pour tel ou tel moyen de locomotion. En tout cas, les informations manquent au-delà du seul investissement des collectivités pour les infrastructures. Car le coût réel est bien plus conséquent. Il s’agit en effet de prendre en compte aussi le coût du système de santé, celui des gaz à effets de serre, de la destruction de la nature, du temps perdu dans les embouteillages et donc du manque à gagner pour l’économie (voire des heures supplémentaires occasionnées), etc. Il faut par ailleurs également considérer celui de l’usure des chaussées par chaque mode de locomotion. Une étude européenne avance ainsi le chiffre de 50 milliards d’euros en coût net chaque année en France.

document issu du ministère de l’économie français

Par exemple, dans le graphique ci-dessus, les experts du ministère français de l’économie estiment que les automobilistes ne couvrent quasiment jamais les coûts externes qu’ils causent. Hormis le trafic interurbain en voiture essence, le recours à l’automobile est donc toujours une charge collective. C’est à dire que hormis la situation où l’automobile est la plus utile – car la mobilité rurale est compliquée par les distances et la faible concentration de population – elle a un impact financier trop fort pour être réellement pertinent. Mieux encore, dans les métropoles et grandes villes, cette charge est clairement excessive avec moins de 20% de couverture. Par exemple, dans la première colonne, le coût par véhicule et kilomètre parcouru en zone urbaine très dense est de 46.4€, alors que les prélèvements (taxes sur l’essence, impôts locaux, etc) ne sont que de 6.1€, soit un taux de couverture de 13%.

Dans un autre rapport, l’administration fédérale suisse évalue même le coût relatif de chaque mode de locomotion tous frais compris. Là encore l’automobile l’emporte largement avec 71% des frais supportés par la collectivité. Il montre d’ailleurs clairement que les mobilités douce sont le seul moyen de transport qui rapporte plus qu’il ne coûte. Il convient de différencier interne et externe dans leur méthodologie. Par exemple, le prix d’un billet de transport en commun est un bénéfice interne qui vient couvrir les coûts internes de fonctionnement. Ce qui explique le poids très faible des transports en commun dans le graphique.

extrait du rapport de l’aurm

Une proportion que vient corroborer par une autre étude de l’agence d’urbanisme de l’agglomération mulhousienne. Sa méthodologie est différente, puisqu’elle prend en compte le budget individuel d’utilisation de chaque moyen de transport. C’est ce qui explique l’ampleur du financement de l’automobile, puisque ce chiffre inclut l’entretien, l’achat et l’alimentation des voitures. Ce rapport est aussi l’occasion de rappeler que les mobilités douces prennent moins d’espace et coûtent beaucoup moins cher que les autres modes.

Car cet impact financier vient tout d’abord des problèmes sanitaires que nous venons d’évoquer. D’ailleurs, grâce à leur politique orientée vélo, les Pays Bas estiment économiser 30 milliards d’euros en dépenses de santé. Sur la seule question des victimes des accidents routiers, le coût annuel pour la France est ainsi estimé à 37 milliards d’euros. Ce chiffre inclut les frais d’hospitalisation et de traitement des blessés, mais aussi les indemnités à verser, les coûts collectifs de restauration des infrastructures, etc. Pour les décès, l’estimation considère aussi la perte de production liée à ce décès prématuré. Ce qui conduit au calcul un peu morbide d’une vie valant 3 millions d’euros. D’ailleurs, à elle seule, la politique de sécurité routière coûte 3.4 milliards chaque année.

Le second impact financier vient de la construction et de l’entretien des chaussées. En la matière, ce sont les collectivités locales qui dépensent le plus. Communes, intercommunalités et départements gèrent ainsi 98% de la chaussée française pour 66% des usages. Pour la construction de nouvelles routes et l’entretien des infrastructures existantes, ces collectivités consacrent environ 9% de leur budget soit environ 13 Mds € par an. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ces dépenses augmentent systématiquement avant les échéances électorales…

Une menace pour la biodiversité

L’étalement urbain induit par l’usage démocratisé de l’automobile a eu pour effet pervers de fragmenter les espaces naturels. Ils se retrouvent éclatés en petites parcelles séparées par des routes. Or, sur ces routes, les automobilistes ont tendance à rouler plus vite et à négliger les règles de sécurité. Ce comportement a conduit a une explosion des collisions avec des animaux. 65 000 incidents de ce type ont ainsi été recensés en France en 2009. Cela donne d’ailleurs lieu à des politiques publiques d’aide à la migration de certaines espèces animales, notamment les amphibiens, lorsqu’ils traversent les routes à certaines périodes pour se reproduire. Cela occasionne aussi des surcoûts dans la construction pour les aménagements facilitant ce passage.

Les abords des routes sont de manière générales des espaces d’exclusion pour la faune et la flore. Pour peu que plusieurs routes bloquent la route ou forment un ilot, des populations animales peuvent ainsi se trouver bloquées dans un espace insularisé. De plus, par la pollution sonore, olfactive et lumineuses qu’elles génèrent, les automobiles perturbent les modes de vie des animaux et plantes. Ainsi, le long des axes routiers, il semblerait y avoir moins d’oiseaux chanteurs que dans des espaces préservés.

D’autant que la tendance à couper les arbres en bord de route et à tondre à ras les zones herbeuses réduit encore les possibilités. Les bords de route sont ainsi une menace pour les animaux, plus exposés aux prédateurs fautes d’abris, et exposés à la pollution des hydrocarbures.

Car l’impact des routes se traduit aussi sur l’influence qu’elles ont sur les paysages. L’artificialisation des espaces ne concerne pas que la seule imperméabilisation des sols. En effet, même une zone en apparence naturelle, sans tonte rase, avec une végétation abondante, est artificialisée pour peu qu’elle soit insérée dans un tissu routier.

Les chaussées perturbent l’écoulement des eaux par exemple, ce qui accélère le ruissellement et la diffusion de pollutions chimiques issus des véhicules dans les milieux naturels, cours d’eau et nappes phréatiques compris. Car les chaussées elles mêmes sont constituées de matériaux toxiques : mâchefers riches en métaux lourds, crassiers industriels, cendres d’incinérateur, etc. La chaux et le ciment qui servent à stabiliser les bas côté et les berges présentent un ph très acide au pouvoir neurotoxique conséquent sur les espèces à sang froid;

Et encore, nous ne parlerons même pas des impacts indirects de la fabrication des automobiles et chaussées. En effet, l’extraction des métaux, hydrocarbures et matériaux divers a lui aussi un impact considérable, quoique invisibilisé, sur la biodiversité.

Obstacle à la transition écologique

Le principal inconvénient de l’automobile est peut-être qu’il est difficile d’imaginer une transition écologique locale en la maintenant dans l’espace urbain. De par son existence même, par ses contraintes, elle est en contradiction avec les besoins de la transition écologique. Réduire la voiture en ville permettrait de libérer l’imaginaire de la transition.

Ainsi, l’occupation de l’espace que nous avons examinée précédemment, met en concurrence automobile et espaces naturels. Plus de places de parking, une deuxième voie, c’est moins de place pour la nature. A la place, nous pourrions installer des haies pour préserver les continuités écologiques, des arbres pour rafraichir les rues, des potagers pour nourrir la ville, des pelouses enherbées pour préserver les insectes, etc. Les infrastructures mêmes sont un obstacle à cette transition future. Par exemple, à Strasbourg, la nouvelle municipalité écologiste ne peut végétaliser certaines places parce qu’elles abritent un parking souterrain. La fragilité – relative – de ces constructions exige que la couche de terre soit mince, de sorte qu’il est impossible d’y planter des arbres. Même en supprimant l’automobile, à moins de travaux coûteux, il est difficile d’envisager un changement de la situation.

Sur le même sujet :  Préserver les espaces naturels

De même, la pratique du vélo a besoin d’infrastructures sécurisées pour se développer. Or il n’y a pas la place dans la plupart des villes pour faire coexister trottoir, places de stationnement chaussée à double sens et piste cyclable à double sens. Il faut faire des choix, et ils se font forcément au détriment d’un type d’usager. En ville, il faut réduire les infrastructures de la voiture pour développer ses alternatives.

D’autant que, in fine, la part des déplacements thermiques dans l’empreinte carbone impose un changement. Représentant 20 % du budget carbone actuel d’un français, ils ne sont pas compatibles avec la neutralité carbone. Ni l’amélioration des moteurs et des véhicules ne seront suffisants pour changer les faits. Leur part modale doit diminuer. Il faut réduire la voiture en ville pour imaginer la transition écologique des communes.

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Réguler les usages de la voiture en ville

Le soulèvement des gilets jaunes fin 2018, issu d’une grogne contre la hausse du prix du carburant, rappelle avec acuité le rôle social de l’automobile. Elle est au coeur de la vie quotidienne de dizaines de millions de français. Pour aller au travail, accéder aux services et loisirs, partir en vacance, aller voir des amis ou de la famille, mais aussi pour le plaisir de la conduite, comme signe ostentatoire d’appartenance réelle ou fantasmée à une classe sociale, comme domicile parfois, l’automobile est partout dans les usages.

Notre société actuelle ne peut exister sans la liberté de déplacement offerte par la voiture. Grâce à elle, nous sommes libres de vivre loin de notre entreprise, de chercher l’amour ou l’amitié hors du voisinage, de partir où nous voulons. Grâce à elle, la campagne n’est plus une fatalité, et la grande ville n’est plus réservée aux élites. Faute d’avoir la vie pleinement heureuse d’une société plus égalitaire et harmonieuse, nous pouvons au moins compenser par la griserie de la vitesse et la sensation de l’abondance au bout de la route.

Pourtant, pour les décideurs locaux, il faut impérativement défavoriser l’usage des modes de locomotion les plus nuisibles à l’environnement. De la sorte, les modes vertueux bénéficieront d’un report modal qui permettra de s’engager pleinement dans la réduction de l’empreinte carbone.

Réduire la vitesse de la voiture en ville

Une telle mesure est frustrante. Les automobiles sont promues par des publicités vantant leur vitesse de pointe, leur accélération incroyable, leur réactivité. C’est à dire qu’elles sont inscrites dans un cadre compétitif, et que leur performance devient un argument décisif pour la vente. Il devient donc inacceptable de dépenser autant pour se retrouver bloqué dans des bouchons ou à rouler à vitesse modérée. Surtout quand en prime une bicyclette, actionnée à la seule force des mollets, vous rattrape systématiquement aux feux…

Cette question de la vitesse est primordiale. Si un véhicule peut se déplacer plus vite, cela crée un effet rebond. En effet, les individus ne sont pas prêts à passer des heures dans les transports pour se déplacer. Chaque trajet est donc décidé notamment en fonction d’un calcul d’intérêt en fonction du temps de transport que cela suppose. Or si un véhicule va plus vite, cela augmente la distance qu’il parcourt dans un même temps. L’augmentation de la vitesse contribue donc à l’étalement urbain, à la recherche d’emploi plus lointaine, etc. Au final, c’est la dépendance envers la voiture qui se renforce.

La diminution de la vitesse maximale de circulation des véhicules est pourtant une mesure plus efficace qu’il n’y parait. D’une part, ainsi qu’on le sait depuis plusieurs dizaines d’années, la vitesse moyenne des automobiles en viles n’est que de 30 km/h. Cela descend même à 15 km/h pour le centre ville de Paris. Cette baisse impacterait donc essentiellement les zones résidentielles à la circulation plus fluide.

La première conséquence serait d’apaiser la circulation dans les rues de nos communes. Ce qui en améliorerait considérablement la sécurité. En effet, plus vous roulez vite, plus vous êtes dangereux pour les autres usagers. Non seulement parce que le temps de réaction diminue, tandis que celui de freinage augmente, mais aussi parce que le choc devient plus violent. A 30 km/h, hormis personnes fragiles (enfants en bas âge, personnes âgées), ce risque est quasi nul. Avec 472 piétons tués en 2019, cela aurait des répercussions immédiates.

En plus, la généralisation d’une telle mesure pourrait aussi améliorer le confort des conducteurs. En effet, la multiplication des chicanes, cassis et autres rétrécissements de chaussée vise à réduire la vitesse sans le dire. Si celle-ci est réduite de manière générale, l’utilité de ces dispositifs devient moins évidente, et leur suppression envisageable.

En outre, la conduite à basse vitesse possède un intérêt évident pour diminuer sa consommation d’essence. Cela présente donc l’avantage de diminuer la facture pour les ménages. De manière générale, la pratique de l’écoconduite est un facteur important d’économie sur le coût d’un véhicule.

D’autres effets positifs apparaissent également. La baisse de la vitesse permet également une réduction du volume sonore de la circulation, ce qui améliore le confort des résidents (et des animaux). Enfin, et de manière contre intuitive, baisser la vitesse permet d‘améliorer la fluidité du trafic. De nombreuses expériences soulignent en effet que les axes routiers ayant connu une baisse de la vitesse maximale voient la durée des embouteillages diminuer concomitamment. Et c’est logique en réalité, puisque cette baisse de vitesse permet d’harmoniser la vitesse de circulation, de réduire l’effet accordéon et donc la probabilité de voir se former une congestion du trafic.

Paradoxalement, la réduction de la vitesse augmente les émissions de polluants, et même celle de co2, si cela entrave la fluidité, puisque la vitesse optimale se situerait à 70 km/h selon Atmo. C’est en effet au moment du freinage et du redémarrage que les voitures polluent le plus. Il ne s’agit donc pas uniquement de réduire la vitesse de circulation de la voiture en ville, mais aussi sa capacité à circuler. Pour plus d’informations, le site dédié ville30 centralise rapports techniques et retours d’expérience.

Mettre en place la zone 30

En matière de déploiement de la limitation de vitesse, il y a deux camps dans les communes. Il y a d’une part celles qui prônent une réduction totale de la vitesse sur tout le ban communal. D’autre part, vous trouvez celles qui réservent cette limitation aux zones résidentielles. Sur les axes structurants, départementales et boulevards, la vitesse standard est maintenue.

Il n’y a pas de solution meilleure qu’une autre, tout dépend du contexte. Si votre commune est intégrée dans une agglomération qui se désintéresse de la question, et considère votre territoire comme un moyen d’accéder aux autres zones, le trafic ne baissera pas quoique vous fassiez. Ou en tout cas, sa réduction sera rendue compliquée par les décisions des autres villes. Pire, vous risqueriez de créer plus de congestion et donc de pollution et d’accidents. Si vous êtes une commune hors agglomération, vous serez plus libre de vos mouvements. Par contre, la traversée de votre ban par une départementale vous assujettit à un flux conséquent sur lequel vous n’avez que peu de leviers.

Pour autant la solution de la généralisation offre de la facilité et des gains financiers. Il n’y a en effet plus besoin de multiplier les panneaux et marquage au sol délimitant les différentes zones. Vous le rappelez aux entrées de la ville, et c’est fini. De même, les automobilistes n’ont plus à se préoccuper de savoir dans quelle zone ils se trouvent, ni à tordre le cou pour repérer les panneaux.

Il existe par ailleurs une alternative. La zone 30 est en effet le modèle dominant pour la réduction de vitesse en agglomération, mais la commune est libre de fixer cette vitesse. Vous pourriez tout aussi bien décider une réduction totale à 40 km/h pour amorcer la réflexion sur le sujet sans fâcher totalement les automobilistes. Ce compromis dérangera peut être moins, d’autant qu’il reste compatible avec un rapport en 3e vitesse, ce qui réduit la consommation de carburant et donc la facture énergétique des ménages.

Réduire la circulation des voitures en ville

Il y a plusieurs raisons pour laquelle il pourrait être pertinent de réduire le trafic de voiture en ville. Il ne s’agit pas uniquement d’une mesure complémentaire de la zone 30, mais également d’une politique publique de réduction des coûts pour la collectivité. En effet, le trafic automobile endommage les chaussées, dont la durée de vie moyenne est de 30 ans. Passé ce délai, il faut a minima refaire complètement son revêtement extérieur, mais aussi parfois son soubassement. Cela dépend de nombreux facteurs comme le nombre de véhicules, leur vitesse mais surtout leur poids.

Compenser le poids des véhicules

En effet, que ce soit pour la circulation ou le stationnement (point suivant) le poids des véhicules est une question fondamentale. De ce fait, plus un véhicule est lourd, plus son impact sur la chaussée est fort. Un véhicule routier use la chaussée dans la proportion de la cinquième puissance de son poids par essieu (autrement dit, quand on double ce poids, à vitesse égale, ce véhicule use 32 fois plus la chaussée).  C’est ce qui a conduit le législateur a définir des valeurs maximales de charge à l’essieu pouvant être définie encore plus strictement dans les collectivités locales selon les besoins. De même, les véhicules les plus lourds sont soumis à une taxe à l’essieu censée compenser cette nuisance, bien que son montant soit notoirement trop faible pour y parvenir réellement. 

Le commissariat général au développement durable calculait ainsi en 2009 qu’un seul camion de 40T avait autant d’impact sur la chaussée que 100 000 véhicules d’une tonne. Avec cette méthode, il faut également 10 000 vélos pour avoir autant d’impact qu’un automobiliste … 

Or, le poids des véhicules a tendance à augmenter. Une étude de l’Ademe aurait ainsi trouvé une augmentation de quasiment 60% en 50 ans. En 1961, le poids moyen était à 750 kilos, tandis qu’il est actuellement vers les 1300 kilos. Outre des exigences de sécurité et des options techniques supplémentaires, cela résulte aussi de l’accroissement des dimensions des véhicules, comme l’atteste le tableau ci-dessous, qui reprend l’évolution de 8 modèles courant au fil des générations.

Malheureusement, rien n’est vraiment fait pour lutter contre ce phénomène. La convention citoyenne locale pour le climat proposait de taxer les véhicules au-dessus de 1.4 tonnes. Le gouvernement a préféré opter pour un seuil à 1.8 tonnes. Ainsi, au lieu de cibler 30% des véhicules, cette mesure ne concerne plus que 2%. Et les communes, si elles peuvent mettre en place des limitations en fonction du poids, n’ont aucun intérêt à engager une telle politique sans possibilité de ciblage plus fin.

Réduire le nombre de voies

Le moyen le plus simple de réduire le trafic de voiture en ville pourrait être simplement de supprimer des voies de circulation. En effet, selon le principe du trafic induit, la circulation s’adapte au nombre de voies disponibles. Aussi connu comme le paradoxe de Braess, ce principe démontre que plus vous construisez de voies, moins la circulation est fluide. Il faut en effet voir le trafic comme un gaz plutôt que comme un liquide. Dans un espace étroit il se contracte,, tandis que dans un espace large il se dilate. Quand le nombre de voies diminue, certains automobilistes préfèrent opter pour des alternatives ou covoiturer.

Supprimer des voies représente une opportunité pour récupérer de l’espace public ! Les pistes cyclables sont par exemples bien plus efficaces quand elles ne sont pas construites sur un trottoir. La cohabitation sur un même espace avec un autre usager à la vitesse différente se passe rarement bien.

A l’inverse, quand le nombre de voies augmente, l’opportunité de prendre son propre véhicule pour circuler redevient rentable, de sorte que plus de véhicules empruntent ce trajet. Il est probable qu’à partir d’un moment, la fluidité du trafic sera atteinte si le nombre de voies augmente suffisamment. Mais les villes ne sont pas extensibles, et l’étalement urbain doit être limité, de sorte que cela n’est guère une solution envisageable. Incidemment, cela signifie que les contournements routiers n’ont généralement pas de véritable impact sur la congestion. Simplement, ils la décalent hors des ces agglomérations.

Créer des limitations de circulation

Une autre possibilité serait de mettre en place des péages urbains. Quoique assez coûteuse à mettre en place, cette mesure présente un retour sur investissement assez intéressant en moins de dix ans, tout en permettant de réduire vraiment le trafic voiture en ville. Concrètement, il s’agit de mettre en place des péages soit entre certaines zones, soit à l’entrée d’une agglomération. Cela peut par exemple servir à décourager les trajets pendulaires en automobile ou le transit des poids lourds. Néanmoins, ce dispositif n’est pour l’instant pas légal en France. Il a failli être introduit avec la loi LOM de fin 2018, avant d’en être supprimé suite au mouvement des gilets jaunes.

De manière générale, il est difficile de décourager le recours à l’automobile pour se déplacer. Le code de la route prévoit que les communes puissent réglementer certaines dispositions sur la voirie, mais cela reste limité. La limitation via la hauteur, le poids ou la largeur des véhicules s’explique quasi systématiquement par la présence d’une infrastructure limitante ou fragile. Un tunnel de 3m de haut ne peut naturellement pas laisser passer un poids lourds dépassant cette hauteur, et cette interdiction permet de prévenir avant d’être mis devant le fait accompli.

Mais surtout, il n’est pas possible d’interdire une catégorie de véhicule. Par exemple, les SUV, quoique inutiles, dangereux et très polluants en ville (moins qu’un véhicule ancien car ils utilisent des équipements de pointe…) ne peuvent pas être interdits par rapport à leurs poids, sans que cette interdiction ne s’applique également à tous les autres véhicules dépassant ce poids.

Le dispositif des zones à faibles émission permet justement de limiter la circulation des véhicules selon leur niveau de pollution. Plutôt pensé dans une optique environnemental, il crée pourtant une intolérable distorsion antisociale. En effet, les véhicules les plus performants – ceux qui pourront aller partout – sont les plus chers et les plus récents. C’est à dire que la mobilité dans les ZFE sera réservée aux individus les plus aisés. De plus, cette restriction promeut l’obsolescence de véhicules pourtant encore fonctionnels et efficaces. Il s’agit donc paradoxalement d’une mesure environnementalement pas aussi pertinente qu’elle n’en a l’air. L’extraction des métaux et terres rares de ces véhicules modernes, l’énergie grise de leur production, leur transport depuis des pays lointains sont autant de facteurs d’aggravation de la crise climatique.

Une autre solution pourrait être de repenser l’organisation des quartiers pour former des méga blocs, un peu comme ce qu’expérimente Barcelone en ce moment. L’idée en est simple, chaque quartier est cloisonné, organisé comme un labyrinthe. Vous avez une entrée et une sortie, et entre les deux une seule voie unique. Cette voie unique est naturellement cassée par des virages et des intersections via des sens interdits. De la sorte, cela ne devient pas une occasion pour rouler plus vite. L’inconvénient en est que les trajets sont rallongés, surtout si vous vous trompez. La mode actuelle de l’urbanisme tactique permet d’expérimenter assez facilement ce genre de solutions. Il suffit d’essayer, d’adapter selon les retours, voire d’annuler. Quelques plots, des panneaux et un peu de peinture suffisent pour tenter empiriquement ce genre de choses.

Dans la continuité de ce modèle, une alternative est d’introduire des zones et voies réservées aux résidents. Grâce à des plots rétractables, à certaines heures de la journée, seuls les habitants de la rue, du bloc, ou de la commune, peuvent rouler dans les rues ainsi protégées. C’est un moyen pour lutter contre les effets pervers d’applications comme Waze ou Maps, qui proposent des itinéraires alternatifs passant par des quartiers résidentiels pour éviter les bouchons. De même, pourvu que ces limitations soient bien indiquées (voir image ci-dessous), cela renforce les mobilités douces.

Un panneau très clair pour indiquer qui peut emprunter quelle voie

Mais c’est aussi un bon moyen pour apaiser la circulation du quartier. En effet, hors du cheminement principal, les rues secondaires peuvent devenir des zones de rencontre, voire être piétonnisées. A Barcelone, l’objectif est de réduire de 20% le trafic voiture en ville en dix ans. Et puisque cela rend les commerces de proximité plus accessibles, tout en sécurisant le cheminement vers les écoles et les arrêts de transports en commun, cela parait crédible.

Dans une analyse prospective visionnaire, l’urbaniste Vishaan Chakrabarti imagine comment Manhattan pourrait se débarrasser définitivement de la voiture individuelle. Le résultat est tout à fait surprenant et édifiant, mais apparait surtout crédible. Dans des zones aussi denses que Manhattan ou des capitales comme Paris, la voiture pourrait disparaitre assez facilement. Il propose ainsi différents scénarios selon le type de rue et les besoins des résidents et commerçants.

D’ailleurs, de plus en plus de communes expérimentent la fermeture des rues autour des écoles pour calmer le trafic. En effet, aux heures de pointe, les parents se garent n’importe où, s’encombrent devant les entrées des écoles pour que leurs enfants marchent le moins possible, et bloquent tout un quartier. Paradoxalement, ce comportement incivique met en danger ceux qui choisissent de venir à pied ou en vélo. Ce genre de mesure d’apaisement peut donc notablement améliorer la situation.

Arrêter de construire et d’entretenir des routes

Finalement, la solution clé est peut être dans l’arrêt de l’entretien des artères de votre ville. c’est une proposition choc, mais qui ne sort pas de nulle part. Un rapport produit par le cabinet conseil britannique Transport for quality of life se penche ainsi sur la question.

D’abord, le problème vient de la composition même des routes. L’asphalte est fabriqué à partir d’hydrocarbure, et sa transformation nécessite énormément d’énergie. C’est un procédé extrêmement émetteur de gaz à effets de serre. Les professionnels du secteur en ont pris conscience et travaillent déjà sur des alternatives. Certains proposent ainsi des chaussées utilisant du plastique non recyclable. D’autres réutilisent des débris de chaussée ou de matériaux de construction. Pour d’autre, le liant à base d’hydrocarbures est remplacé par un produit d’origine végétal. Moins chauffer l’enrobé lors de la pose permettrait aussi de faire des économies d’énergie, tout en préservant la santé des ouvriers.

Ce sont de bonnes idées, mais elles ne résolvent pas le problème fondamental. Plus de routes, ou des routes conçues pour la circulation automobile, c’est toujours une incitation à rouler vite. Et surtout, cela ne nous incite pas à sortir de la dépendance à la voiture. En effet, comme nous l’avons déjà évoqué, construire des nouvelles routes, ou simplement rénover les existantes, a des effets sur la demande induite.

Il faudrait alors peut être simplement diminuer le niveau de confort des routes. Les prévoir plus fines, voire perméable, mais interdites aux véhicules les plus lourds.

Réduire le stationnement des voitures en ville

Le 3e axe de ces solutions visant à réduire la place de la voiture en ville est en effet un travail sur le stationnement. Bien que ce puisse parfois être une guerre entre voisins pour accéder à une bonne place, le stationnement est aujourd’hui encore bien trop facile d’accès. En 1960, il n’y avait que 5 millions de voitures individuelles en France. 60 ans plus tard, ce chiffre est passé à près de 40 millions. Or, la ville d’aujourd’hui a été en grande partie bâtie – voire rebâtie – dans les années 60. L’étalement urbain avec ses hordes de lotissements a offert de nombreuses places supplémentaires, sans résoudre vraiment le problème. Dans les centres villes et zones denses, il n’y a pas assez de places de stationnement pour tous.

La vraie pyramide de Maslow – crédit image

A cela s’ajoute en outre la question du stationnement spécifique. Il faut des places pour les PMR, les services d’urgence, les transports en commun, voire les taxis. Mais les communes doivent également penser aux deux roues, thermiques ou non, ainsi qu’aux véhicules électriques. Il reste aussi la question des emplacements de livraison ou celles des autobus touristiques.

Mais les besoins en stationnement varient non seulement selon le lieu, mais aussi selon les besoins. Autour des centres d’affaires et usines, il y aura un grand besoin simultané de stationnement pour seulement 20% du temps. A l’inverse, les véhicules stationneront près des habitations quasiment 70% du temps. Les 10% restants concernent les temps de transit, de visite et d’achat. Et les touristes, spectateurs et clients des commerces s’attendent à pouvoir se stationner près de leur destination. C’est une équation de plus en plus insoluble. Elle l’est d’autant plus quand il s’agit de l’insérer dans le cadre de la transition écologique.

Le stationnement des centre villes

Tout d’abord, le mythe du client motorisé a ainsi la vie dure. En ville, les clients des commerces locaux ne sont pas forcément automobilistes, ou en tout cas ne viennent pas en voiture. De ce fait consacrer trop de place au stationnement commercial n’a pas de sens. Une étude de l’Université Libre de Bruxelles montrait que 65% des commerçants pensent que leurs clients viennent principalement en voiture quand, dans les faits, ils ne sont que 19%. Le dogme du “no parking no business” ne repose sur aucun fait. Il n’est en réalité valable que pour les grandes surfaces commerciales périphériques, celles là même qui tuent le petit commerce de centre ville. Le Cerema va plus loin en concluant dans une autre étude que 64% des clients viennent à pied ou en vélo.

Le stationnement concerne avant tout les résidents des villes. C’est ce qu’on pu constater les maires de Compiègne et de Pau qui, après le confinement, on voulu rendre totalement gratuit le stationnement pour redynamiser le commerce. Las, les places étaient prises toute la journée par les riverains et commerçants, heureux de ne plus avoir à trouver des alternatives gratuites en journée. Or, une place occupée par un résident est une place prise en permanence. A l’inverse, une place dont l’occupation ne peut être que temporaire accueillerait en moyenne de 4 à 7 véhicules par jour. Et en soirée, les résidents pourraient y revenir.

L’un des problèmes que constatent souvent les maires vient du manque de civisme des habitants. Ces derniers croient en effet avoir le droit de se garer n’importe où sous prétexte de payer des impôts. Ainsi, ceux qui possèdent une cour intérieure et/ou un garage ne s’en servent pas forcément, préférant le stationnement extérieur par commodité. Et l’accumulation des véhicules, un par parent, voire par jeune adulte résidant encore au foyer familial, empire les choses. Ainsi, d‘après l’insee, 34% des foyers français possèderaient au moins 2 véhicules. Ils seraient 5% à posséder 3 véhicules ou plus. Et ceci ne prend pas en compte les véhicules thermiques à deux roues.

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Posséder des places en abondance ne permet pas de s’interroger vraiment sur la pertinence de posséder un véhicule en ville. Pour réduire la place de la voiture en ville, il faut rendre moins pratique sa possession, même par défaut. En effet, de nombreuses personnes empruntent les transports en commun ou pédalent pour aller au travail tout en conservant un véhicule. Celui-ci peut servir pour les courses, les vacances, des déplacements lointains. Bien que leur comportement soit vertueux écologiquement parlant, cette dualité souligne que l’image de la voiture indispensable reste prégnante.

Faire payer le stationnement de rue

Rendre l’accès à une place de stationnement payant pourrait être une solution pour résoudre le problème. Mais cela ne sera réellement envisageable que si vous avez développé les alternatives permettant de réduire le besoin de la voiture en ville. Rendre payant le stationnement de tous les véhicules, partout, donne l’occasion à chacun de réévaluer son vrai besoin.

Dans les petites villes, là où les besoins sont essentiellement résidentiels, il parait compliqué de faire payer le stationnement ponctuellement. Le prix d’achat des horodateurs est en effet assez rédhibitoire, et ne laisse apparaitre une rentabilité que sur le long terme. Or si les voitures diminuent en nombre, comme espéré, cette rentabilité ne sera peut-être même pas atteinte. Ce paiement doit être conçu avant tout comme un abonnement, un droit à stationner. Il s’agit d’un moyen de faire prendre conscience de la vraie valeur des places de stationnement. Ce qui était pensé comme une infrastructure collective, prise en charge par tous dans les impôts locaux, doit redevenir un service individuel.

D’ailleurs, dans le Land de  Berlin, le stationnement payant des résidents dans toute la ville est à l’étude. Il ne s’agit plus de faire payer seulement les parkings couverts, mais aussi les places mises à disposition sur la chaussée ou sur les parkings découverts. Cette proposition différencie les véhicules selon leur type, c’est à dire selon leurs nuisances. Ainsi une citadine, légère et petite, ne serait soumise à une redevance que de 80€ par an. Au contraire un SUV, lourd, prenant beaucoup de place et causant plus d’accidents à la personne, se verrait taxé à hauteur de 500€ l’année. 

Ainsi, en s’acquittant de cette taxe, les résidents peuvent stationner sur les places délimitées par la commune. Sans cette taxe, les véhicules se gareront sur les zones bleues ou dans des parkings avec barrière d’entrée. C’est là la clé de cette politique, il faut pouvoir offrir des espaces de stationnement à part. Un tel système nécessite par ailleurs d’employer des ASV pour vérifier le bon paiement de l’abonnement., ce qui peut être compliqué pour les petites villes. A l’inverse, à l’échelle d’une intercommunalité, ce contrôle devient financièrement plus facile à mettre en oeuvre.

On peut stationner dix vélos sur l’emplacement d’une seule voiture

L’alternative au paiement est l’usage du disque bleu, bientôt harmonisé au niveau européen. Ce dispositif est plutôt utile près des centre-villes commerçants, là où il est nécessaire de pouvoir se garer occasionnellement et brièvement. Idéalement, vous pouvez même associer une place de livraison en début de journée, une place de stationnement limitée en journée, et une place pour résident en soirée. Le grand avantage de ce procédé est de pouvoir préciser finement les différents types de zone. Tels emplacement peuvent être limités à 30mn, tandis que d’autres le seront pour 2h. Tout est possible, ce qui offre une souplesse appréciable pour s’adapter aux besoins des commerces et bureaux avoisinants.

Créer des parkings périphériques

Pour libérer l’espace en zone dense sans mécontenter les résidents, il faudra certainement transférer ailleurs les véhicules. Les parkings périphériques seront l’élément central de cette politique de stockage des véhicules. C’est une pratique déjà usuelle dans les grandes villes pour éviter la congestion. Les parkings relais sont ainsi placés aux abords de la ville, en bout de ligne de transport en commun, pour faciliter l’intermodalité des voyageurs.

Mais si d’habitude il s’agit plutôt de favoriser le stationnement des visiteurs et travailleurs pendulaires, cela pourrait aussi concerner les résidents. En effet, les ouvrages de surface en plein centre-ville deviennent de moins en moins pertinents. Ils occupent une place considérable qui pourrait servir à densifier ou à améliorer le confort général. Dans tous les cas, ils n’ont plus rien à faire là. Alors que si le ban communal est correctement maillé de transports en commun, il n’y pas forcément de raison de garer son véhicule près de chez soi.

Cette politique pourrait se généraliser également à la campagne, notamment aux abords des gares de desserte. Mais ce serait également imaginable aux abords d’aires de zones encore à imaginer, équipés de voitures en autopartage, d’aires de covoiturage, d’abris vélos et d’une gare routière. Ce serait un hub rural pour les trajets moyenne et longue distance. Il serait même possible d’y adjoindre des activités annexes comme un hub logistique, des garages automobiles et vélo, des points de livraisons, etc.

Le double inconvénient des méthodes périphériques est qu’ils peuvent coûter cher et consommer beaucoup de place. D’autant plus qu’en ouvrage, une place de stationnement demande deux fois plus de surface (25m²) qu’une place de rue. Or, si l’équipement des ménages en automobile diminue suite à la flambée du pétrole, ces équipements resteront surdimensionnés et non rentables. Pourtant, il sera nécessaire de proposer une solution de rechange si vous souhaitez réduire le nombre de place de stationnement pour la voiture en ville.

La question des deux roues

Tant que vous en êtes au stationnement, vous pourrez aussi vous occuper de celui des deux roues. Une telle réforme pourrait être l’occasion de mettre en place des abris sécurisés pour vélos et motos. Leur mise à disposition pourrait se faire sur abonnement, comme cela se pratique dans de nombreuses villes françaises. D’ailleurs, en ce moment, grâce à un programme CEE, les abris vélos sont très largement subventionnés. De la sorte, vous offrez une véritable solution pérenne et sécurisée pour les cyclistes. En effet, la peur de se faire voler son vélo est un frein à l’acquisition d’un modèle solide ou électrique. De plus, vous résolvez partiellement la problématique pour les immeubles anciens, non soumis à l’obligation légale d’un abri vélo, tout en supprimant une partie du stationnement sauvage sur le mobilier urbain.

Il reste la question des motos, qui se garent trop souvent sur le trottoir – ce qui leur est interdit – faute de véritable emplacements dédiés. Ces abris pourraient également leur servir, ou des abris mixtes pourraient être envisagés. Les motos profitent en effet trop souvent d’une zone grise pour leur stationnement, considérant être dans la situation d’un vélo, donc exempt de redevance. Or, de par leur poids et leur pollution, elles se rapprochent pourtant plus des automobiles.

De manière générale, installer des arceaux pour les vélos en ville créera un appel d’air pour les mobilités douces. Près des commerces, des services publics et lieux culturels est une évidence. Dans cette optique, nous vous conseillons d’opter pour de véritables arceaux et non des pince-roues, moins pratiques et sécurisant, tout en endommageant souvent les roues. De plus, si les vélos cargos se développent dans votre ville, il faut également prévoir des arceaux adaptés.

Intensifier les usages

Les voitures passent 96% de leur existence à l’arrêt. Cette statistique souligne bien le problème qu’il peut y avoir à concéder un tel avantage pour un objet qui sert finalement assez peu. Pour lutter contre ce phénomène, votre municipalité pourrait offrir des tarifs de stationnement avantageux (voire la gratuité) pour les covoitureurs et les systèmes d’autopartages.

En utilisant une plateforme éthique comme Mobicoop, qui travaille aussi avec un système d’autopartage comme Citiz, vous auriez ainsi un moyen de vérifier la véracité de ces partages de véhicule. Ces deux plateformes proposent en effet une offre combinée qui pourrait remplacer ou se combiner au transport à la demande des zones rurales. La première est spécialisée dans le covoiturage, et propose des solutions logicielles pour accompagner les collectivités. La seconde propose la location de véhicules, électriques ou thermiques, disponibles sur la voie publique. Leur offre principale repose sur des emplacements réservés, mais elle propose aussi une sorte de free floating automobile. Ces deux solutions sont idéales pour ceux qui n’ont qu’un besoin très ponctuel d’un véhicule.

Mais une étude récente tend à relativiser l’intérêt de l’autopartage. Elle fait suite à l’explosion de l’offre suite à la création de filiales dédiées par plusieurs constructeurs automobiles. Ces derniers ont constaté que ce modèle n’était rentable que dans les grandes villes, en particulier celles au stationnement compliqué. C’est pourquoi, pour rendre crédible l’implantation de solutions pérennes d’autopartage dans votre ville, vous devez également rendre plus compliqué le stationnement pour les résidents. Sans cette motivation, ils n’auraient pas de véritable intérêt à réfléchir à un changement de modèle.

Pour autant, il ne faut pas négliger l’autopartage officieux, entre personnes qui partagent les frais d’entretien d’un véhicule sans structure d’appui. Concrètement, une personne possède effectivement le véhicule et paie son assurance. C’est ensuite un arrangement qui permet le partage du véhicule entre différentes personnes. Cette pratique, encore largement clandestine, pourrait se développer avec le soutien de collectivités.

Les effets pervers des parkings

La règlementation sur le stationnement occasionne de nombreux effets négatifs dont ne se rendent pas forcément compte les maires. Fixer un nombre minimal de places de stationnement par logement revient à limiter le nombre de logements. En effet, en zone dense, les terrains sont chers et rares. Construire un parking extérieur est donc excessivement coûteux, et les futurs propriétaires rechignent parfois à cette dépense. Mais construire en souterrain est encore plus dispendieux. On peut ainsi estimer le prix d’une place en R-1 à 15 000 € !

La conséquence immédiate est que les projets d’aménagements sont conçus en fonction de ce que dit le PLUi sur le stationnement. Le nombre de logements sera ainsi défini en fonction du nombre de places qu’il est rentable de construire. Et si des seuils définissent le nombre de places en fonction de la superficie ou des pièces, l’option basse sera privilégiée, quitte à bâtir des studios ou des F2. Or de tels appartements ne permettent pas d’accueillir des familles, susceptibles d’aider au maintien de classes scolaires… ces règlementations vont donc à l’encontre même de la raison pour laquelle les communes souhaitent densifier.

Mais si les projets privilégient le parking extérieur, car moins cher, cela contribue également à l’étalement urbain. Or, les ratios utilisés pour calculer le nombre d’emplacements ne sont pas forcément rationnels, ni justifiés. Et puisque les places sont là, autant les utiliser ! C’est l’offre de place qui créé leur demande, le même mécanisme induit que pour les chaussées.

Or, à l’heure où les mobilités douces explosent et où la possession d’un véhicule devient moins pertinent, à quoi bon continuer à bâtir des parkings en ouvrage dans chaque résidence ? Dans 20 ans, leurs propriétaires tenteront de les reconvertir pour compenser l’abandon du modèle automobile. Alors autant franchir le pas tout de suite.

La Stratégie du report modal vers les mobilités douces

Le message des climatologues est clair, pour rester en dessous des +2°C de réchauffement climatique, 80 % des réserves restantes d’hydrocarbures doivent rester dans le sol. Cela signifie incidemment que les véhicules thermiques, doivent cesser de circuler. Nonobstant les alternatives électriques et à hydrogène, qui sont soit des illusions technosolutionnistes soit de l’homéopathie, il n’y a pas guère d’alternative pour l’instant. En effet, la technologie n’est d’une part pas prête pour une démocratisation abordable. D’autre part, le surcroît de consommation électrique que cela entrainerait nuirait au double effort de transition et de résilience énergétique.

Pourtant, il semble encore difficile d’imaginer une société sans voiture à l’heure où les publicités pour les SUV pullulent et où les véhicules autonomes semblent la prochaine poule aux œufs d’or. Cela devrait pourtant devenir la norme pour espérer lutter contre le changement climatique. La difficulté étant d’y parvenir sans soulèvement populaire.

D’après la Stratégie national bas carbone, il y a 5 facteurs permettant d’atteindre une division par 4 des gaz à effets de serre des déplacements. Nous avons déjà analysé ceux sur lesquels les collectivités locales peuvent agir, c’est à dire la demande de transport, le report modal et le taux de remplissage. Les deux derniers concernent l’efficacité énergétique et l’intensité carbone des véhicules, qui reposent plus sur des stratégies technologiques pour lesquelles l’Etat, voire les régions, sont plus adaptées. Éventuellement, les communes peuvent intervenir sur l’intensité carbone en soutenant l’implantation des bornes électriques. Tous ces facteurs ne se valent pas, le report modal et le taux de remplissage ont un effet assez marginal par exemple. Concrètement, s’ils ne sont pas utilisés pour faire baisser la demande automobile, ils ne servent à rien.

En tout état de cause, la demande devrait s’effondrer d’ici 2030 avec la flambée des prix du pétrole. Aussi, même si l’objectif de réduire la voiture en ville est impopulaire en 2020, les communes ayant anticipé le sujet et préparé la transition seront célébrées le moment venu. La clé du succès réside donc dans l’équilibre entre la préparation douce et une mise en oeuvre adaptée à la baisse conjoncturelle de la demande. Ce qui ne doit pas vous empêcher de travailler sur une baisse endogène grâce au travail de sensibilisation.

Proposer une nouvelle organisation de la ville

Pour réduire la demande de la voiture en ville, vous devez réduire les distances qui rendent son usage indispensable. Votre objectif devrait tendre vers la ville du quart d’heure ou, à défaut, sur des infrastructures bas carbones accessibles. Il s’agit donc essentiellement d’aménagement du territoire.

Mais l’inertie est forte pour un aménagement en faveur de l’automobile qui s’est construit en 60 ans. Il parait eu plausible de renverser la vapeur en seulement 30 ans. Il ne sera pas possible – ni écologiquement souhaitable – de rapprocher les zones d’activités et industrielles des zones résidentielles. Les bassins d’emploi sont malheureusement figés pour du très long terme. C’est pourquoi il va falloir agir de manière plus subtile, ou consensuelle.

Recenser précisément la possession automobile

Nous disposons de données fiables sur l’automobile grâce aux recensements périodiques de l’insee. Mais les données appartiennent à l’Insee, et non aux communes, même si ce sont elles qui en opèrent la collecte. C’est pourquoi elles ne peuvent pas avoir accès aux données qu’elles collectent, et donc les exploiter. Or, pour pouvoir mener une politique municipale pertinente, vous devez avoir les données correspondantes. Quel est le nombre de véhicule par ménage ? Combien de kilomètres parcourent les individus chaque jour pour aller au travail, déposer les enfants à l’école ? Quand ont ils besoin de ces véhicules ? Combien est ce que ça représente dans leur budget ? Quels modes de transports alternatifs utilisent-ils déjà ? Pourquoi ne le font ils pas plus souvent ?

Ces données permettent d’établir un panorama précis et précieux de la situation dans votre territoire. C’est à partir de cet état des lieux des freins, motivations, et composantes du comportement de vos concitoyens que vous pourrez bâtir une stratégie pertinente. Il ne s’agit au fond de rien de plus que d’une partie du diagnostic que les entreprises de plus de 100 salariés (sur un même site) doivent faire pour leur plan de mobilité. Elles y sont contraintes depuis près de 20 ans, de sorte que ce n’est pas une nouveauté pour elles. Néanmoins, il serait intéressant de proposer un accompagnement à des entreprises plus petites pour les aider à le réaliser. D’autant que les acteurs économiques locaux financent une grande partie des transports en commun.

D’ailleurs ce diagnostic abondera également le plan de déplacement urbain de votre territoire. Formellement, il n’est obligatoire que pour les agglomérations dépassant les 100 000 habitants. Mais ce document va vite se révéler indispensable pour les intercommunalités plus petites qui veulent réduire l’emprise de la voiture sur la ville. Ce document a en effet une valeur légale qui lui permet de s’imposer au PLU, et donc de contraindre l’organisation du territoire. De plus, généralement conçu sur du long terme, il permet de poser une vision des déplacements du territoire pour dix ou vingt ans.

Travailler avec les habitants

Comme tout changement lié à la transition écologique, l’implication des habitants y tient une place prépondérante. Il ne s’agit pas de les consulter vaguement, voire pire de les informer en réunion de quartier, pour décider au conseil municipal. Ce genre de processus de réduction des déplacements motorisés doit être construit par et pour les habitants. Ce pourrait d’ailleurs être l’occasion de faire plancher une convention citoyenne locale pour le climat sur le sujet.

Grâce à votre enquête de terrain, vos concitoyens sauront que vous travaillez activement sur le sujet de la mobilité. Ils vont naturellement se poser des questions, s’inquiéter, vouloir en savoir plus ou proposer de nouvelles idées. Mais contrairement à vos prédécesseurs, vous les informerez des tenants et aboutissants et les inviterez à élaborer le scénario de réduction de cette part modale avec l’équipe municipale.

Vos concitoyens ont d’autant plus besoin de cette implication dans la transformation de la mobilité municipale, qu’ils ont eux aussi leurs envies et préoccupations. Face à la dégradation de la chaussée, les habitants peuvent par exemple réclamer un point à temps, voire une vraie réfection. D’autres, habitant des rues dégradées et peu entretenues, apprécieraient peut être une rénovation ou un réaménagement. Le revêtement n’est peut être plus aussi lisse, et les bordures non adaptées aux PMR. Mais ces travaux coûtent extrêmement cher et prennent du temps à préparer. Deux ressources dont la municipalité aura besoin pour ses propres projets.

Et pour y parvenir, il faut commencer par les changements les plus doux. Ce sont ceux qui ne contraignent pas vraiment, mais changent les habitudes. La mise en place d’alternatives ou d’infrastructures durables par exemple, si elle suppose des investissements de la mairie, n’impacte que modérément les usagers. Progressivement, en concertant largement et en faisant des états des lieux sur les nuisances de la voiture et la dégradation de la situation environnementale, vous pourrez avancer petit à petit vos mesures.

Les données collectées en porte à porte, celles issues d’observations et de comptage du trafic pourront être intégrées à des ateliers participatifs. C’est collectivement, en intelligence collective et en recherchant le consentement, que les habitants volontaires pourront travailler sur les scénarios de réduction de la part modale de l’automobile. Avec des maquettes de la ville, ils devront imaginer des solutions, des réaménagements des rues, des sens de circulation, des transits. Pour l’occasion, il sera impératif de mobiliser les agents du service urbanisme pour qu’ils accompagnent les habitants, répondent à leur question et mettent à disposition leur expertise technique, sans pour autant guider la prise de décision.

Et si la convention citoyenne locale pour le climat, comme son homologue nationale, conclut à la nécessité de mesures coercitives pour l’intérêt général, vous pourrez vous appuyer dessus pour déployer des mesures coercitives plus rapidement. Ses membres seront vos ambassadeurs, ils pourront amplifier votre vision et la défendre non pas en tant qu’élu – avec ce que cela peut avoir de négatif quand il s’agit de faire passer une réforme impopulaire – mais comme citoyen qui, bien que concerné par la question, a eu l’occasion de réfléchir à ses impacts réels.

C’est justement en montrant qu’il ne s’agit pas d’une décision technocratique, mais bien d’une nécessité populaire, que vous pourrez commencer amorcer l’adhésion populaire.

Privilégier les mobilités douces

L’atelier parisien d’urbanisme a pu déterminer récemment que 70% des trajets internes au Grand-Paris et 45% des trajets domiciles-travail faisaient moins de 5km. Une distance facilement réalisable en vélo en 20mn sans entrainement. 

D’ailleurs à Nice, la municipalité a mis en place mi-Mai une piste cyclable double sens sur la Canebière. En l’espace d’une semaine, comme le montre le schéma ci-dessous, la mobilité a radicalement changé. Le nombre de cycliste a quadruplé tandis que les automobilistes ont quasiment été réduit de moitié. La possibilité de faire du vélo de manière sécurisée est un atout indéniable qui permet d’accroitre le report modal vers le vélo. 

Dans un rapport publié courant 2020, le Cerema étudie les conditions nécessaires pour développer le trafic vélo et adapter les infrastructures. Il détermine 3 critères : le nombre de voiture, le nombre de cyclistes, la vitesse maximale réellement pratiquée. Au-dessus de 4 000 véhicules par jour dans une rue à double sens, la cohabitation n’est pas possible entre les deux modes. Il faut donc les séparer par des infrastructures distinctes. Si le trafic automobile est faible, mais les vélos nombreux, la vélorue pourrait être une bonne option. Cette infrastructure relativement récente en France, quoique de plus en plus courante à Strasbourg, est une rue où les cyclistes ont le droit de rouler au milieu de la chaussée. Les voitures doivent donc patienter derrière. C’est un bon moyen de réduire la vitesse, puisque ce critère est également déterminant pour l’attractivité d’une voie.

Credit photo cerema

Ce besoin est crucial aussi bien à l’intérieur des villes qu’en dehors. En effet, pour rallier les villes les unes aux autres, rouler en vélo sur une départementale n’est pas très rassurant. L’inconvénient, c’est qu’il faudrait construire des pistes cyclables entre toutes les communes. Non seulement c’est difficilement faisable en réduisant les voies des départementales, qui sont généralement des 1×1 voies, mais en plus cela va accroitre l’imperméabilisation des sols en se faisant sur des espaces agricoles et naturels. C’est néanmoins nécessaire, et beaucoup moins consommateur d’argent et de terre qu’une route. La consommation foncière d’1 km de piste cyclable double sens est estimé à 0.3 hectares, contre 0.7 pour une départementale double sens. Mais les agriculteurs sont souvent hostiles à ce sujet, considérant que cela va gêner leurs tracteurs, outre la perte de terres que cela représente. Il faudra donc souvent aller au tribunal pour les contraindre à l’expropriation.

Car même les publics fragiles peuvent se mettre au vélo. Pour les enfants, des ramassages scolaires sont même possibles en vélo avec le matériel adapté. Et avec les coopératives de la transition écologique, il y a certainement des emplois à inventer autour des services de mobilité, et d’accompagnement des publics fragiles, pour compenser la diminution des déplacements motorisés.

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L’un des aspects les plus cruciaux de la mobilité en ville est celui du fret commercial et des services. Réduire la place de la voiture en ville ne suffit pas, si les camions sont tout aussi nombreux. Il est pourtant possible d’imaginer les remplacer pour la plupart des usages économiques. Dans cet article, j’explique ainsi comment le vélo peut servir pour assurer la logistique du dernier kilomètre des commerçants et artisans. Mais c’est également une solution idéale pour remplacer le traditionnel utilitaire des artisans. Même les services publics pourraient, quasi-intégralement, se convertir au vélo sans que cela ne diminue leurs performances.

Un plombier à vélo…

Ce fret commercial en centre-ville sera facilité par un report modal des poids lourds vers des transports collectifs bas carbone. A Strasbourg, ce sont des péniches qui commencent depuis cet été à acheminer les palettes au centre-ville. Ailleurs, ce sera peut être des trains, éventuellement des wagons rattachés aux futurs RER métropolitains en projet. Même les spécialistes de la livraison commencent déjà à imaginer ce changement de paradigme. Le géant de la livraison DHL considère que 70% de ses véhicules devraient être propres d’ici 2025. Le gouvernement a même lancé un programme de financement CEE pour expérimenter de nouvelles solutions de livraisons bas carbone.

En l’occurrence, ce genre de solutions n’est pas sans poser problème pour les communes. En effet, comme le souligne la ville de Paris, il faut adapter le PLU pour les livraisons à vélo. De par leur rayon d’action plus limité, ces entrepôts logistiques pourraient être amenés à s’implanter dans des zones résidentielles ou en tout non prévues pour ce genre d’activités. C’est pourquoi la ville a identifié des emplacements pouvant accueillir ces espaces de logistique urbaine de proximité. De même, il faut adapter la réglementation locale pour permettre aux vélos cargos de se garer sur les stationnements réservés à la livraison.

D’ailleurs, on peut parler de mobilité douce tout en restant dans les voitures. Pour cela, il faut renoncer à la vitesse, à la puissance, à l’encombrement. Avec des voiturettes, des mini voitures comme la twizy ou des speed pedelec, vous avez des véhicules motorisés permettant la plupart des usages d’une voiture classique. Un vélomobile, un vélo couché à trois ou quatre roues avec carénage et assistance électrique, permet même d’atteindre des vitesses comparables à celle d’une voiture tout en disposant d’un coffre et d’un habitacle, sans pour autant polluer. Il faut savoir proposer les bonnes solutions aux habitants.

Ainsi, la stratégie nationale bas carbone ne prévoit pas que le vélo dépasse au mieux les 10% des parts modales d’ici 2050. En effet, même si les vélos permettent de longues balades, y compris touristiques, il n’est pas adapté pour des déplacements longs en général. C’est pourquoi la réduction de la part modale de la voiture en ville se fera surtout en faveur des transports en commun; D’ailleurs, elle baissera aussi mécaniquement grâce à la baisse de la demande via la hausse du taux de remplissage.

Construire une mobilité résiliente

L’intention n’est pas de réduire l’usage de la voiture en ville par idéologie écologiste punitive. Il y a des arguments parfaitement rationnels derrière ce dessein, comme vu précédemment. Mais plus encore, il s’agit pour les pouvoirs publics d’anticiper la crise énergétique qui pourrait toucher nos sociétés d’ici 20 ans. Déjà dans les années 70, suite au crises pétrolières, des mesures d’économie d’énergie avaient été mises en oeuvre. Elles s’étaient révélées finalement peu utiles, mais certaines ont perduré. Pourtant, cette fois-ci, c’est la science et non plus la géopolitique qui sonne l’alarme.

Non seulement il faudrait laisser la majorité des réserves de pétrole dans le sol pour éviter une aggravation du changement climatique, mais en plus les hydrocarbures deviennent de moins en moins rentables à extraire. Le taux de retour sur investissement des forages s’est effondré en quelques années. Depuis 2008 et le pic de production de pétrole conventionnel, il faut 1 baril pour en extraire 12. A l’inverse, dans les années 70, il en fallait 1 pour en extraire 35. Cette année, nous avons atteint le pic des sables bitumineux, pour lesquels 1 baril permet d’en extraire 3. D’ici 2030, ce sera vraisemblablement le tour du pétrole offshore de connaitre son pic de production. A cette date, la production mondiale baissera, et donc les prix flamberont. Or, les transports français dépendent à plus de 90% du pétrole…

Le hic c’est qu’il n’y a pas vraiment d’alternatives sur le principe des véhicules thermiques. Les agrocarburants sont une vaste fumisterie. Leur bilan écologique et énergétique est catastrophique, et ils empiètent sur la résilience alimentaire. Les voitures à hydrogène reposent massivement sur les hydrocarbures pour la production de l’hydrogène… Quant aux voitures électriques, fortement dépendantes aux terres rares, elles sont également une plaie écologique. De plus, la Chine est le 1er producteur de terres rares et de véhicules électriques. Or, son économie fortement carbonée accélère la crise climatique. Éventuellement, des voitures électriques produites en France pourraient être une solution, mais pas la panacée. Et de toute manière, dans les trois cas, il faut continuer à produire toujours plus d’énergie pour les alimenter. Or la sobriété énergétique est indissociable de la réduction de l’empreinte carbone nationale.

C’est pourquoi il est nécessaire de considérer que réduire la voiture en ville passe par une mobilité résiliente. Cela signifie que nos modes de déplacements doivent pouvoir s’adapter aux crises prévisibles et les surmonter en maintenant un fonctionnement normal. Ce n’est pas possible si chacun doit continuer à alimenter son propre véhicule. Nous avons besoin de solutions de transports pouvant se passer d’énergie, ou conçues pour économiser cette énergie.

Les transports en communs basés sur ces trois alternatives ne sont donc pas un remède à la crise écologique. Néanmoins, ils sont collectifs, et cette différence de nature change tout quant à leur impact. Toutes proportions gardées, ils pollueront toujours moins que leur équivalent individuel. Ils consommeront proportionnellement moins d’énergie, tout en couvrant un territoire plus vaste. La marche et le vélo sont évidemment les deux meilleures solutions. Mais elles ne sont pas possibles pour tous, et nous ne devons pas tout réduire à ces deux seules possibilités.

Les solutions et retours d’expérience ne manquent pas pour les zones denses et périphéries de métropoles. La véritable problématique se pose pour les territoires extérieurs, où les distances s’allongent vite.

Agir sur le besoin de se déplacer

Une part considérable des déplacements est causée par l’exercice de sa profession. Or, le confinement de cette année nous a appris qu’il est assez largement possible de confiner une partie des travailleurs. Ainsi, cette étude de la fondation concorde estime que 10 millions de français peuvent télétravailler. Or, en 2020, d’après l’Ademe, ce sont effectivement 10 millions de personnes qui ont télétravaillé pendant deux mois. Une telle intensité de télétravail n’est pas forcément soutenable, mais elle offre des perspectives encourageantes. Les communes pourraient ainsi soutenir cette dynamique en aménageant des espaces de coworking. Idéalement, elles convertiraient des espaces désaffectés pour ce faire, et ne bâtiraient pas.

Dans son ouvrage Utopique, le dessinateur Vito souligne bien la nécessité d’une ville densifiée pour la transition écologique. Une ville où tout est facilement accessible sans avoir besoin de prendre sa voiture. Mais il s’agit de décentraliser les métropoles pour relocaliser les activités et population vers les bourgs centres et villes moyennes. La densification des centre-villes n’est pas forcément une mesure idéale, causant également pollution, ilot de chaleur, congestion, etc. C’est donc un équilibre subtil à trouver entre étalement raisonné du territoire, intensification des usages et usages des nouveaux locaux. Car le taux de motorisation des territoires ruraux est de 94% des ménages, l’aménagement y ayant rendu ce mode indispensable.

Cette densification passera par un travail sur le dynamisme commercial des centre-villes. En l’occurrence, décréter un moratoire sur les commerces périphériques devient une nécessité. Le soutien au commerce local en est une autre. Il faudra sans doute soutenir le retour de supérettes multiservices dans la plupart des communes, ou développer la livraison. Il n’est en tout cas pas possible de jouer sur les deux tableaux. La périphérie en sort toujours gagnante puisque facilement accessible en voiture.

De même, comme nous l’expliquions dans l’article sur le textile, il faudra relocaliser des industries. Ce sera une opportunité pour recréer de l’emploi et développer la résilience locale, mais aussi pour rapprocher emploi et domicile.

Enfin, il y a la question des activités de loisir. Il n’est écologiquement pas tenable de parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour pratiquer un sport ou une activité culturelle. Ce genre de régulation n’est de toute façon pas du ressort du bloc communal. Néanmoins, le soutien aux activités socioculturelles et sportives locales, incluses dans un cadre cohérent au niveau intercommunal, devrait permettre de réduire ce besoin. Il faut apprendre à pratiquer ses loisirs localement, pour développer des solidarités locales. Elles seront indispensables pour affronter les pénuries que pourraient entrainer les crises énergétiques et alimentaires.

Ne pas oublier les plus faibles

L’oubli des plus faibles dans les politiques de mobilité est une critique récurrente. Il est vrai que certaines catégories de la population nécessitent des politiques spécifiques, voire des exceptions.

Par exemple, il sera compliqué de supprimer la voiture individuelle pour les personnes en situation de handicap. La carte de stationnement répond en effet à plusieurs situations très différentes. Elle peut concerner les personnes équipées d’une prothèse (canne, membre artificiel, fauteuil roulant) ou sous assistance respiratoire, mais aussi les déficientes mentales ou sensorielles. Des catégories de personnes qui peuvent difficilement se déplacer en vélo ou en transport en commun sans prendre de risques énormes, et ont besoin parfois d’une assistance humaine ou animale.

La situation pourra être la même pour les personnes âgées. Souvent isolées, à la mobilité également réduite, elles sont surexposées à un risque d’accident routier en tant que piéton ou cycliste. Et le maillage des transports en commun ne rend pas leur acc-s facile pour ces personnes. Mais pour autant, les personnes âgées qui conduisent sont également un risque pour la sécurité routière (mais moins que les jeunes conducteurs).

La solution peut venir dans un maintien de la voiture individuelle dans certains cas, surtout dans les zones rurales. Mais dans les zones plus denses, y compris les petites villes, les pouvoirs publics pourraient proposer un panel de solutions. Il y a d’abord la solution du transport à la demande, via un véhicule adapté, qui peut être mis en place par l’intercommunalité pour faire la navette à l’occasion de courses ou de rendez vous médicaux. La livraison de repas et de courses est une autre solution capable de soulager ces catégories de personne.

Pour autant, ce faisant, le risque est grand de les isoler encore plus en les privant d’un accès à une mobilité aisée. Dans les quartiers où les personnes handicapées et âgées sont nombreuses, la municipalité pourrait essayer d’installer en autopartage des véhicules adaptés. C’est une réflexion à mener collectivement, notamment dans le cadre des conseil des séniors qui se multiplient dans de nombreuses collectivités.

Prouver l’exemplarité des administrations

Pour être crédible dans sa démarche de transition écologique, une collectivité doit montrer l’exemple dans sa gestion interne.

Cela suppose une profonde réflexion avec les agents sur leurs déplacements. Cela implique aussi bien les déplacements pendant le travail, mais aussi entre leur domicile et le travail. De nombreux véhicules municipaux sont dispensables. La plupart des interventions techniques, y compris en jardinage, ne nécessitent pas de voiture ou peuvent se faire en vélo-cargo. Les déplacements pour formation devraient se faire exclusivement en train. Le forfait mobilité durable pourrait même être mis en oeuvre pour inciter les agents à venir en vélo. Les élus devraient donner l’exemple dans leurs déplacements, montrer que c’est possible pour tous, ce qui renforcerait la légitimité des décisions prises tout en servant de modèle.

Des vélos pour les services techniques

De plus, cette exemplarité devra se doubler d’une cohérence entre les discours et les actes. Vous ne pouvez pas souhaiter un report modal vers les mobilités douces et continuer à financer les déplacements climaticides. Il ne sera ainsi plus possible de soutenir les aéroports, les contournements routiers et autres projets promouvant la mobilité carbonée. Et il faudra systématiquement appliquer les dispositions de la loi laure sur le marquage vélo lors des rénovations de chaussée, contrairement à la tendance actuelle.

La municipalité devra également démontrer sa bonne foi par les mesures d’accompagnement qu’elle proposera, comme nous l’expliquons dans la partie suivante. Cela peut aussi passer par la rapidité de la mise en place des cours de vélo-école aux classes de cm2, le soutien à une asso de vélo comme la FUB et l’organisation d’un festival dédié. Il y a quelques semaines se tenait ainsi à Strasbourg un salon du vélo, l’occasion idéale pour en apprendre plus et faire connaitre de nouvelles solutions aux habitants.

Réprimer ou informer

La mobilité individuelle n’est ainsi pas facilement décarbonable. Une méta-étude compare ainsi 27 scénarios de diminution de l’impact carbone du secteur du transport. Ils concluent tous qu’au mieux, et en étant optimiste, les améliorations techniques ne permettront une réduction que de l’ordre d’un facteur 2, ce qui est insuffisant. Cette décarbonation est donc impossible sans remettre en question la liberté et la commodité qui vont avec ce genre de véhicule.

Sortir de ce paradigme de la facilité de se déplacer suppose trois choses pour lesquelles les collectivités locales sont compétentes. D’abord il faut proposer un territoire maillé par des mobilités durables pour remplacer la voiture. Cela peut également passer par une intensification du covoiturage et de l’autopartage. Ensuite il faut réorganiser la vie culturelle, économique et sociale du territoire pour recréer des bassins d’activité. Les entreprises devront soutenir le télétravail, voire relocaliser leurs activités. Enfin les individus doivent prendre conscience individuellement de cette nouvelle donne. Ils doivent soutenir les investissements lourds nécessaires aux infrastructures collectives et approuver l’objectif de réduire la voiture en ville.

A un moment ou un autre se posera inévitablement la question d’accélérer le processus. En effet, vous avez beau mettre en place les alternatives, puis réduire les facilités dont bénéficie l’automobile, le changement ne s’amorce pas forcément avec l’ampleur espérée. Des habitants continuent coûte que coûte à utiliser leur véhicule sans besoin réel, pour le plaisir de conduire par exemple. Les publicités vantant la liberté, la puissance voire la virilité attachée à la possession d’une automobile ne seront certainement pas étrangères à ce sentiment. C’est pourquoi il est important de limiter la publicité dans votre commune, surtout pour les produits climaticides.

Réprimer les comportements nuisibles

Même si la sensibilisation, l’accompagnement et l’éducation sont toujours préférables, il faut parfois réprimer également. Pour cela, vous avez principalement deux outils à votre disposition, tous deux complémentaires.

D’une part il va falloir mettre en place des arrêtés municipaux restrictifs. Fermer des rues, réduire la vitesse, supprimer des places de stationnement n’est pas forcément suffisant. Pour réduire l’importance de la voiture en ville, il faut peut être carrément l’interdire.

D’autre part, le renforcement de la police municipale pourrait être une option. Ces agents s’occupent déjà des incivilités routières, mais rarement de manière suffisante. Il va leur falloir passer de la prévention à la lutte active. D’abord ils lutteront contre la vitesse excessive, se positionnant dans les rues propices à ce genre d’infraction. Ensuite ils veilleront au respect des limitations de stationnement, notamment dans les zones de conflit entre résidents, élèves et clients. Les abords des écoles sont ainsi un lieu stratégique pour mettre un terme aux incivilités. Certes les parents veulent mettre en sécurité leurs enfants, mais ne voient pas qu’ils participent eux même à l’insécurité de ses abords.

Mais ils devront également sécuriser les pratiques douces. Par exemple, les pistes cyclables ne doivent être empruntées que par des vélos, pas des motos. D’ailleurs, même les cyclistes ne sont pas à l’abri de commettre des incivilités. Trop souvent, des cyclistes ne s’arrêtent pas aux passages piétons et mettent en danger les passants.

Accompagner la population

Pourtant, je recommande en parallèle l’usage de médiateurs en charge de la sensibilisation sur les mobilités durables. Après avoir fait le recensement des pratiques de mobilité et des besoins des habitants, ils se chargeraient désormais d’améliorer les pratiques individuelles. Ainsi, ces médiateurs proposeraient des formations à l’écoconduite, des démonstrations de vélos spéciaux, chercheraient des solutions pour faciliter la transition modale des individus. Le cabinet conseil B&L évolutions propose ainsi une feuille de route sur la démarche d’accompagnement des habitants vers les mobilités douces.

De même, afin de leur rappeler les ordres de grandeur en la matière, ainsi que les enjeux, vous pourriez utiliser des nudges. Par exemple, à partir des statistiques de pratique, et du suivi des changements individuels, vous pourrez valoriser l’engagement d’un quartier, mettre plus de panneaux incitatifs dans un autre, etc.

Pour encourager à la pratique du vélo, la commune pourrait utiliser de surcroît son pouvoir financier pour organiser un achat groupé. En effet, dans le cadre d’un marché public, elle pourrait passer commande pour de grosses quantités de matériel. De la sorte, elle ferait baisser les prix, ce qui pourrait rendre le vélo – notamment électrique – plus accessibles à certaines catégories sociales. Il faudrait comparer pour voir si cela est plus avantageux que le système actuel des subventions sur facture, qui ne garantit pas la qualité du matériel. Ce procédé pourrait être décliné pour l’achat de matériel annexe comme des sacs de transport ou des cadenas. En effet, ce n’est pas le tout d’avoir un vélo, encore faut-il que son usage soit pratique.

Il ne peut y en avoir pas de justice environnementale sans justice sociale. Ne pas oublier les plus précaires dans cette transition vers des mobilités bas carbone devra être une priorité. Il serait en effet trop facile de se focaliser sur les résultats rapides grâce aux plus aisés pouvant se permettre un report vers des modes de transports moins polluants. Pour autant, cela ne changerait pas la donne. Il est clairement établi que les deux derniers déciles sont responsables d’une part considérable des émissions du transport. Or, ce sont aussi ceux qui savent le mieux se faire entendre des décideurs publics.

Crédit graphique

Un autre obstacle se posera inévitablement et demande l’aide des pouvoirs publics. La distance moyenne entre le logement et le travail est de 11km. Cela signifie que certains individus habitent à des dizaines de kilomètres de leur travail en fait. Cette situation est d’autant plus compliquée que le conjoint peut lui aussi travailler loin dans une direction diamétralement opposée. Dès lors, les collectivités locales doivent aider les individus soit à déménager, soit à trouver un travail plus proche. Peut-être pourrions nous imaginer des agents publics chargés de repérer ces situations particulières. Ainsi, ils pourraient mettre en contact les personnes concernées, accompagner les entreprises, faciliter les démarches.

Conclusion

A travers ces méthodes pour réduire la place de la voiture en ville, vous devez faire en sorte que les inconvénients dépassent les avantages. Posséder une voiture, en utiliser une sans réel besoin doit devenir socialement inacceptable. Cet article ne propose pas de scénario clé en main pour y parvenir. Son objectif était de faire un panorama des nuisances objectives de l’automobile pour mieux envisager les bases de la réduction de sa part modale.

Mais pour parvenir à ce retournement dans les mentalités, le chemin est long et ardu. Notamment parce qu’au début, vous pourriez être seul contre tous. Remettre en cause le droit individuel à rouler en voiture est un terrain miné. Il s’agit dès lors d’avancer prudemment, de privilégier le confort de vie des habitants, de compenser les conséquences de votre politique, d’offrir le choix. Mais, progressivement, les compensations diminueront, la possession d’un véhicule thermique deviendra de moins en moins pratique et le changement se fera insensiblement. Vous aurez des polémiques, des scandales et des cris d’alerte des réactionnaires climatosceptiques. Mais les nombreux avantages de cette transformation, si elle est menée dans toutes ses dimensions économiques, sociales et énergétiques, donnera un aspect visionnaire à votre politique d’ici quelques années.

Nous n’avons pas le choix de réduire la part modale de la voiture en ville. Il n’est pas possible de réduire son impact carbone uniquement par des innovations techniques et énergétiques. Il faut réduire son besoin et sa place dans les usages. Et pour cela, il faut bousculer les avantages qui lui ont été offerts au fil des années. Il s’agit d’une bataille culturelle parmi de nombreuses autres qui auront lieu durant votre transition écologique locale. Heureusement, c’est déjà une idée raisonnable, reste maintenant à savoir remporter l’adhésion de la population.

Par ailleurs, avec la LOM de 2019, les intercommunalités s’imposent réellement comme l’échelon en charge de la mobilité. Si elles ne s’emparent pas de la compétence avant le 31/03/21, c’est la région qui la récupèrera pour le territoire concerné. Ce serait une occasion manquée de mettre en oeuvre un projet de territoire cohérent avec la transition écologique locale. L’APCC a publié à ce sujet une note indiquant l’intérêt de l’intercommunalité à devenir autorité organisatrice de la mobilité. 

Pour vous aider à réfléchir à l’éco-mobilité de votre territoire, cette plateforme web vous permet de faire un pré-diagnostic et de vous comparer avec d’autres territoires.

Et dans votre ville, la tendance est-elle plutôt à accroître ou à réduire la place de la voiture dans les déplacements quotidiens ? N’hésitez pas à envoyer cet article à vos élus pour les aider à évoluer sur le sujet.

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

6 réflexions sur “Réduire la part modale de la voiture en ville

  • 7 juin 2023 à 10 h 35 min
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    Excellent article et bien documenté. Merci beaucoup. Je me permets de partager le lien…

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  • 21 avril 2021 à 9 h 01 min
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    Une occupation hegemonique de l’espace public par le stationnement (dont le stationnement illicite), et le nombre et la vitesse des vehicules en circulation

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  • 18 novembre 2020 à 22 h 49 min
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    Très bon article, par contre la Canebière, c’est pas à Nice 😉

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  • Ping : Réduire la part modale de la voiture en ville – Solutions Locales – agape.staff

  • 30 octobre 2020 à 11 h 36 min
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    Excellent article qui expose, il me semble, un très large panel des problématiques liées à l’automobile. C’est très bien rédigé, documenté et présenté.
    Je me permets juste 2 remarques :
    – un sommaire au début serait un plus
    – une version plus courte serait la bienvenue et pourrait donner envie de lire la version longue à ceux qui, du fait de leurs activités ou de leurs centre d’intérêts veulent en savoir plus.

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