Réinventer les concerts après l’annonce de Coldplay

La nouvelle du report de la tournée mondiale de Coldplay en raison de leur recherche de la neutralité carbone a fait l’effet d’une bombe.

Les fans sont frustrés, déçus de ne pas pouvoir assister au spectacle live d’un de leur groupe préféré, leur maison de disque va s’inquiéter des retombées que cela pourra avoir sur les ventes de leurs cd, les grosses salles vont regretter l’absence d’un groupe aussi rentable mais surtout, les autres artistes vont devoir commencer à se remettre en cause.

Et ça ce n’est pas rien.

Mais il y a une autre vérité dérangeante, qui n’apparait pas de prime abord, mais qui se devinera petit à petit, au fil de l’énumération des contraintes d’un tel objectif, et qui devrait à proprement parler semer la consternation parmi tous les acteurs précédemment cités et plus largement encore : Coldplay pourrait ne plus faire du tout de tournée.

La neutralité carbone est impossible à atteindre dans le cadre d’une tournée comme on l’entend pour un groupe de leur envergure. Plus de tournée, plus de festival, pour atteindre leur objectif, ils devront revoir radicalement leur manière d’exercer leur art.

Qu’entend-t-on par tournée ?

Il paraît évident que l’ambition d’un tel objectif pourrait varier en fonction de ce qu’on appelle une tournée, de ce qu’on y inclut, et donc de l’impact sur l’environnement qu’on lui impute.

Une tournée, pour un groupe comme coldplay, représente une dépense colossale de gaz à effets de serre : c’est comme un voyage organisé avec les artistes, des techniciens ( entretien des instruments, son, lumière, scène), des préparateurs physiques (coiffure, maquillage, costume, nutritionniste, coach sportif, etc), des chauffeurs, des assistants de production, des assistants divers, un community manager, etc. L’énumération peut durer longtemps, c’est toute une équipe de plusieurs dizaines de personnes qu’il faut déplacer, héberger, faire travailler, faire manger, etc.

Il s’agit donc aussi de déplacer et d’entreposer du matériel : instruments, matériel de scène, costumes, matériel de production, et tout ce qui peut être nécessaire, sans oublier les bagages, qui peuvent être d’autant plus conséquents que la tournée est longue.

Derrière, il y a donc des hôtels, probablement luxueux pour les stars, mais certainement confortables pour l’équipe également, sous peine sinon de rapidement les épuiser et les démotiver. Des établissements qui eux même ont leur propre personnel et matériel.

Et des salles géantes pour accueillir le public, ou des stades, voire des scènes montées ex-nihilo pour les festivals. Donc des lieux consommant énormément d’énergie, ayant certainement eu un gros impact environnemental pour leur construction (hors festival) avec tout un personnel et matériel s’y rattachant là encore.

Et puis surtout, enfin, les tournées et festivals, c’est un public. Un public souvent prêt à traverser son pays pour se rendre aux quelques rares dates que consentent à donner les grands groupes. Ce sont donc à chaque fois des milliers de personnes qui se déplacent, mangent, parfois dorment sur place, et assistent au spectacle.

Une tournée, c’est la répétition sur un certain nombre de dates d’une grande masse de personnes qui vont émettre des GES pour assister ou rendre possible le spectacle d’un petit nombre de personnes.

Rendre tout ça neutre en GES, c’est un sacré défi !

Qu’entend-t-on par neutralité carbone ?

La neutralité carbone est l’équivalent comptable de l’équilibre budgétaire, c’est à dire que les dépenses et les recettes s’annulent. Dans notre cas, c’est quand les émissions anthropiques (directes ou indirectes) de GES sont égales aux absorptions naturelles ou artificielles de ces mêmes GES. Et s’il y a réchauffement climatique, c’est parce que la balance est sacrément déséquilibrée en faveur des dépenses.

Du coup pour atteindre la neutralité carbone, il faut diminuer ses dépenses, augmenter ses recettes, ou les deux en même temps. En l’état actuel, les bilans carbones nationaux -en faisant la balance entre production importée et exportée) qu’un français produit en moyenne 11T de CO2 par an, alors que nous ne sommes capable que d’en absorber 2T environ.

Pour les tournées, soit les artistes réduisent les émissions de GES générées par leurs spectacles, soit ils financent la captation de GES (plantation d’arbre, revitalisation des sols, tourbières ou capture artificielle du co2), considérant que tout cela sera intégré dans l’inévitable budget carbone individuel, puisque les concerts devront être rattachés à la production nationale, donc aux émissions de chaque individu.

Or, passer de 11 à 2T ne sera pas facile. Les études à ce sujet réalisées par les cabinets B&L evolution et Carbone4 mettent en évidence d’une part que cela revient à faire des choix drastiques dans son mode de vie, et d’autre part qu’en définitive les individus n’ont pas vraiment de levier d’action pour la plupart des moyens de réduire les émissions de GES. Le changement doit être systémique, porté par les états et collectivités, les entreprises. C’est à ce titre que l’annonce de Coldplay – qui en soi est une PME musicale – est intéressante car caractéristique de ce qui va devenir monnaie courante dans les années à venir.

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Que sait on des émissions de GES des tournées ?

Coldplay n’est pas le premier artiste à s’essayer au difficile exercice du bilan carbone d’une tournée. En 2008, le groupe français TRYO s’y était déjà adonné, publiant par la suite les résultats de leur enquête avec des préconisations fort intéressantes pour viser la réduction de leurs émissions, et celles d’autres artistes en tournée.

Leur tournée, constituée essentiellement de zéniths et de grandes salles de provinces pouvant accueillir plusieurs milliers de personnes, émettait en moyenne 4T de co2 par concert. L’essentiel de ces émissions – 80 % environ – est constitué par le déplacement du public entre leur domicile et la salle de concert, le reste se répartissant entre la logistique de la tournée et la salle de concert.

Ils préconisaient ainsi de réduire les déchets et de viser le réusage ou le recyclage, d’alimenter la salle avec des énergies renouvelables, de fournir un catering végétarien, mais aussi de chercher à favoriser les mobilités douces pour le public, soit par le covoiturage soit par les transports en commun.

A cet égard, ainsi qu’ils le constatent, il y a inégalité entre Paris et la province. A Paris, l’essentiel de leur public est local et utilise donc les transports en commun. En province, plus la salle est grande, plus elle attire de loin, et donc plus les gens ont recours à la voiture pour se rendre au concert. De plus, les vendeurs de place indiquent rarement les modalités de transport en commun ou de parking relais, de sorte que la plupart des spectateurs cherchent à se garer à proximité immédiate de la salle de concert, faute de connaître les alternatives possibles.

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Ainsi, à Paris, les émissions tournent autour des 1-1,5kg de co2 par spectateur et par date, quand ce chiffre atteint les 2-3 kg en province. Ca semble peu, mais sur un budget annuel maximal de 2T, ça pourrait commencer à peser. C’est une moyenne qui ne signifie pas grand-chose évidemment, car si vous habitez dans une grande ville et allez aux concerts en vélo, et buvez une bière dans des ecocups, vous n’aurez pas le même bilan qu’un fan qui fera 150km A/R dans sa voiture diesel.

Par ailleurs l’ONG Global Footprint Network s’est amusé à calculer le bilan carbone de certaines tournées, déterminant ainsi par exemple que la tournée 360° de U2 en 2006 avait généré 65 000 T de co2. Non, vous ne rêvez pas, j’ai dû relire deux fois les chiffres moi-même, c’est l’équivalent d’une petite ville française en une année. Ils avaient quand même deux avions et plus d’une centaine de techniciens avec eux pour un spectacle tout en débauche énergétique. Paradoxal pour un groupe dont le leader se veut un chantre de la protection environnementale.

Cet exemple est néanmoins extrême et peu représentatif manifestement des émissions d’une tournée mondiale d’un groupe, dont on peut néanmoins estimer qu’elle représente plusieurs milliers de tonnes de co2, déplacement des spectateurs inclus.

Hélas Coldplay n’a pas diffusé de chiffres quant à ses éventuelles émissions carbones lors de ses précédentes tournées, de sorte qu’on ne peut pas vraiment comparer.

Que pouvons nous faire ?

A titre individuel, le meilleur moyen de ne pas émettre de co2, comme d’habitude, est de ne rien faire. Ou plutôt, de ne pas aller à un concert ou un festival. Les différentes études menées par les artistes, festivals ou syndicats tendent à montrer que la grande majorité du coût carbone vient des déplacement – d’abord des spectateurs, ensuite du personnel et des artistes – et que tout autre levier de réduction des émissions de GES n’est qu’une mesurette par rapport à celles relatives aux déplacements.

Mais peut on vraiment demander aux individus de renoncer d’eux-même à aller à un concert ? Ca ne semble pas très réaliste.

Pour autant, la plupart des mesures mises en œuvre ne le sont guère non plus. L’information sur les transport en commun, le partenariat avec des compagnies de transport (bus, train), la mise en place de navettes pour rallier les parkings relais, la mise en lien avec des plateformes de covoiturage, ces mesures n’ont que des effets marginaux et ne changent pas fondamentalement la donne.

Éventuellement, vous pouvez venir avec des couverts réutilisables, et notamment une écocup, manger végétarien, local et zéro déchet. Pour un festival, dormir en tente à proximité. Mais les impacts seront faibles au final si vous êtes venu en voiture.

Les salles aussi ont leur rôle à jouer. Elles peuvent passer un contrat d’approvisionnement électrique avec un producteur d’énergie renouvelable, améliorer l’isolation thermique de la salle, choisir des matériaux de meilleure qualité, renoncer au plastique jetable et favoriser le tri des déchets, le compostage des restes alimentaires (catering inclus), limiter l’impression de flyers, choisir des projecteurs à LED et interdire les effets pyrotechniques, tout en incitant leur personnel à se déplacer durablement. Mais tout cela ne pèsera guère que sur 20 % des émissions de GES du concert.

La responsabilité repose bel et bien au final sur les artistes eux même, qui ont le pouvoir de décider à quoi doit ressembler leur tournée.

Parmi les mesures fortes à mettre en œuvre

  • diminuer drastiquement la taille de leur équipe, de manière à diminuer le nombre de véhicules et le carburant nécessaires, ainsi que les autres émissions annexes.
  • indexer le prix du ticket sur le moyen de transport utilisé par le spectateur pour venir : réduction pour les cyclistes, surtaxe pour ceux qui viennent en avion, etc. Voire offrir des avantages à ceux qui ont fait un effort pour leur mobilité.
  • Diminuer les dispositif scéniques, gros consommateur d’énergie et de matériel électronique : baisser le son, moins de projecteur, pas de pyrotechnie ou d’écran géant, etc.
  • Ne plus produire de goodies
  • proposer à bas coût une transmission du concert sur internet
  • Imposer un approvisionnement électrique en ENR aux salles et festivals
  • Imposer un approvisionnement local, bio et zéro déchet pour les boissons et nourritures proposées

Mais en fait, outre toutes ces mesures, il existe une mesure qui serait certainement plus efficace que toutes les autres, mais aussi plus contraignantes pour les artistes. Il s’agirait de réduire la taille de leurs concerts pour proposer plus de dates. Si au lieu de faire une ou deux dates par pays, les grands groupes en faisaient 10 ou 20, les spectateurs se déplaceraient de moins loin et réduiraient d’autant leur impact sur la planète. L’inconvénient, c’est que les tournées seraient plus longues et moins rentables, mais on ne peut pas avoir à la fois la protection de l’environnement et des bénéfices élevés.

Et pourquoi ne pas simplement compenser les émissions ?

L’autre concept à la mode actuellement est celui de compensation, tant pour le carbone que pour les sols artificialisés. Comme si on pouvait reconstruire à l’identique ce qui avait été détruit, comme si la nature était un puzzle dont les pièces pouvaient se détacher et se remettre ensemble au gré de nos envies. Compenser, c’est s’excuser après coup en espérant que le rattrapage postérieur permettra de compenser la faute commise. Ce n’est pas possible en matière climatique car le temps que l’action de compensation devienne effective, il se sera écoulé suffisamment de temps pour que les émissions de GES aient produit des intérêts et que leurs effets soient donc amplifiés par rapport à l’émission nominale de départ.

Ainsi, on parle souvent de planter des arbres pour absorber le co2. C’est l’exemple typique de la fausse bonne idée. Un arbre va prendre des dizaines d’années à pousser, avant d’arriver à sa pleine capacité de captation du co2. Son action prend donc beaucoup de temps. Par ailleurs, certaines initiatives de reforestation se font au détriment des populations locales, souvent des peuples premiers, qu’il est plus rentable d’expulser pour toucher les subventions climatiques que de laisser vivre sur leurs terres ancestrales.

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Et ce d’autant plus qu’une terre non forestière mais bien entretenue, exploitée sans intrants chimiques et sans labour, avec des méthodes alternatives comme l’agroforestrie ou le sylvopastoralisme, peut cumuler les avantages de la forêt avec ceux de l’agriculture pour arriver à une meilleure captation de co2 que celle promue par les programmes de reforestation.

D’autres méthodes s’appuient sur le financement d’action à destination des pays sous-développés dans le cadre des objectifs du développement durable. Ces méthodes sont louables et contribuent à améliorer les conditions de vie de ces populations tout en réduisant leurs émissions de GES, mais elles reposent souvent sur un prix dérisoire de la tonne de co2 (on parle d’une vingtaine d’euros) à mettre en balance avec les dégâts sur l’environnement que produisent les GES. Pour être pleinement efficaces, en dépit du délai qu’ils mettent pour atteindre leurs objectifs de compensation, ces programmes devraient être plus chers. Les transformer en solution au rabais ne paraît paradoxalement pas aller dans le sens de la réduction des émissions de GES.

Enfin, nous ne nous attarderons pas sur le financement des méthodes artificielles de captation du co2. Par définition, elles ne sont pas la solution à notre problème, puisqu’elles ont pour but de perpétuer le technocapitalisme sous un couvert acceptable.

Qu’en conclure ?

Il est heureux que les artistes prennent leur part dans la lutte contre le réchauffement climatique. Mais pour concilier leurs voeux pieux et des résultats concrets, il va leur falloir sérieusement revoir leurs pratiques en matière de tournée, dans un subtil mélange entre restriction sur leur comportement, cahier des charges exigeants envers les salles et incitations aux spectateurs à accompagner le mouvement.

Pour autant, l’objectif de la neutralité carbone pure est incompatible avec l’existence même des tournées planétaires de groupes comme Coldplay. Se fixer impérativement un tel objectif ne peut conduire qu’à ne plus se produire justement. ( ce qui est vrai pour bien d’autres événements artistiques, sportifs ou commerciaux par exemple)

En annonçant cela, Coldplay savait qu’il ne leur suffisait pas de dépenser 250 000€ (au prix des programmes de compensation) pour compenser leurs éventuelles 10 000T de co2 d’une tournée mondiale. Vu les bénéfices engrangés, ce serait risible. C’est le facteur 4 ou plus qu’il faut viser d’abord, c’est à dire une réduction d’au moins 75% des émissions de GES, et pour l’instant hélas, il n’y a que des hypothèses, pas de solutions miracles à déployer rapidement.

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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