Le bilan de la convention citoyenne du climat

La fin du processus de la convention citoyenne pour le climat laisse une impression ambivalente auprès de ceux pour qui la lutte contre le changement climatique est une nécessité impérieuse. Loin du rejet haineux des éditorialistes libéraux et des patrons du CAC40 ou de la passivité du grand public, cette impression est partagée entre espoir et crainte, satisfaction et déception. Pour autant, ce processus est une grande première qui a tenu ses promesses initiales. Nous ne pouvions en espérer plus, et il offre de nombreuses perspectives pour l’avenir.

Les promesses de la convention citoyenne pour le climat

Car, décidé comme une réponse aux demandes des gilets jaunes, la convention citoyenne pour le climat est en quête de légitimité. Les cahiers de doléance se traduisent en un besoin de clarification de ce que veulent vraiment les français. Correctement informés, guidés par des experts, mis au travail dans un cadre favorable et sur un temps long, ils reproduisent à leur échelle le travail parlementaire.

En ce sens, c’est une formidable réussite. Ils ont rappelé que chaque français, quelle que soit son origine, pouvait incarner la France. Ensemble, ils ont pu définir un corpus de mesures pour résoudre un problème, là où les états échouent depuis près de 30 ans. Sans pression financière, politique ou électorale, ils sont en mesure de changer les choses. En tant qu’expérimentation démocratique, cette convention citoyenne pour le climat suscite vraiment l’enthousiasme.

Elle offre ainsi une photographie française au sujet du changement climatique. C’est une méthode novatrice, probablement bien meilleure qu’un sondage, pour déterminer ce qui est acceptable. L’information est au coeur de la démarche. Les participants sont pleinement devenus citoyens au cours du processus. Leur responsabilité a été engagée, puisque sur leur implication reposait la réussite de la convention citoyenne pour le climat.

Et cela, ils l’ont fait. 149 propositions élaborées en groupes, affinées et débattues collectivement ont été remises au gouvernement.

Une démarche à améliorer

Il est difficile d’être véritablement satisfait par l’issue de cette convention. Certes, permettre à 150 citoyens tirés au sort de proposer des mesures pour lutter contre le changement climatique est heureux. C’est d’autant plus réjouissant qu’ils y sont parvenus au terme d’un processus de formation et de réflexion ex nihilo. Néanmoins, tout ceci s’est déroulé en méprisant tout ce qui s’était fait avant, en ignorant sciemment le cadre réglementaire et en simplifiant des problématiques interconnectées.

Un problème de méthode

La manière dont a été pensée et s’est déroule la convention citoyenne pour le climat questionne. En effet, des instances de participation à l’élaboration et la décision des politiques environnementales existent déjà. Les associations représentatives siègent dans les commissions publiques (votre serviteur est l’une de ces petites mains). La Commission Nationale du Débat Public organise déjà des débats impliquant citoyens et associations. Les enquêtes publiques sont l’un des socles de l’expression citoyenne.

Pourtant, l’organisation d’une telle convention se conjugue avec la remise en cause pernicieuse de ces 3 piliers de la participation citoyenne. Depuis plusieurs années, leur influence s’érode, la CNDP a été carrément écarté du processus, et les associations qui dérangent ne sont plus consultées.

Comme le rappelle France Nature Environnement, il serait plus pertinent de revenir sur ce qui a déjà fait ses preuves. Le CESE, au lieu d’opérer dans une certaine indifférence, devrait au contraire être valorisé et influer les politiques publiques.

Ce refus d’impliquer la société civile engagée est d’autant plus grave que la méthode de la convention citoyenne pour le climat pose problème. Elle alterne improvisation, intervention présidentielle, flou sur les procédures de vote. Il n’y a ni cadre légal ni obligation concrète. Elle a un objectif de moyen, pas de résultat. De bout en bout, le président de la république joue avec la société civile et fera ce que bon lui semblera de ses propositions.

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Des mesures qui existent déjà

Plusieurs mesures ont un problème qui serait ridicule s’il n’était pas révélateur d’une tendance lourde : elles existent déjà. C’est un phénomène que nous observons déjà chez les gouvernements successifs. Ils ne donnent pas les moyens aux administrations pour mettre en oeuvre une politique, et proposent donc une réforme. Cette réforme rajoute des pouvoirs et obligations, qui ne seront pas plus efficaces, puisque rien ne permet de les utiliser. La loi avia en était un bon exemple, puisque réprimant ce qui constituait déjà un délit.

C’est le cas du volet sur la rénovation énergétique. C’est un axe important de la lutte climatique, c’est indéniable. Mais la loi énergie climat de novembre 2019 impliquait déjà de profonds changements, notamment l’interdiction de location des passoires thermiques. Par ailleurs le dispositif ma prime renov et les mesures annexes permettent déjà aux ménages modestes d’accéder à la rénovation. Il ne manque plus qu’une chose en fait, la volonté politique.

encore un cale meuble ?

En matière de production agricole, la proposition sur les pesticides est cocasse. Depuis 15 ans, deux plans écophyto largement financés ont eux abouti à une hausse de la consommation de pesticides de synthèse. Tout comme les propositions halieutiques, qui demandent de continuer ce qui se fait déjà. A cela près qu’une bonne partie des propositions sont du ressort de l’Europe hélas… Une position qui se vérifie avec d’autres points demandant une remise en cause des accords internationaux. C’est d’ailleurs surprenant de constater à quel point ces propositions ne distinguent pas compétence nationale et européenne.

Cela se constate aussi en matière de gestion des déchets. Plusieurs des objectifs adoptés par la convention citoyenne pour le climat consistent à demander l’application de la loi. Appliquer ou renforcer la loi ne fait pas un plan de transformation de la société.

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Des mesures sans portée réelle ni cadre global

Au fond, le principal problème de cette convention, c’est son absence de véritable cadre. Qu’attendre de plus d’une assemblée guidée par le chantre de l’attitude du colibri. Les propositions de la convention citoyenne pour le climat proposent plein de mesures qui ne remettent pas en cause les choses. De la sorte, chacun est un petit peu acteur du changement, à son échelle.

Tout le monde veut du changement chez les autres…

La réflexion n’est pas portée à une échelle plus fine. Il n’y a pas de justice climatique portée dans ce cadre. Chaque citoyen est astreint aux mêmes obligations. Le résultat est quand même plus satisfaisant que lors de l’émission de Nagui sur les mesures que les français étaient prêts à engager. La preuve qu’avec la bonne information, chacun peut changer son comportement.

Pour autant, les propositions de la convention citoyenne pour le climat sont les rustines d’un système épuisé. Il n’y a pas de réflexion globale, seulement des adaptations de mesures déjà pensées et existantes. A bien y regarder, la moitié des mesures consistent à renforcer une législation. Le reste n’est bien souvent que de l’incantation sans objectif chiffré, ni mesure objective.

Ces 149 propositions servent parfaitement l’objectif présidentiel. Il n’y a pas de véritable dessein derrière. Les objectifs s’enchainent sans laisser apparaître véritablement de green new deal. Au final, ce sera au président d’ordonner tout ça et de lui donner un véritable rôle. Il récupérera donc les fruits de la convention citoyenne pour le climat en se proclamant à nouveau champion de la terre.

Les perspectives encourageantes d’une telle démarche

Pourtant, loin de tous les défauts que nous venons d’énumérer, il y a bien matière à se réjouir du résultat de la convention citoyenne pour le climat.

Vers une déclinaison locale des conventions citoyennes pour le climat

L’exemple national de la convention citoyenne pour le climat pourrait bien avoir une influence locale. Ce que je conseillais déjà dans l’article sur les décisions de l’urgence climatique.

Il est en effet primordial que la population soit associée à la déclinaison locale de la transition écologique. La réflexion et l’élaboration des mesures d’adaptation du territoire ne doit pas dépendre du seul conseil municipal. Et pour élargir l’audience, il n’y a rien de mieux que cette fameuse convention citoyenne pour le climat.

Que ce soit à l’échelon communal ou intercommunal, il est crucial que chaque composante sociale soit associée. Si un quartier ou une commune n’est pas pleinement associée à l’élaboration de la démarche, cela risquera de susciter des résistances. A contrario, la méthode de sélection par échantillonnage représentatif de la convention citoyenne pour le climat devrait apaiser les débats.

Et maintenant que nous savons que cette formule fonctionne, il n’y a plus de raison de tergiverser. Ce peut être une convention en début de mandat, régulière, annuelle ou de n’importe quelle autre forme, mais elle doit exister localement. Les élus ne peuvent plus demander d’efforts financiers, comportementaux et moraux sans impliquer plus profondément les citoyens dans la démarche.

Un retour en grâce du non-professionnel de la politique

Ce qui est frappant dans la démarche de la convention citoyenne pour le climat, c’est l’amateurisme des participants. Mais ce n’est pas du tout un gros mot. Au contraire, il est heureux que parfois des décideurs ne connaissent pas le sujet. La France, état à la tradition jacobine technocratique a trop tendance à favoriser l’expertise. Les diplômes de polytechnique, centrales et l’ENA arpentent depuis trop longtemps les coulisses du pouvoir. Et certains des plus grands fiascos peuvent leur être directement imputés. Notamment parce que leur expertise n’est pas neutre. A fond dans leur sujet, ils défendent aussi les intérêts qui sont derrière, ceux d’une entreprise, d’une association, d’un courant de pensée, d’un cadre idéologique.

A l’inverse, des citoyens tirés au sort pour être représentatifs n’ont pas d’arrière pensée. Il est bon parfois d’avoir une idéologie ou une pensée bien établie. Néanmoins, pour parvenir à un consensus éclairé obtenu par une discussion ouverte sans jeu d’appareil, ça ne fonctionne pas. C’est la confrontation de leurs amateurismes, nourris par les apports théoriques et concrets desdits experts qui permet d’obtenir un résultat valable.

La légitimité d’une décision est devenue chose précieuse aujourd’hui. La multiplicité des médias et canaux d’expression donnent à chacun la possibilité de s’exprimer, sans forcément se renseigner correctement. En échappant au temps court des réseaux sociaux pour privilégier une méthode d’intelligence collective, de transmission de connaissance et de collaboration entre citoyens représentatifs mais tirés au sort, la convention citoyenne pour le climat a renouvelé la manière de gouverner.

Un rapport complet porteur d’espoir

L’autre bonne nouvelle, c’est la production écrite de la convention citoyenne pour le climat. Contrairement à ce que laissent croire les éditorialistes, ce n’est pas seulement 149 propositions. Leur rapport est bien écrit, passionnant, nourri de nombreuses références et vraiment inspirant. Il m’a beaucoup rassuré, alors que je pensais moi aussi les propositions non chiffrées, sans indicateur de réussite.

D’ailleurs, un bureau d’étude s’est déjà penché sur la question du coût de ces propositions. Et entre les suppressions de niches fiscales et les dépenses (surtout liées à la rénovation), le coût en reste modique. Ces propositions coûteraient environ 6 milliards d’euros par an. Ce n’est pas anodin, mais c’est faible au regard des changements que cela implique. Surtout en comparaison de ce que coûtera le changement climatique – et ce qu’il coûte déjà.

Que 150 citoyens, que l’on peut supposer hostiles à certaines de leurs propositions au début du processus, en soient arrivés là est remarquable. Par exemple, il semblerait que 75% des français soient contre la baisse de vitesse maximale sur autoroute. Comme le souligne carbone4, cela signifie qu’une bonne information et un débat éclairé peuvent changer les opinions.Plus de 100 personnes ont compris que la restriction d’une liberté individuelle aussi symbolique était une concession dérisoire face à l’urgence climatique. Que ce constat soit gravé dans le marbre de leur rapport est vraiment réjouissant. C’est la preuve que les exhortations publicitaires et les incantations éditoriale n’ont pas encore totalement asservi l’esprit critique. Nous pouvons reprendre la main et combattre le complexe néolibéral qui détruit la planète.

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Conclusion

Face à la perspective de l’adapatation de nos sociétés aux dérèglements climatiques, la gouvernance top-down ne suffit plus. Il est indispensable de refonder le contrat social pour faire accepter des changements profonds dans nos organisations. Des libertés vont être réduites, c’est inéluctable, tandis que des contraintes vont s’accroître. Le budget carbone, quoique peu réjouissant, s’avère de plus en plus probable. La convention citoyenne pour le climat est l’une des clés pour obtenir une acceptation progressive et crédible de ces changements.

Certes, cette première mouture n’a pas forcément été aussi fructueuse qu’espérée. Mais en réalité, pouvait-elle faire mieux ? Pour les militants chevronnés, tels votre serviteur, elle sera toujours insuffisante car pas assez radicale. Pour les capitaines d’industrie et les journalistes à leur solde, c’est déjà trop. Mais pour le français lambda, ici incarné par les membres de la convention citoyenne pour le climat, ces mesures sont un compromis acceptable.

Le défi suivant sera d’en faire prendre conscience le reste des français. Car, défaut inhérent à la méthode, ils n’ont pas été correctement informés des projections climatiques et risques d’effondrement systémiques à moyen terme. Et même s’ils l’étaient, la situation médiatique actuelle ferait croire à une campagne de désinformation.

Et c’est pourquoi il faut reproduire la convention citoyenne pour le climat. A l’instar du mouvement alternatiba qui appelait à 10, 100, 1000 villages alternatiba pour présenter les alternatives pour changer le système, il nous faudra 10, 100, 1000 conventions citoyennes pour le climat, afin que chacun prenne conscience que ces propositions sont proportionnées et juste. Il est de la responsabilité de chaque intercommunalité, départements et régions de s’emparer de cet outil et de contribuer enfin à lutter contre l’urgence climatique en mobilisant la population à travers cet outil.

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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