Remplacer les fluides frigorigènes polluants

La climatisation serait présente dans 90% des habitations américaines. Pas de problème me direz-vous, il faut bien se rafraîchir quand il fait chaud. C’est vrai, mais ce serait négliger l’impact climatique conséquent des fluides frigorigènes. En effet, qu’ils servent à refroidir l’air dans les climatiseurs ou au contraire à le réchauffer à travers les pompes à chaleurs, ces gaz ont un pouvoir de réchauffement climatique considérable. Leur impact serait de 3% des émissions mondiales ! Or, le réchauffement climatique va booster leur usage, et donc leur impact climatique, C’est pourquoi il devient indispensable de remplacer les fluides frigorigènes les plus polluants pour atteindre la sobriété carbone. 

Les multiples types et usages de fluides frigorigènes

Ils sont partout autour de nous et c’est pour ça que remplacer ces fluides frigorigènes ne sera pas facile. D’abord, et c’est leur usage le plus connu, ils servent dans les réfrigérateurs, climatiseurs ou dans les pompes à chaleur. Ensuite, ils servent dans les aérosols comme ceux des extincteurs ou la ventoline, voire dans les machines servant au nettoyage des pièces mécaniques ou électroniques. Enfin, nous les retrouvons également dans les mousses synthétiques comme agent d’expansion, ce qui sert par exemple pour l’isolation des logements. 

C’est le premier usage qui nous intéresse le plus. Pour les autres, l’usage est soit confidentiel, soit il n’y a pas guère d’alternative et donc de matière à remplacer ces fluides frigorigènes, sauf par d’autres moins polluants. 

fonctionnement simplifié climatiseur

Leur effet sur la régulation de la température a de multiples applications. Ils sont donc présents dans les climatiseurs et pompes à chaleur. Cela recouvre aussi bien les usages domestiques, que commerciaux et industriels. Ils seront donc aussi bien pour les chambres froides, les véhicules, les hôpitaux, les cinémas, les commerces, les grandes surfaces, etc.

Il existe par ailleurs de nombreux types de fluides frigorigènes. Une quarantaine ont ainsi été répertoriés. Il peut s’agir de composés inorganiques (eau, co2, ammoniac), de composés organiques (ethanol, methanol, etc.),  d’hydrocarbures (propane, butane, etc.) ou de composés synthétiques (CFC, HCFC, HFC). 

Si actuellement l’agence internationale de l’énergie en recenserait environ 2 milliards, ce nombre devrait doubler d’ici 20 ans. Notamment pour équiper la plupart des foyers dans les climats tropicaux, sans lesquels les températures seront insupportables.

Problème et interdiction progressive des fluides frigorigènes

Le constat de la nécessité de remplacer les fluides frigorigènes les plus polluants vient de la découverte du trou dans la couche d’ozone en 1985. Ce sont en effet les fluides fluorés – les CFC et certains HCFC –  qui sont directement responsables de cette perturbation atmosphérique. A l’issue du protocole de Montreal de 1987, ils sont interdits et leur remplacement est prévu progressivement.

Le problème, c’est que l’alternative bon marché n’était guère meilleure que le mal originel. Les HFC sont en effet des fluides puissants et bons marchés, mais ils ont un fort pouvoir de réchauffement global (PRG). Si on considère que le PRG du co2 est de 1, certains HFC pouvaient atteindre 13 000…

C’est pourquoi en 2016 le protocole de Kigali est venu renforcer la législation en prévoyant l’interdiction des HFC. Là encore cette interdiction est très progressive, notamment pour les pays les plus pauvres.

De surcroît, l’Union Européenne a imposé des règles encore plus strictes dans son règlement F-Gas. Il prévoit ainsi un quota sur la vente des HFC jusqu’à leur interdiction totale en 2030. En outre, il limite le PRG maximal des alternatives possibles à 750 par exemple pour les climatiseurs ou 150 pour les réfrigérateurs.

Par ailleurs, ces protocoles ont été signés par tous les pays du monde, sous peine de sanctions commerciales. Ils imposent d’autres mesures comme l’amélioration l’étanchéité des circuits frigorifiques, de limiter purges et rejets et d’imposer une récupération systématiques des fluides en cas de changement ou démantèlement de l’appareil. Cela se traduit notamment par l’interdiction de la vente directe des conteneurs de fluides à des particuliers. Il faut ainsi une habilitation pour les manipuler.

Crédit tableau Base ademe

La forte croissance du marché des pompes à chaleur en question

En dépit de la progressive interdiction des fluides frigorigènes les plus dangereux pour le climat, la question reste grave. Pas seulement dans le monde, mais aussi en France. En effet, les circuits utilisateurs de fluides frigorigènes se démocratisent chez les ménages français, avec les effets pervers induits.

Le secteur de la pompe à chaleur est florissant. Les ventes, tous types confondus, on quasiment triplé entre 2012 et 2019. Le graphique ci-dessous permet d’identifier les tendances selon les types d’appareils.

marché pompe à chaleur

Les appareils air/air pour le chauffage, les plus courants se sont ainsi vendus à 500 000 exemplaires en 2019. Le marché du chauffage, qu’il soit à air ou à eau, assure le reste des ventes.  Les pompes à chaleur faisant à la fois chauffage et climatiseur – les chiffres tout en bas – ne représentent que 150 000 ventes.  C’est une tendance portée par les aides gouvernementales, qu’il s’agisse de ma prime rénov ou du crédit d’impôt, les deux étant généreux avec ces dispositifs. A raison, puisqu’il s’agit aussi bien d’équiper les logements neufs que de remplacer les chaudières à gaz et à fioul, voire les radiateurs électriques anciens.

Néanmoins, dans cette quête d’indépendance énergétique – notamment vis-à-vis du gaz russe – il est dommage de négliger les enjeux climatiques. En effet, alors que Meteo France prévoit des pics de chaleur autour des 50°C en été en 2050 (le record actuel est à 46°, c’est dire à quel point il fera chaud), leur usage va exploser très rapidement. Il s’agira de pouvoir agir très rapidement contre des fluides aux pouvoirs dévastateurs, alors que le nombre d’appareils les utilisant aura considérablement augmenté. Il ne sert à rien de passer d’un PRG de 14 000 à  700 quand on multiplie en même temps par 20 le nombre d’appareil les utilisant en France. L’effet sera le même.

Sur le même sujet :  Les Fables de l'Anthropocène

Ne pas vouloir remplacer plus rapidement les fluides frigorigènes très polluants est contraire à l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris.

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Un enjeu fort pour la transition écologique locale

Il ne s’agit pas de remplacer les fluides frigorigènes pour le plaisir de réguler. Derrière cette question, des enjeux d’ordre urbanistique et sanitaire se profilent, que nous ne pouvons ignorer. 

D’une part, le principe de fonctionnement du climatiseur est d’injecter de l’air frais dans les pièces en rejetant la chaleur à l’extérieur. C’est à dire que les rues deviennent plus chaudes de par leur usage.Le surcroît de chaleur pourrait aller jusqu’à 2°C en plus d’après une étude météo france et l’Ademe. Ça ne semble pas énorme, mais en période de forte chaleur, c’est un petit plus qui fait passer du difficilement supportable au mortel. 

La climatisation est alors un instrument de confort qui empire la situation des citadins. Cet effet réchauffant peut être compensé en repensant la ville. La végétalisation des toits, murs et rues est la solution principale, capable de rafraîchir l’atmosphère grâce à l’évapotranspiration. Jouer sur l’albédo des bâtiments avec des couleurs claires en est une autre.Un sujet sur lequel nous reviendrons dans un autre article. 

D’autre part, cet usage des fluides frigorifiques est très consommateur en énergie. Chauffer ou rafraîchir son logement sans privilégier une amélioration de l’isolation au préalable est un gaspillage d’énergie. L’agence internationale de l’énergie estime ainsi que le besoin en énergie pour alimenter les circuits frigorigènes pourrait tripler d’ici 2050. Cette hausse remettrait irrémédiablement en cause la stratégie de sobriété énergétique nécessaire pour la transition écologique. 

C’est d’autant plus grave que cette hausse est causée par du matériel de mauvaise qualité. Les fabricants trichent sur les performances de leurs appareils, prenant des hypothèses climatiques optimistes pour évaluer leur efficacité. De même, les subventions de l’ANAH pour l’achat de pompes à chaleur ne dépendent pas de leur efficacité. 

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Quelles alternatives aux fluides frigorigènes les plus réchauffants ?

Parmi les fluides frigorigènes existants, d’autres sont moins nocifs que d’autres. Malheureusement, ils ont d’autres inconvénients. Certains sont toxiques et/ou inflammables, voire inodores, ce qui les rend encore plus dangereux. D’autres sont moins efficaces pour transporter la chaleur et demandent donc plus d’énergie pour fonctionner. Il existe aussi des problèmes de compatibilité entre certaines familles de fluides, et il faut alors changer des pièces pour remplacer le fluide. Se pose aussi par ailleurs la question du coût à l’achat de certains fluides. Autant de paramètres qui rend la question du remplacement difficile à résoudre. Il ne s’agit ainsi pas tant de remplacer les fluides frigorigènes que de trouver l’alternative la plus efficace. Ce n’est pas pour rien que le co2 ou l’ammoniac, qui pourraient convenir, ne sont ainsi quasiment pas utilisés. L’AFCE a ainsi publié en 2018 un rapport sur les avantages et inconvénients de chaque solution. 

L’ONG Greenpeace avait ainsi développé son propre fluide frigorigène suite au protocole de Montreal. Partant du principe que les propositions renforcent les interdiction, elle avait ainsi mis sur le marché le greenfreeze. Plus cher que la concurrence, et nécessitant des adaptations techniques puisqu’il s’agit d’un hydrocarbure, il a par contre un PRG de seulement 3 qui le rend très intéressant. Néanmoins ses inconvénients l’ont empêché de se diffuser largement hors du marché du réfrigérateur domestique. 

greenfreeze
Hé oui, votre réfrigérateur contient du greenpeace en lui

D’autant que les fabricants de fluides ont un intérêt économique à inventer des fluides performants, puisqu’ils en détiendraient alors le brevet, ce qui leur assurerait une rente monopolistique.

De ce fait, la meilleure possibilité reste la rénovation énergétique. Un bâtiment dont le bâti assure une fraicheur naturelle en été et retient la chaleur en hiver est préférable à tout autre dispositif mécanique. 

Comment les communes peuvent remplacer les fluides frigorigènes ? 

Il n’est pas possible pour une commune de déterminer quel fluide peut être utilisé ou pas sur son territoire. Tant qu’il n’y a pas d’enjeu direct de sécurité, de salubrité ou de santé publique, le maire n’est pas compétent en la matière. Prétexter du fort PRG de certains fluides ou du bruit des pompes à chaleur ne suffit pas non plus. Ce qui ne signifie pas que votre commune est impuissante

D’une part, votre commune a un fort pouvoir d’influence et d’information. Il n’est pas rare que le bulletin municipal informe sur les possibilités de financement de la rénovation énergétique. Un complément pourrait être apporté en informant sur les différents fluides et donc sur leurs effets respectifs sur le changement climatique. Elle sera d’autant plus légitime dessus qu’elle aura fait ce changement sur les installations municipales, souvent assez critique sur le sujet de par leur taille. Écoles, équipements sportifs, bâtiments administratifs, Ehpad, églises sont ainsi des lieux à cibler en priorité. La communication sur les travaux opérés servira d’amorce au sujet. 

D’autre part, elle dispose aussi du pouvoir de soutenir les alternatives. A l’instar des collectivités qui abondent les financements de l’Anah, elle pourrait apporter un financement ciblé vers les meilleurs fluides frigorigènes. Par exemple, pour la pose d’une pompe à chaleur, le montant de la subvention pourrait varier selon le PRG du fluide. Evidemment, cette subvention pourrait aussi concerner le changement de fluide pour les installations déjà existantes. Nous pourrions par exemple partir sur une base de 50% du coût de la recharge dans une limite de 100€. Ce qui reste financièrement acceptable et déjà incitatif, considérant que climatiseurs et pompes à chaleur domestiques ne devraient pas dépasser ce montant. 

La mairie pourrait même aller plus loin en incluant le type de fluide utilisé comme critère environnemental dans les marchés publics. Une mesure qui inciterait l’industrie – forte consommatrice de frigorigènes – à l’exemplarité. 

Par ailleurs, si votre commune – comme nous le recommandions ici – finance un conseiller en rénovation, il peut agir aussi là-dessus dans ses conseils. 

Conclusion

Pour Paul Hawken, l’auteur du remarquable Drawdownremplacer les fluides frigorigènes au plus fort PRG est la solution la plus efficace contre le changement climatique. Malgré un coût élevé qu’il estime à 900 Mds de $ d’ici 2050, la lutte contre les fuites, l’optimisation des circuits, la systématisation de la récupération/destruction des fluides permettrait d’éviter jusqu’à 120 Milliards de tonnes de co2-équivalent d’ici 2050. C’est à dire que remplacer drastiquement ces fluides frigorigènes éviterait 3 ans d’émissions de co2. Ce n’est pas finalement pas si cher payé.

Hélas le gros du coût viendra des pays qui en ont le moins les moyens. L’échec du fonds vert pour le climat ne laisse guère place à l’optimisme quand à un mécanisme de solidarité sur le sujet. Ce n’est pas pour rien que des scientifiques viennent de découvrir que l’un des pires fluides – le HFC 23 –  au PRG de 13 000, était massivement utilisé en Chine et en Inde malgré son moratoire international. Il représente à lui seul quasiment 1% des émissions mondiale alors que son usage aurait dû diminuer de 90%… 

Pourtant il s’avère plus nécessaire que jamais de remplacer les fluides frigorigènes contribuant le plus au changement climatique. Et malgré la complexité du sujet, nous avons réussi à définir quelques possibilités d’intervention des collectivités locales peu coûteuses et néanmoins incitatives. 

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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