Remettre en cause le système économique

Au fond, la question du changement climatique n’est pas un sujet scientifique, mais bien un problème économique, ou plutôt politique. Il s’agit de savoir comment nous concevons le rapport de nos sociétés à la nature. Préférons-nous préserver la nature, vivre en harmonie avec elle ou exercer une prédation à son encontre. Notre système économique, dans la manière dont il est conçu et fonctionne, pourrait-il être incriminé pour ces perturbations ?

C’est pour répondre à cette question que début 2020, le philosophe français Pierre Charbonnier a publié un essai, Abondance et Liberté, qui revient aux racines philosophiques de notre rapport à la nature. Il y souligne ainsi les différentes théories politiques et économiques qui ont servi à faconner notre vision de la nature. D’objet de peur, elle est devenue sujet scientifique, puis ressource naturelle à exploiter à l’envi. Ses affordances se sont ainsi révélées progressivement et ont servi de base au développement exponentiel des civilisations qui ont su en tirer parti.

Son constat est alors glaçant, les libertés dont nous bénéficions actuellement reposent exclusivement sur la surexploitation systématique des ressources naturelles. Et par liberté, il n’entend pas forcément la liberté d’expression, mais bien la liberté d’aller en vacances en avion à l’autre bout du monde, la liberté de manger de la viande à chaque repas, la liberté de jeter un objet après usage. 

La liberté d’exploiter la nature

Mais cette liberté est indissociable de la croissance économique qui, depuis les travaux d’Adam Smith, est devenue la valeur cardinale de la civilisation occidentale. Les pays les plus riches, c’est à dire les plus développés selon ce point de vue, sont ceux qui offrent également le plus de libertés à leur citoyens, de sorte qu’ils peuvent s’affranchir des limites planétaires plus facilement que les habitants des autres pays. Mais cela n’est plus tenable.

En effet, il existe un lien assez clair entre richesse et émissions de gaz à effets de serre. Plus un système économique est prospère et offre de confort à ses membres plus ils dégradent leur environnement. Il n’est pas possible d’imaginer rester dans un modèle de société prônant la croissance économique, c’est-à-dire l’augmentation des richesses par un accroissement de l’activité, une hausse de la demande et donc de l’exploitation des ressources, tout en cherchant à atteindre la neutralité carbone. Ces deux objectifs sont antinomiques. 

Et même si les mirages technologiques semblent promettre une coexistence entre ces deux desseins, cela ne reste que des mirages. Si certes sources d’énergie émettent assez peu d’énergie, il est empiriquement assez facile de constater d’une part qu’il existe un lien entre l’augmentation de la consommation d’énergie et la croissance économique mondiale.

La courbe orange représente ainsi le PIB moyen par habitant au niveau mondial, tandis que la courbe bleu symbolise la production de pétrole. Cette production surréagit toujours aux variations du PIB. Quand il diminue, la production diminue encore plus. Quand les revenus augmentent, la production explose. Cette surréaction est caractéristique d’un marché qui considère que l’offre crée la demande, et donc qu’il faut profiter des embellies pour produire toujours plus. 

L’énergie alimente la croissance du système économique

Or BP, dans sa revue statistique annuelle de la consommation d’énergie, relève que les énergies fossiles représentent encore 84% des sources d’énergie primaire en 2019, le charbon et le gaz étant à peine moins utilisés que le pétrole en réalité. En baisse continuelle d’année en année, mais encore largement majoritaire donc. Et le pétrole étant la moins polluante des sources d’énergie par rapport au gaz et au charbon, il est aisé de se rendre compte que cela pose un sérieux problème quand la consommation d’énergie fossile détermine autant le dynamisme du système économique globalisé. 

Et c’est bien ce que nous rappelle ce graphique. Il y a une superposition quasi-parfaite entre la consommation d’énergie finale et la croissance économique, le PIB mondial étant actuellement aux alentours de 80 000 milliards de $, bien qu’il va certainement diminuer en 2020 suite à la crise sanitaire. 

Décarboner l’activité économique et tendre vers une planète zéro fossile, comme le demandent les climatologues, n’a donc rien d’une sinécure. Même dans une société à la production électrique déjà largement décarbonée comme la France, notre dépendance aux énergies fossiles reste considérable pour la mobilité individuelle et le fret commercial, pour le chauffage, la cuisson des aliments, la production électrique.

Le mythe du découplage

Bien que certains économistes prônent la transition vers une croissance verte découplée des limites planétaires exposée par Pierre Charbonnier et explosées par l’usage des énergies fossiles, rien ne vient pour l’instant confirmer que ce soit une solution viable. Les études sur le sujet démontrent, empiriquement et théoriquement, que de telles tentatives échouent, incapables de réussir le passage à une échelle économiquement viable, et que rien dans les perspectives techniques ne semble permettre un succès ultérieur.

En effet, outre les problèmes liés au solutionnisme technique que nous avons vus dans un article précédent, nous ne devons pas oublier que l’économie des services repose sur une base matérielle considérable et que le recyclage des matériaux à l’infini n’est qu’un mythe publicitaire, et non la réalité des usines. Le découplement, comme nous l’avions vu lors du chapitre sur l’empreinte carbone, consiste essentiellement à délocaliser ses activités polluantes dans des pays aux normes environnementales plus souples, ce qui a permis à la France de prétendre avoir diminué son empreinte carbone de 30% en 30 ans tandis que ses usines partaient en Asie…

système économique

Timothée Parrique, docteur en économie, expose ainsi dans sa thèse The political economy of degrowth, qu’il est temps d’arrêter de mesurer le développement de notre société à l’aune de la croissance économique, qui ne révèle en vérité que notre niveau de destruction de la nature. Il compare ainsi l’économie à un lego, un assemblage de briques qu’on peut démonter pour leur donner une forme différente. La décroissance est donc une autre forme de l’économie, une forme qui respecte les limites planétaires et promeut des principes comme la démocratie directe, la tempérance, la justice distributive et la solidarité envers tous les êtres vivants. Il faut alors se demander ce qui est socialement utile, ce dont nous avons besoin pour vivre, la source de valeur du travail, l’accès aux services. 

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Car la décroissance est une forme d’innovation, elle apporte une réponse à la question de comment repenser l’économie sans la croissance économique et sans la possibilité d’exploiter librement les ressources naturelles. Naturellement, cela va signifier une baisse des revenus, puisque la disparition brutale et prévisible des énergies fossiles d’ici une dizaine d’années va nécessairement affecter tout aussi brutalement le PIB Mondial.  Mais nous pouvons réorganiser la société, et cet ouvrage présente quelques pistes là-dessus, pour que cette baisse nominale de richesse ne se traduise pas par une perte effective de confort et de bien être. 

Conclusion

Repenser le système économique avec la décroissance, c’est le faire de manière planifiée, sereine et débattue collectivement. Les vulnérabilités de notre système économique et écologique se renforcent de jour, rendant la perspective d’un effondrement partiel de notre société de plus en plus probable. Comme disait Margaret Thatcher, il n’y a pas d’alternative, sinon la décroissance subie…

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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