Les enjeux de l’empreinte carbone

Quand on parle climat et transition écologique, il est de plus en plus souvent question d’empreinte carbone. Pourtant, cette notion ne reste pas claire pour de nombreuses personnes, ainsi que sa portée et son périmètre. Cet article se propose donc une explication approfondie de ce concept. Pour savoir comment calculer votre empreinte carbone personnelle et vous comparer avec les données exposées dans cet article, je vous renvoie vers ces très bonnes explications du site Bonpote. Pour des explications sur le concept annexe de comptabilité carbone, je vous renvoie vers mon article dédié.

Définir un budget carbone pour la France

Si la transition écologique n’a pas de véritable définition officielle, elle a pourtant un objectif final assez clair : réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) jusqu’à atteindre la neutralité carbone. C’est à dire arriver au point où nous captons plus de GES que nous n’en émettons, cela s’appliquant uniquement aux émissions d’origine anthropique. La difficulté vient du périmètre choisi, c’est à dire des GES pris en compte. Généralement cet objectif ne considère que le seul dioxyde de carbone, mais d’autres définitions prennent en compte le méthane et autres gaz. Se pose également la question de la différenciation parfois difficile entre les GES d’origine naturelle ou anthropique, notamment lorsqu’ils proviennent d’un territoire occupé par l’Homme, sans que cette distinction soit aisée à réaliser.

Par ailleurs, cela dépend aussi du choix des émissions prises en compte dans le périmètre. Ainsi, la plupart des calculs ne retiennent pas les émissions dites UTCATF, c’est à dire Utilisation des Terres, Changement d’Affectation des Terres, Foresterie, qui recouvrent justement des terres gérées par l’Homme, mais sur lesquelles la distinction est difficile. Par ailleurs, afin de faciliter la compréhension, les émissions des GES sont converties en équivalent co2 en fonction de leur PRG, afin de disposer d’une grille de lecture unique.

En 2019, les émissions mondiale représenteraient ainsi 43 gigatonnes d’équivalent co2, alors que les puits naturels de carbone peuvent en capter environ 17 gigatonnes. Au début des années 2010, les émissions mondiales représentaient 30 gigatonnes. Leur taux de croissance annuel actuel est donc à 3%. Il y aurait donc environ 2200 gigatonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre. 

Si nous voulons avoir une chance de rester en dessous des +2°C de réchauffement climatique, nous ne devons pas dépasser les 3200 gigatonnes. Il nous reste donc en 2020 un peu plus de 1000 milliards de tonnes de co2 à dépenser. Or, la population mondiale (et son niveau de vie) ne cesse de croître, de même que les émissions de GES A ce rythme là, il nous reste moins de 20 ans de budget carbone. Ralentir est donc une urgence pour accroître la marge de manoeuvre et augmenter les chances de limiter les dégâts.

Problèmes méthodologiques de l’empreinte carbone

Mais il existe une autre difficulté méthodologique, celle de la comptabilisation des émissions nationales. Deux méthodes antagonistes existent, utilisées en fonction des intérêts nationaux. D’un côté vous trouverez l’inventaire nationale, qui correspond à l’intégralité des émissions de GES issues des activités qui se sont produites sur le territoire national. De l’autre côté, c’est l’empreinte carbone, qui considère ce qui est vraiment utilisé par la population nationale, c’est à dire que cette méthode ne compte pas les émissions liées aux exportations mais ajoute celle des importations. C’est un peu la même distinction méthodologique que celle entre le PIB et le PNB. 

Mais dans le cas de la France, la différence entre les deux conceptions est de taille. En effet, en 2019 les activités françaises ont émis environ 460 mégatonnes d’équivalent co2 selon l’inventaire national. A l’inverse, l’empreinte carbone des français est estimé à 720 mégatonnes. les 260 mégatonnes de différence sont clairement expliquées par le Haut Conseil pour le Climat comme venant de la désindustrialisation subie par la France depuis les années 90.

C’est pourquoi il est plutôt faux d’affirmer que la France a diminué son empreinte carbone en 30 ans, puisque nous importons désormais les sources d’émissions que nous avons délocalisées dans les pays en développement. Cela signifie aussi que certains pays voient leur empreinte carbone diminuer par rapport à leur inventaire nationale. C’est le cas par exemple de la Chine, dont on estime que cela permet de baisser de 30% environ leur contribution au changement climatique, puisqu’elle n’émettrait plus alors que 10 gigatonnes d’équivalent co2.

Quelle répartition équitable ?

Et c’est là toute la difficulté de la définition d’un budget carbone, qui va varier selon les indicateurs choisis. Les négociations internationales butent sur cet obstacle, chaque pays avançant la méthode qui lui permet d’avoir le budget le plus avantageux. Pour certains, les émissions restantes doivent être proportionnelles à la population, pour d’autres au PIB, voire à l’empreinte carbone individuelle. Mais un autre élément perturbateur est encore à considérer, puisque ce budget devrait également varier en fonction de la contribution totale des pays au changement climatique.

Cela implique de considérer les émissions nationales depuis 1850 pour indiquer les responsabilités respectives de chaque pays. Une conception notamment portée par les pays en développement, qui n’ont qu’une très faible responsabilité dans les émissions mondiales de CO2, mais qui ont besoin d’en émettre encore pour rattraper leur retard vis à vis des pays de l’OCDE et atteindre ainsi un confort de vie similaire.Dans une telle perspective, les équilibres seraient encore une fois radicalement différents comme le résume le tableau ci-dessous.

ZonesEmissions 2018PIB 2019populationEmpreinte individuellecontribution 1850-1990contribution 1990-2015
Chine10k T25.3k Mds $1400M7T10%15%
USA5kT20k Mds $330M15T20%15%
UE3.3k T22k Mds $450M7.3T20%12%

Il ne sera donc pas facile d’établir une répartition équitable des quotas carbone restants, si nous souhaitons ne pas dépasser les +2°C, au vu des différences de situation ne serait ce qu’entre les 3 zones les plus puissantes. Le hic, c’est que lors des COP, chaque pays a une voix, quelle que soit sa puissance réelle. Or, les pays du Pacifique, qui s’estiment – à raison – déjà menacés par le réchauffement climatique, font pression pour que la responsabilité historique soit le critère déterminant, tandis que les pays en développement sont eux aussi tentés par cette position, mais offrent en réalité leur voix au plus offrant. 

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Le quota carbone restant de la France

Dans son étude “Le Défi climatique des villes », le WWF a tenté de proposer une méthodologie de construction d’un budget carbone appliqué à la France en répartissant ce budget en fonction de la population et du niveau de développement. Cela a permis à l’ONG de calculer que pour rester en dessous des +2°C, il restait environ de 10 à 15 ans d’émission carbone aux villes françaises. Au-delà, les émissions que nous continuerions à faire seraient prises à des pays qui en ont besoin pour construire des infrastructures de base (énergie, école, hôpitaux, logements, etc) ou pour résister aux premiers effets du changement climatique.

Leur méthode est de reprendre la population des 10 plus grandes villes françaises, et de calculer leur budget total par rapport aux 1000 gigatonnes restantes. Mais vu l’empreinte carbone de ces territoires, cela ne leur laisse guère que 15 ans pour réagir dans l’optique de rester en dessous des +2°C. Pour l’objectif des +1.5°C max, ce budget est déjà quasiment épuisé à l’heure actuelle. Et ce alors même que la plupart de ces agglomérations affichent des engagements volontaristes dans la réduction de leurs émissions, qui ne se concrétisent pourtant pas dans les faits. 

L’objectif de neutralité carbone de la France en 2050 est un leurre, pire c’est un vol des capacités à émettre de pays qui en ont plus besoin que nous. Si la France, et les pays de l’OCDE, n’ont pas achevé leur transition écologique en 2035, nous sommes alors assurés de dépasser les +2°C avant 20502. 

Cette étude a en ainsi le mérite de recontextualiser également ce concept de responsabilité historique en même temps. Car un pays comme la France, qui figure parmi les pays les plus puissants et les plus développés au Monde, possède les infrastructures lui permettant d’assurer un confort de vie optimal à ses habitants et de résister aux premières conséquences du changement climatique. Le revers de la médaille, c’est que nous n’avons en fait plus beaucoup de droit à polluer.

Une stratégie français de retardement des efforts

Pourtant, concrètement, nous ne sommes pas encore capable d’atteindre la neutralité carbone dans le délai imparti, à moins d’un revirement brutal et radical de notre mode de vie dans les 5 prochaines années. Une transformation que le cabinet conseil B&L évolution avait tenté de mesurer en 2018 dans une étude qui avait fait grand bruit, tant les mesures proposées pouvaient choquer par la réduction du confort individuel qu’elles supposent. 

Par ailleurs, la France n’a pas attendu un arbitrage international pour décider de son budget carbone. La Stratégie Nationale Bas Carbone est la partie stratégie d’un plan de décarbonation de la France. C’est le document qui fixe l’objectif de réduction des émissions nationales, détermine des échéances et planifie des budgets quinquennaux pour y parvenir. Remis à jour fin 2020 pour intégrer les données récentes sur les émissions nationales et internationales, il fait le constat d’un échec du premier quinquennat. La France n’a pas tenu ses objectifs. Ainsi, de 2015 à 2018, contrairement aux accords pris par la France durant la COP21, les émissions nationales n’ont pas baissé, mais pire elles ont augmenté. 

Que ce soit le Haut Conseil pour le Climat, le Conseil National de la Transition Écologique ou même l’Autorité Environnementale et Le Conseil Économique, Social et Environnemental, toutes les instances consultatives constatent le manque d’ambition concrète de la France dans la mise en oeuvre de ses objectifs de décarbonation.La nouvelle SNBC ne fait qu’intégrer la dette climatique que la France a contracté sans chercher à rendre les objectifs encore plus forts pour compenser. D’un autre côté, c’est plus réaliste, mais de l’autre côté c’est admettre que nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire.

Et c’est normal puisque cet objectif et les budgets afférents ne sont pas inscrits dans la loi, ni n’imposent de compatibilité avec les projets de loi. La stratégie existe, mais rien ne contraint le gouvernement à la respecter. De toute manière, elle a été fixée avec un périmètre trop restreint, qui ne considère que l’inventaire national et exclut le transport international.

Or pour l’instant, la SNBC repose sur des progrès techniques en terme d’efficience énergétique et d’intensité énergétique plutôt que sur de véritables efforts de sobriété pour permettre l’atteinte des objectifs prévus. Elle compte d’ailleurs plus sur le changement spontané de comportement des individus, sans considérer les besoins en accompagnement et formation que cela va imposer aux collectivités locales.  Et pour cause, puisqu’en occultant cette dimension, ce sont des moyens financiers et humains supplémentaires qui n’ont pas besoin d’être pourvus. Montrer aux individus les efforts à faire, les rendre conscients des impacts du changement climatique et des leviers à leur disposition, est pourtant une étape clé de la transition écologique. 

Diminuer l’empreinte carbone individuelle

Car la démarche de la transition écologique repose inévitablement sur une transformation de notre mode de vie, par une réduction de l’empreinte carbone individuelle. Dans cet ouvrage, et pour la suite, nous n’utiliserons pas les chiffres de l’inventaire national. Ainsi, le ministère de l’environnement estime à 11.2T eq.CO2 nos émissions annuelles individuelles. Cela représente environ 720 millions de tonnes, soit un peu moins de 2% des émissions mondiales.

Or, pour arriver à un équilibre où la captation de carbone égale ou surpasse les émissions de GES, il faudrait réduire cette empreinte individuelle de 85% pour arriver à 2 tonnes de co2 par individu et par an. A travers le présent ouvrage, et les politiques locales que peuvent mener communes et intercommunalité, nous verrons justement comment ces deux collectivités peuvent contribuer concrètement à cet objectif.

Une tentative de répartition individuelle

Cet objectif de deux tonnes équivalent co2 par habitant est inscrit dans les accords de Paris et sert de base aux calculs de réduction des budgets carbones inscrits notamment dans la stratégie nationale bas carbone. Il s’agit d’un budget cible, pas d’une certitude absolue. Il a été calculé entre d’une part l’objectif de puits de carbone naturels captant 18 gigatonnes de co2 en 2050 et d’autre part une population mondiale stabilisée à 9 milliards d’individus. Pour peu que les puits de carbone ne soient pas aussi performants qu’espéré, voire que certains commencent à relâcher leur stock de co2, ou que la transition démographique mondiale ne soit pas suffisamment rapide, et la neutralité carbone pourrait bien signifier des budgets individuels encore plus bas. 

Il existe plusieurs manières de répartir sectoriellement ces émissions. Mais plutôt que de les diviser entre secteurs d’activités, et afin de rendre cette empreinte plus lisible, nous allons la visualiser entre les postes de dépenses individuels. Grosso modo, il y en a 5.

  • Le logement, qui représente 22% de l’empreinte individuelle, dont 14% pour la production d’électricité et de chauffage. 
  • L’alimentation, soit 19% de l’empreinte individuelle, avec la plus grosse part représentée par les produits animaux (13%) 
  • Les biens de consommation, également à 22%, représentés essentiellement par les vêtements (6%) et les appareils et services électroniques (9%)
  • Les transports, la plus grosse part avec 25%, dont 16% pour les déplacements automobiles et 4% pour l’avion.
  • Les services publics, soit 12% du total, et qui englobent aussi bien les hôpitaux et les écoles que la police, l’armée et les administrations locales. 
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Ce rapide tour d’horizon permet déjà de se rendre compte des ordres de grandeur en jeu, et de leur inégale répartition selon les situations. Selon les ménages, la répartition ne sera pas du tout la même. Les personnes résidant en villes ont moins d’émissions liées au transport que celles vivant à la campagne. Il existe même un lien assez étroit entre les émissions de gaz à effet de serre et le revenu des ménages, que nous étudierons dans la section suivante.

L’effet contreproductif des efforts individuels

Comme le rappellent les auteurs de l’étude Faire sa part “Ce Français moyen n’existe évidemment pas : il n’est qu’une vue de l’esprit qui permet de manipuler des données commodes. Une étude plus fine pourrait segmenter les différents niveaux d’émissions de GES pour des individus issus de chaque classe socioéconomique et les leviers d’action à disposition de chacun (exemple pour la mobilité : une forte utilisation de transports en commun et beaucoup d’avion pour un CSP+ urbain, beaucoup de trajets en voiture thermique pour un individu de classe moyenne rurale ou périurbaine, etc.)”. C’est pourquoi, en vue de l’accompagnement des populations vers leur transition écologique individuelle, il pourrait être utile d’aider les individus à calculer leur propre empreinte carbone pour prendre conscience de l’impact de leur mode de vie sur le climat, et des leviers qui sont à leur disposition pour agir. 

Pour autant, ainsi que le souligne le cabinet conseil Carbone 4 dans son rapport « Faire sa part« , il est illusoire de faire reporter le gros de la réduction sur les seuls individus. Ils ont besoin d’être accompagnés pour comprendre les enjeux et leurs leviers d’action, mais aussi d’être encouragés par des subventions, tout en étant contraints à la réduction par la norme. Par exemple, la rénovation énergétique performante d’un logement coûte entre 20 à 30 000€ pour atteindre la classe A. Sans les aides publiques (Anah, Crédit d’impôt, prime CEE), les avis des conseillers Espace Info Energie et les éco-prêts à taux zéro, ce serait impossible pour de nombreux ménages.

Or la réduction de la consommation d’énergie consacrée au chauffage est un des meilleurs moyens de réduire l’empreinte carbone nationale. Quant au transport, si les collectivités ne mettent pas en place d’équipements permettant une mobilité durable, il est difficile de renoncer à l’automobile. D’autant que c’est aussi à l’industrie de se transformer, de réduire la puissance des voitures, d’allonger la durée de vie des appareils, leur réparabilité, d’utiliser des matériaux écologiques, de renoncer aussi à des technologies trop impactantes, etc. 

Le rôle de l’industrie

La répartition de l’empreinte carbone par secteurs permet d’ailleurs se rendre compte un peu mieux de la place nécessaire – indispensable – des industriels dans cette décarbonation de l’économie française. Le ministère de la transition ne fait reposer l’empreinte carbone sur les seules épaules des ménages qu’à hauteur de 17%, 120  MT donc, pour le transport et l’usage d’énergie domestique. Les émissions nationales sont dominées par la transformation des produits pétroliers à hauteur de 100MT (14%), puis de l’industrie agroalimentaire avec 75MT (11%). Le BTP se place bon 3e des sources d’émissions privées avec 60MT (8%). 

D’ailleurs, dans cette étude, les auteurs soulignent que les individus peuvent au mieux espérer assez facilement leur empreinte carbone de 25%, soit environ 2 tonnes, à moitié par des changements de comportement, à moitié par des investissements. Il s’agirait ainsi d’améliorer l’isolation de son logement, manger flexitarien, faire du vélo pour les trajets courts et covoiturer le plus possible, acheter local et d’occasion.

Il serait possible de porter cette part de réduction individuelle à 50% de l’empreinte actuelle en demandant des efforts plus lourds, ce que l’étude appelle une démarche héroïque. Héroïque car contre-productive également, en ce sens qu’elle ,suppose des sacrifices réels, une contrainte très forte qui peut décourager les individus, les contraindre à changer d’attitude sans conviction. Il s’agirait alors d’adopter une alimentation strictement végétarienne, d’arrêter les trajets en avion, de rénover complètement son logement, d’acheter un véhicule électrique, de réduire drastiquement ses achats de vêtements neufs, etc. Des mesures qui pourraient paraître nécessairement seulement en ignorant que le problème n’est pas seulement individuel, mais bien collectif.

C’est la structure socio-technique de la France qui contraint les individus à émettre autant de gaz à effets de serre, même sans mener un train de vie particulièrement dispendieux. Les constructeurs automobiles proposent essentiellement des véhicules thermiques, l’Etat français continue à exonérer le secteur aérien de nombreuses taxes, la rénovation des logements n’est pas assez soutenue (et la taxe carbone pas assez élevée pour inciter le passage à l’acte), la PAC soutient encore trop fortement l’alimentation carnée, etc. Ce sont des choses sur lesquelles les ménages n’ont pas de levier d’action, il n’est donc pas juste de faire porter la responsabilité de cette réduction sur leurs seules épaules sous prétexte qu’ils ne jouent pas le jeu d’écogestes qui, par définition, ne sont de toute manière pas suffisants.  

Et c’est d’autant plus vrai que nous ne sommes pas tous égaux face aux conséquences du changement climatique, ni sur les possibilités d’agir.

Inégalité sociale et empreinte carbone

Les émissions carbones sont en effet très élastiques au revenu. D’après une étude réalisée par les économistes Lucas Chancel et Thomas Piketty, plus un ménage a de revenus, plus son impact écologique sera fort. En France, le premier décile émet ainsi en moyenne 8 fois moins de gaz à effet de serre que le dernier décile. Pour le premier décile, l’effort de neutralité carbone n’est donc que de 1.8T, tandis que pour le dernier décile, il est de 29..2 tonnes. Voyages en avion, logements plus grands, vêtement de haute couture, mets exotiques et fortement carnés sont autant de facteurs – parmi d’autres – expliquant cet écart. Il serait ainsi très facile de réduire l’impact carbone des ménages les plus aisés sans toucher au mode de vie des français moyens. 

Une autre étude réalisée pour l’Université de Cambridge par les économistes Diana Ivanova et Richard Wood, pousse l’analyse jusqu’à comparer revenus et empreinte carbone au niveau européen. Elle montre clairement que le dernier centile,  le % des individus les plus aisés de l’Uniorn européenne émettent 43 tonnes de co2 par an, tandis que le dernier décile, les 10% les plus aisés en émettaient en moyenne 19. 7% des ménages français appartiennent aux 10% européens et contribuent à hauteur de 2% aux émissions européennes. Traduits en ordre de grandeur, deux millions de français émettent autant que 8 millions d’européens moyens.   

Cela se vérifie d’ailleurs empiriquement très bien au niveau mondial. Les pays les plus riches sont également ceux qui émettent le plus, avec peut être une exception pour les pays pétroliers, où la richesse n’est pas forcément répartie de manière très équitable. Le lien entre PIB et consommation énergétique est établi depuis longtemps avec une courbe proportionnelle assez remarquable. Or, les émissions carbone dépendant essentiellement du secteur énergétique, le lien de causalité entre les deux dépasse alors la simple corrélation. 

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Quota individuel ou restriction générale

Cette différence permet d’expliquer l’indignation que peut susciter les travaux de la convention citoyenne pour le climat. Les remarques telles que « khmer vert » ou « écologie punitive » sont le fait de ceux qui constatent que de telles mesures égalitaires signifieraient une réduction considérable de leur train de vie climaticide.En effet, si vous n’avez plus qu’un budget de deux tonnes par an, peu importe que vous gagniez un ou dix smics par mois, vos possibilités seront plus ou moins les mêmes.

C’est aussi pour cette raison que le principe de quota carbone individuel peut séduire quand il est adossé à un marché permettant aux individus les plus vertueux – ou plutôt les plus financièrement désespérés – de vendre une partie de leur quota à ceux qui en ont besoin. Une telle mesure ne permettrait jamais, même aux plus riches, de retrouver le faste de leur mode de vie antérieur.

S’il apparaît ainsi plus facile de mettre en place une taxe carbone, c’est pourtant un leurre. La taxe carbone est un pis-aller pour éviter de mettre en place des quotas et des réductions des émissions. Sans indexation de la taxe sur les revenus et le patrimoine des ménages, ces mesures n’auront aucun effet dissuasif. Un ménage aisé peut se permettre de payer pour ses écarts, tandis qu’une telle taxe est insupportable pour les travailleurs pauvres. Cependant, ainsi que le proposent Chancel et Piketty dans l’étude précédemment citée, une taxe carbone indexée sur le revenu fiscal peut être envisageable, puisqu’elle reposerait ainsi très largement sur les individus émettant le plus, et qui contribueraient ainsi financièrement à l’effort de transition écologique de leur territoire. 

L’inconvénient de ces mesures est qu’elles reposent exclusivement sur le bon vouloir des Etats, dont nous avons vu qu’ils n’étaient pour l’instant pas très disposés à mettre en place de mécanismes contraignants de réduction des empreintes carbone. Or, si nous ne pouvons pas compter sur le législateur pour accompagner cette transition vers un mode de vie bas carbone, cette tâche revient donc aux collectivités locales. Grâce à leurs compétences propres, ainsi que le rappelle le GIEC dans son rapport de 2018, elles auraient de 50 à 70% des leviers d’action nécessaires pour atteindre la neutralité carbone et respecter les accords de Paris.  

Conclusion

Nous avons dépassé les limites physiques planétaires par notre mode de vie, et il est temps de se mettre au régime pour éviter d’empirer le changement climatique. Cela passe inévitablement par la prise en compte systématique de l’empreinte carbone de nos activités. Il faudra alors répartir le budget carbone restant, moins de 1000 gigatonnes, entre la population mondiale, en espérant que cela suffise pour atteindre la neutralité carbone.

Malheureusement, vu les trajectoires actuelles et les prévisions des Etats quant à leur pic d’émissions carbone, cela semble d’ores et déjà compromis. Pour autant, il sera nécessaire de mettre en place des émissions maximales pour les individus. Cela pourrait se faire de manière inégalitaire, selon les revenus, ou au contraire strictement égalitaire selon le nombre d’habitants. Plus finement encore, il nous faudra débattre collectivement des efforts que nous sommes prêts à faire, des sacrifices auxquels nous pourrons consentir. Car en divisant notre empreinte carbone par 6, et même en comptant sur le progrès technique pour diminuer l’empreinte carbone des activités, il faudra indubitablement réduire notre mode de vie. Mais la solution technocratique ne sera certainement pas la bonne.

Les méthodes exposées par Yael Benayoun et Irénée Régnaudl dans leur remarquable ouvrage sur la démocratie technique pourraient sans doute nous y aider. C’est tous ensemble, sur nos territoires et par référendum national que nous devons envisager les secteurs à réformer. Nous n’avons plus le choix de l’objectif, seulement de la méthode.

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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