La transition suppose la fin de la guerre entre communes

L’examen des différents documents de prospective des collectivités (projets de territoire, PADD, programme électoraux, etc.) montre un constat similaire quelle que soit la collectivité envisagée : toutes pensent pouvoir profiter des années à venir.

Et c’est légitime, aucun candidat ne se fait élire en promettant une stagnation de la situation, voire de ralentir le déclin. Pour gagner dans l’échiquier politique, il faut promettre des mesures qui profiteront à tous, qui permettront de s’enrichir, de voir la population s’agrandir, les clients affluer, la bonne santé se généraliser et d’avoir accès à des infrastructures de qualité proches de chez soi. 

Définir un bon maire

Un bon maire est un maire qui construit des bâtiments, rénove l’existant, améliore le cadre de vie, accroît la population, maintient l’identité de la commune tout en sachant attirer des commerces et entreprises. En fait, Un bon maire maintient un équilibre entre des désirs contradictoires et pourtant souvent exprimés par les mêmes personnes.

Car attirer des habitants et des commerces à de nombreux effets positifs pour la commune, les mauvais pouvant être délégués à l’intercommunalité (comme la gestion des aires d’accueil des gens du voyage par exemple)

  • L’accroissement des revenus fiscaux des ménages et entreprises, ainsi que de la dotation globale de fonctionnement
  • L’accroissement du chiffre d’affaires des commerces locaux
  • Le maintien des différents niveaux de classe scolaire
  • L’augmentation des possibilités légales
  • La hausse de l’influence au sein du conseil communautaire
  • L’Inflation des indemnités des élus

Plus de revenus et d’habitants signifie incidemment plus de travail mais aussi plus d’agents municipaux à gérer. Mais aussi des besoins supplémentaires en éducation, culture, sport, sécurité, espaces verts, animation municipale, santé. Le confort augmente en proportion de la croissance de la population, et donc la satisfaction des habitants.

Par conséquent, les maires se retrouvent à entreprendre des projets qui n’ont aucun autre sens que de se faire réélire. Agrandir des aéroports quand l’avion est voué à disparaître, concevoir de nouvelles autoroutes quand il faudrait éviter d’artificialiser les champs, autoriser les zones d’activité quand les centre-villes se meurent, sur-dimensionner des incinérateurs, concentrer toujours plus d’activité dans des métropoles déjà surpeuplées quand il faudrait équilibrer les territoires.

Un bon maire, d’après les critères d’avant la crise climatique, empire la situation.  L’enfer est pavé de bonnes intentions.

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La volonté de puissance

Difficile de le leur reprocher. Tant les institutions, que les organismes de formation ou de collégialité des élus poussent dans ce sens. Ainsi que le rappelle l’économiste Gaël Giraud, ils ont grandi et ont évolué grâce à l’idée qu’il fallait croître pour s’imposer et réussir. Et pour résister aux attraits des grandes et moyennes villes, il faut bien développer les petites villes, les rendre compétitives et confortables. C’est un souhait universel.

Comme les habitants qui votent pour eux. Les maisons individuelles relèvent de l’idée héritée des 30 glorieuses selon laquelle chacun peut s’élever et devenir un petit bourgeois avec sa maison individuelle – gage de tranquillité sonore et olfactive – et son petit jardin, pour cultiver ses propres légumes, se délasser en famille ou faire pousser des fleurs, le tout à l’abri des regards des voisins grâce à un mur ou une haie de résineux. Quand on a travaillé dur, enchainé les heures et les boulots, sans se plaindre, en faisant tout ce qui est attendu de nous, il est bien normal de pouvoir avoir sa propre maison, quitte à faire quelques kilomètres de plus pour faire les courses ou aller travailler.

Et ce chef d’entreprise, petit artisan, gérant d’une TPE/PME, profession libérale, qui aspire à plus et mieux. Il démarche les intercommunalités pour trouver un joli terrain où se rendre visible, où bâtir un grand dépôt, un centre médical, une pépinière d’entreprises, et prévoit grand, car il y accueillera beaucoup de nouveaux salariés, qui auront chacun leur voiture, mais aussi les clients et commerciaux avec leurs voitures. Il lui faut donc de grands terrains, dans un territoire dynamique offrant des facilités de recrutement et des accès routiers aisés.

Le maire souhaite le bonheur de ses concitoyens

Un maire proposant de renoncer à la croissance de la prospérité potentielle de la commune pour la préparer à une catastrophe hypothétique est la négation des efforts et des sacrifices qui ont permis à chacun de s’installer dans les périphéries des villages. Pire encore, il renvoie chacun à sa responsabilité individuelle, déchire devant nous le voile réconfortant du décalage prométhéen grâce auquel nous pouvons commettre des actes que nous réprouverions chez les autres, mais qui nous paraissent normaux puisque nous avons gagner le droit de le faire.

Nous voulons tous être des héros – c’est à dire mener notre existence en libre arbitre – avoir un impact sur d’autres, marquer les esprits et ne pas être oublié. Avoir une belle voiture allemande, une maison individuelle avec piscine et partir deux fois par an à l’autre bout du monde est la concrétisation matérielle de cette aspiration. Voter pour un maire qui participe à ce rêve en développant la commune en est son pendant sociétal.

Ainsi, nous saurons que ce maire est combatif. Il veut le meilleur pour ses habitants, et pour ce faire il saura convaincre les investisseurs de construire leurs franchises dans des baraques en tôle, les institutions de financer ses projets et les salariés d’acheter ses cages à lapin. C’est un bon maire, puisqu’il remporte des batailles de papier et s’impose par rapport aux autres, s’affiche glorieusement sur le papier glacé des magazines communaux.

Il défriche, ouvre à l’urbanisation et construit même sans perspective d’y parvenir, car si lui ne le fait pas, les autres ne vont pas s’en priver.

L’équilibre de la terreur des maires

Comme dans la théorie des jeux, soit aucun prisonnier ne parle et tout va bien, soit tous parlent et aucun n’y gagne quoi que ce soit, soit l’un d’eux parle à l’insu des autres et se fait blanchir. C’est un équilibre de la terreur qui se met en place insidieusement. Les Maires savent qu’ils doivent construire pour gagner, quand la stagnation de la population et de l’activité économique est un déclin. C’est pourquoi il faut ouvrir des lotissements, des routes et des zones commerciales même quand il n’y a personne pour les remplir, au cas où une conjoncture positive surviendrait par hasard et permettrait de s’en servir. D’autant qu’avec un peu de chance, la moitié est payée par des subventions.

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Ainsi, pendant longtemps, cette compétition entre les maires était plutôt un jeu à somme non nulle, où personne ne perdait vraiment, le développement des villages permettant de compenser partiellement la tentation de l’exode rural. Il fallait urbaniser et consommer du foncier, c’est un fait indubitable, puisque c’est le gage d’une société développée selon nos critères. Chaque commune devait sortir une zone d’activité moins chère et mieux située que la voisine, offrir un lotissement plus verdoyant, une école mieux équipée, et ainsi de suite, telle une futile course aux armements entre des protagonistes qui s’épuisent dans une vaine compétition.

Mais, alors que la croissance de la population et de l’activité s’essouffle, tandis que l’environnement se dégrade, le jeu devient à somme nulle. Ce que nous prenons à la Terre, elle le perd. Et elle ne le récupèrera quasiment jamais. De même, les GES que l’atmosphère gagne, nous ne pourrons les récupérer que difficilement.

Vers une croissance de la mutualisation intercommunale

Désormais, développer son village signifie détruire la Terre. Mais ne pas développer son village signifie encore faire décliner son territoire. Un drôle d’équilibre de la terreur est en train de s’instaurer où il faut développer pour maintenir sa place tout en faisant mine de respecter la législation environnementale. Chacun sait que son voisin pourrait commettre de gros dégâts et remporter la mise, mais ce serait aussi du même coup une victoire à la Pyrrhus, ce qui n’intéresse au fond personne.

C’est dans cette optique que les intercommunalités, avec leurs compétences à l’échelle d’un territoire et leurs schémas de mutualisation intercommunale, permettent de réduire la compétition et incitent les maires à coopérer, à développer une vision commune. Au-delà, ce sont les SCOT, les PETR et les SIVOM qui permettent de coopérer et de dessiner un avenir de collaboration territorial fructueuse.

Car désormais, il n’y a plus que deux choix pour les communes : gagner tous ensemble en s’adaptant aux changements climatiques…ou perdre tous ensemble.

L’ampleur de la crise exige d’un maire de prendre des décisions courageuses, à contre-courant de ce qui semble nécessaire pour séduire ses électeurs et tenir ses promesses, mais bien plus intéressantes à long terme que tout ce qui peut être entrepris d’autre. Renoncer à la volonté de puissance individuelle et collective pour coopérer permet de dégager des solutions économes et résilientes.

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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