La sécurité, priorité des Régions et Départements ?

Le thème de la sécurité est au coeur des élections des départements et régions 2021. Ce marqueur fort des politiques de droite est désormais utilisé à toutes les sauces et dans tous les contextes. Pourtant, alors que ni le conseil départemental, ni le conseil départemental n’a de compétence obligatoire ou optionnelle lui permettant d’assurer des missions de maintien de l’ordre, l’irruption de cet axe politique dans la campagne surprend, voire questionne.

Pourtant, la sécurité est belle et bien l’un des fondements d’une action publique départementale et régionale forte et adaptée aux circonstances. Mais ce n’est pas la sécurité qui vise à réprimer les mouvements de protestation des populations précarisées par les politiques de droite ou à criminaliser l’immigration, c’est une sécurité qui permet une société durable, résiliente et capable de surmonter la crise climatique.

Ainsi que le disait Greta Thunberg, je veux que vous ayez peur, mais pas du chômeur, de l’étranger ou des personnes racisées. Je veux que vous ayez peur des vulnérabilités systémiques prévisibles et qui ont déjà commencé : de l’effondrement des populations d’insecte, de l’érosion des sols, de la pollution de l’air, des pics de chaleur et de ruptures logistiques. Je veux que vous ayez peur des crises environnementales contre lesquelles Régions et Départements ne font rien, alors qu’elles pourraient beaucoup. C’est de la sécurité concrète, collective, qui fait appel à l’altruisme et à l’intérêt général, non à la peur et à la colère. Ça doit faire moins vendre.

Définir la sécurité

Quand vous regardez la catégorie sécurité des budgets publics – 6.5 milliards d’euros par an – vous y trouvez essentiellement les communes, mais aussi les départements. Pour les communes, pas de mystère, c’est la police municipale, les ASVP et éventuels garde champêtres qui représentent l’essentiel de cette somme, ainsi que leurs équipements. Quant au département, sa compétence sécurité porte uniquement sur le financement des services de pompiers. Il est probable qu’une bonne partie des 2.6 milliards d’euros des départements leur sont consacrés, tout en considérant que les subventions départementales portent également sur l’équipement des forces de police et la vidéosurveillance et revient donc aux communes in fine. Les dépenses de sécurité de la région sont essentiellement liées à la sécurisation de ses infrastructures.

La sécurité est une compétence clé du bloc communal qu’il n’est pas possible de ne pas évoquer dans le contexte de la transformation écologique du territoire. Ainsi le code général des collectivités territoriales prévoit dans son article l2212 que la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Ce terme de police municipale ne doit pas forcément s’entendre sous son sens commun de forces de l’ordre, mais de capacité du maire à prendre des mesures réglementaires. En effet, pour assurer le fonctionnement des services, le maire a besoin d’arrêtés définissant les règles de fonctionnement de la commune.  C’est ce que l’on appelle la police administrative, dont le but est de prévenir les troubles à l’ordre public, contrairement à la police judiciaire, qui les réprime.

Il ne s’agit pas uniquement de la police de la route, mais aussi de celle de l’environnement (déchets, animaux et nuisibles), de la sécurité des personnes (salubrité des édifices, hygiène des commerces alimentaires), du commerce (foire, marché, publicité), et la liste n’est pas exhaustive . De plus, ce pouvoir de police a aussi un but de prévention des risques, que ce soit à travers l’éclairage public ou par la prévention des risques via des documents traitant des risques naturels et technologiques.

Dans tous les cas, la sécurité consiste soit à prévenir un risque ou à y mettre un terme. Les départements et régions se situent plutôt dans la partie prévention. Ces deux collectivités sont en mesure d’anticiper de nombreuses vulnérabilités systémiques qui menacent déjà notre mode de vie, et ce sans avoir à gaspiller de l’argent dans des politiques de sécurité qui ne servent à rien comme la vidéosurveillance…

La sécurité sanitaire

Ni le département, ni la région n’ont à proprement parler la gestion d’établissements de santé (hormis quelques Ehpads pour le département). A travers ses compétences sociales, le conseil départemental possède un pouvoir d’influence sur les établissements médico-sociaux et pourtant leur pouvoir sanitaire est plus grand qu’il n’y semble.

Ils pourraient ainsi agir largement contre la pollution de l’air, qui causerait de 48 000 à 67 000 morts par an en France. Sur les routes départementales, les départements pourraient mettre en oeuvre des aménagements visant à réduire la vitesse dans les traversées de ville, notamment près des écoles et des établissements recevant du public. 

De même, tant le département que la région ont une influence sur l’agriculture, que ce soit au titre de la préservation des cours d’eau ou de l’instruction des fonds européens FEADER. A ce titre, en promouvant une agriculture écologique, ils pourraient limiter les émissions d’azote et d’ammoniac liées aux épandages de produits phytosanitaires et de lisiers et donc diminuer la pollution de l’air, mais aussi tous les troubles neurologiques et cancéreux liés à l’usage de ces produits. 

Avec la gestion des ports, les Régions et Départements ont là encore un moyen de lutter contre la pollution de l’air, puisque la plupart des paquebots et cargos n’éteignent pas leurs moteurs une fois amarrés, car l’électricité tirée de leur moteur coûte moins cher que l’électricité du réseau terrestre. En forçant les navires à couper leur moteur, ils réduiraient les nuisances pour les villes portuaires.  La même règle d’arrêt des moteurs pourrait s’appliquer également aux gares routières.

La sécurité économique

L’économie est au coeur des compétences du conseil régional, mais aussi indirectement du conseil départemental. Pourtant, ils ne font rien pour garantir la sécurité économique des territoires.  Ils agissent ainsi tant au niveau du développement des entreprises (plutôt PME), de l’offre de formation, de l’aménagement de zones d’activités, voire dans le soutien à la recherche de pointe.

Par exemple, en réorientant le financement de la formation professionnelle vers les métiers de la transition écologique et énergétique, de l’agroécologie, les régions permettraient le développement de filières qui ne peuvent pas délocaliser, ne polluent pas de manière démesurée, qui redynamisent leur territoire et lui permettent de se renforcer face aux crises environnementales.

Source : Ademe

A travers son Schéma Régional de Développement Économique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII), la Région influence l’action des PME de son territoire. C’est le cadre concret définissant les orientations régionales, et donc les financements que va accorder la région. Il serait légitime qu’elle les oriente vers la transition écologique, la relocalisation de l’activité, la sobriété énergétique et non vers des projets illusoires reposant sur la croissance verte et le découplement de l’activité. Nous n’avons déjà plus le temps.

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Les départements, dans leur politique de soutien au développement des territoires ruraux, devraient cibler les aménagements permettant de dynamiser les centre-bourgs, les petits villages. Or, ils font l’inverse et favorisent l’insécurité économique, la délocalisation et le déficit commercial en finançant des zones commerciales périphériques, des contournements et autres infrastructures ne gardant pas l’argent dans les territoires qui en ont besoin. Quand les petits commerces de centre-ville ferment à cause d’un hypermarché, la perte est supérieure aux recettes engendrées par les grandes surfaces. Et le département encourage cette insécurité économique.

La sécurité des transports

Parmi les mesures sécuritaires les plus absurdes se trouvent celle de mettre des vigiles dans toutes les gares d’Île de France. Pourtantl’insécurité n’est pas là ! Elle réside dans l’existence d’un réseau ferroviaire mal cadencé, peu fiable, avec des rames vétustes et favorisant la diffusion des maladies. Arriver en retard au travail, à un entretien d’embauche ou à un rendez-vous professionnel parce que le train n’est pas fiable, c’est une source d’insécurité pour les salariés et professionnels. Si les Régions arrêtaient de financer des aéroports inutiles – et elles en financent des dizaines comme ça – elles pourraient rendre le réseau ferroviaire plus efficace et donc sécuriser les emplois de ceux qui en dépendent pour aller travailler, voire créer de nouvelles opportunités économiques à moindre coût. 

Continuer à soutenir des aérodromes n’accueillant que quelques milliers de passagers par an, c’est non seulement une gabegie financière, mais un crime environnemental. Il n’est déjà plus temps d’expliquer pourquoi il faut arrêter l’avion pour des petites lignes intérieures, les salariés concernés pourraient tout aussi bien se reconvertir dans le ferroviaire, et l’argent jusqu’ici gaspillé serait mieux employé avec une infrastructure sobre en énergie et indispensable au maillage des territoires ruraux. 

Quant aux départements, il serait temps qu’ils se décident à construire des infrastructures cyclables dignes de ce nom au lieu de se contenter de peindre des bandes latérales le long de leur route, sans les séparer physiquement. La majorité des cyclistes tués en France le sont hors des agglomérations, quand ils se font renverser par des conducteurs qui roulent sur une chaussée qui protège les automobilistes, et non les cyclistes. Personne n’a envie de se faire frôler par un véhicule roulant à 80 km/h, qui klaxonne dans vos oreilles pour vous avertir qu’il arrive et vous serre parce qu’il veut vous doubler sans attendre qu’il n’y ait plus de véhicules en face…

Et sans parler vélo, leur rôle dans le développement de lignes de Bus à haut niveau de service ou de système d’autopartage est crucial. En lien avec les intercommunalités, ils peuvent reconnecter les territoires les plus isolés pour permettre de diminuer la possession de voitures individuelles et ainsi fluidifier le trafic restant. En effet, en vertu du paradoxe de Braess, la fluidité du trafic augmente avec la réduction du nombre de voies, pas avec leur augmentation.

La sécurité alimentaire

Le changement climatique perturbe les cycles agricoles, le gel tardif de début avril l’a amèrement rappelé. Dans le même temps, le risque de rupture logistique suite à une flambée du cours du carburant (ou au blocage du canal de Suez) fait peser un vrai risque sur l’approvisionnement alimentaire de la France. Que font les régions pour prévenir ce risque ? Rien, et pourtant elles pourraient faire tant de choses !

Le département a un rôle à jouer en matière de circuits courts, et pourraient soutenir les communes dans la structuration de filières locales, dans la création de régies agricoles communales, d’ateliers de transformation comme des conserveries. De plus, il intervient dans les remembrements, ou plutôt les aménagements fonciers agricoles et forestiers de leur nouveau nom qui, conçus avec un objectif environnemental, pourraient redynamiser les zones agricoles épuisées par une exploitation intensive. La création de haies, de mares, de bosquets pourrait aider à transformer les openfields en un bocage mieux adapté aux rigueurs du changement climatique.

Source : Les Greniers d’Abondance

Il en est de même pour la région, qui avec la gestion du FEADER pourraient influencer les exploitations pour moins dépendre des engrais azotés qui polluent les cours d’eau, mettre en place une rotation des cultures plutôt que d’épuiser les sols avec la monoculture, préférer des équipements sobres en énergie et non des serres chauffées au fioul. Mais là encore, les conseils régionaux préfèrent écouter l’appât du gain plutôt que de travailler sur la sécurité alimentaire à long terme de leurs territoires. Le président des Hauts de France, Xavier Bertrand, se plaignait ainsi dans un entretien que l’Etat ne fait pas assez pour préserver l’agriculture française. Qu’il regarde la poutre dans son oeil ! Ce qui tue l’agriculture française, c’est la perpétuation d’un modèle intensif délétère qui ne permet pas de concurrencer le reste du monde.

Et l’un comme l’autre, grâce au pouvoir d’influence que leur donne la gestion de restaurations collectives administratives et scolaires accueillant des millions de personnes chaque jour, ils pourraient soutenir la structuration de filière agricole plus vertueuse, refuser les produits importés, pas de saison, suremballés ou ultra transformés. Dès maintenant, régions et départements devraient s’engager à 20% de bio et 50% de produits locaux et de saison au minimum. En refusant de le faire, ils créent de l’insécurité alimentaire dans les territoires dont ils ont la charge. Le blocage vient souvent des prestataires de cuisine, qui s’y refusent. En finançant des cuisines centrales dans les intercommunalités, pour alimenter tous les établissements (écoles, collèges, lycées), les collectivités pourraient enfin améliorer la qualité de la restauration. Département et région pourraient ainsi s’engager dans l’obtention du label territoire bio engagé pour toutes leurs cantines !

La sécurité énergétique

La perspective d’un pic pétrolier et gazier semble de plus en plus inévitable, le charbon est décrié, tandis que le nucléaire ne parvient plus à convaincre de sa sûreté. L’Europe s’achemine lentement vers une crise énergétique majeure, et ce d’autant plus que le besoin d’électrification de la mobilité et du numérique empêchent toute politique de sobriété efficace. 

La région est pourtant chef de file en matière de transition énergétique. Il lui revient de garantir un approvisionnement en énergie en promouvant d’un côté la production d’énergies renouvelables, mais aussi en réduisant les besoins grâce au soutien qu’elle peut apporter aux services d’accompagnement à la rénovation énergétique. Or pour l’heure, les régions n’encouragent guère le développement de ces plateformes, alors qu’elles sont le meilleur moyen d’informer les propriétaires sur la rénovation de leur logement et donc l’économie d’énergie. Et consommer moins d’énergie, c’est garantir la durabilité du réseau !  C’est aussi de l’emploi local, les besoins pour le secteur étant énormes…

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Avec le SRDEII dont nous avons parlé précédemment, elle a là encore de quoi soutenir les filières de la transition énergétique. Ses priorités pourraient ainsi se porter sur des énergies renouvelables comme la géothermie ou l’hydrogène vert, qui ont besoin d’une planification régionale pour progresser. Mais la Région peut aussi soutenir l’émergence de coopératives citoyennes de production, ou encore veiller à la conformité des PLU avec les objectifs du SRADDET (voir section suivante) pour le développement des EnR.

Le département, dans son soutien à la création de zones d’activités et commerciales – qui ne devraient plus désormais être créées que quand aucune autre alternative n’est possible afin de limiter l’artificialisation des sols – pourrait améliorer la production d’énergie renouvelable en veillant au respect de la loi obligeant à installer des panneaux solaires photovoltaïques sur les ombrières de parking et les bâtiments d’au moins 1000m². Car face au chantage à l’emploi, elles cèdent encore trop souvent et taisent les manquements des promoteurs à cette obligation, fragilisant ainsi un peu plus le mix énergétique français. 

La sécurité environnementale

Face au risque d’effondrement de la biodiversité et de dérèglement des températures, la sécurité environnementale devrait être la priorité des collectivités locales. C’est pourtant encore loin d’être le cas. 

Pourtant, il n’y a pas plus grande source d’insécurité que la crise environnementale à venir. Les rendements agricoles vont baisser, les espaces naturels vont se fragiliser, la vie quotidienne deviendra moins confortable, l’espérance de vie diminuera et la croissance économique en pâtira. Tout ce contre quoi se battent ceux qui défendent l’idée d’une sécurité non environnementale sera amplifié justement parce qu’ils ont refusé de prendre les mesures de sécurité nécessaires quand il était encore temps. 

Le conseil régional est ainsi une collectivité fortement tournée vers la planification et la coordination, mettant ainsi en oeuvre plusieurs schémas régionaux ayant une influence sur l’environnement. Ainsi avec le SRADDET, le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, la région est censée rechercher une protection des sols, des espaces naturels, de l’air, de l’eau, mais y rechigne pour ne pas pénaliser la partie économique de ses compétences.  Ce faisant, elle condamne son territoire à une inadaptation face aux conséquences de la crise environnementale que nous ne faisons encore qu’entrevoir. C’est là une grave source d’insécurité. 

Il en est de même en matière de déchets avec le plan régional de prévention et de gestion des déchets, encore trop souvent tournés vers la construction d’incinérateurs et le recyclage bête et méchant. Les déchetteries pourraient se transformer en ressourcerie si les régions soutenaient cette conversion, et ainsi envisager que les déchets puissent connaître une nouvelle vie dans la réparation et le réemploi avant d’être vraiment détruits. Avec des démarches économiques plus poussées en matière d’économie circulaire et de gestion durable des filières, ce serait là aussi un moyen de réduire les externalités négatives en sécurisant des sources d’approvisionnement en matière première. 

Là aussi, le département a son rôle à jouer. Contrairement à la région, il n’est pas dans la planification mais dans l’ingénierie concrète. Les conseils départementaux mutualisent des services techniques spécialisés pour les petites communes et financent leurs projets. Il est temps qu’ils réorientent leurs activités et leurs priorités budgétaires vers des projets qui préservent notre avenir, c’est à dire n’artificialisent pas les sols, ne polluent pas les cours d’eau ou l’atmosphère, mais permettent au contraire la résilience des communes françaises, la décarbonation des activités, la régénération des espaces naturels. Ils doivent changer les critères d’attribution de financements publics pour faire varier les taux en fonction de la valeur environnementale des projets.

D’ailleurs, tant les régions que les départements peuvent gérer des zones naturels (parcs naturels régionaux notamment), qui sont autant d’espaces où la biodiversité peut être préservée. Permettre à des espèces essentielles au fonctionnement des forêts, des champs et de tous les espaces naturels de perdurer, c’est là encore une forme de sécurité à long terme trop souvent sous-estimée !

Conclusion

En matière de sécurité, les régions et départements peuvent beaucoup. Beaucoup plus qu’on ne le pense généralement. Mais les aspects de sécurité ne sont pas envisagés comme tel. Nous parlons d’énergie, d’environnement, d’agriculture, de transport ou de santé, mais tout ça, c’est aussi de la sécurité ! C’est une sécurité positive, qui renforce le lien social et génère des emplois qui ont du sens. Cette sécurité améliore le service rendu par les départements et les régions au lieu de les transformer en autorité de répression et de ségrégation.

Demandez plus de sécurité aux Régions et Départements, c’est possible. D’ailleurs la sécurité sera aussi une compétence clé des communes en transition écologique, comme je l’explique ici.

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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