Les politiques de sécurité de la transition écologique

La perspective d’un drame environnemental suscite bien des tentations sécuritaires. Le développement des gated communities, les ventes records de bunkers et d’îles soulignent cette volonté qu’ont certains privilégiés de se mettre hors d’atteinte des troubles qui pourraient remuer la population. Qu’on la prenne par l’angle technologique ou militaire, le renforcement à outrance de la sécurité dans les villes est un risque fort de transition écologique.

La sécurité représente pour les collectivités locales une dépense annuelle de 6,5 milliards d’euros en 2017, dont à peine 450 millions d’euros en investissement. Il est difficile de connaitre la répartition précise de ces financements, faute d’une évaluation globale. Mais le département ayant une compétence sécurité portant uniquement sur le financement des services de pompiers, il est probable qu’une bonne partie des 2.6 milliards d’euros des départements leur sont consacrés, tout en considérant que les subventions départementales portent également sur l’équipement des forces de police et la vidéosurveillance.  De plus, les villes de plus de 20 000 habitants  sont obligées de mettre en oeuvre  la compétence de lutte contre l’insalubrité des logements, aussi chargés de traiter la présence de parasites, insectes, rongeurs, les pollutions diverses, notamment  environnementales, nuisances de voisinage, etc. Ces agents assermentés sont donc une alternative à la police municipale et associés au budget sécurité. Tout compris, la sécurité représente donc 4% des dépenses locales, loin derrière l’enseignement (15%) ou même la culture (5%).

Mais les choses devraient évoluer. De 2011 à 2019 le nombre de policiers municipaux a ainsi crû de 31% d’après le média spécialisé Maires Info, faisant passer les effectifs de 18 000 à quasiment 24 000 policiers municipaux. Dans le même temps, le CNFPT, après avoir réalisé un sondage sur les besoins des collectivités en formation des policiers, a décidé de recruter de nouveaux formateurs, anticipant une possible arrivée de 7500 policiers supplémentaires d’ici la fin du mandat 2021-2026. 

Et c’est tant mieux. Dans une perspective de prise en compte de la ville comme un bien commun, vous avez besoin de personnes pouvant surveiller l’usage de la ressource commune, réprimer les abus et exclure ceux qui ne respectent pas les règles. Un territoire qui n’a pas de force de police, instituée ou officieuse, ou qui n’a pas réfléchi aux moyens de compenser cette lacune,  ne pourra guère être considéré comme un commun. Au premier coup dur, les comportements de resquilleurs prendront le dessus, et les bonnes volontés seront balayées. Sans sombrer dans un sécuritarisme pouvant s’assortir de restrictions unilatérales des libertés individuelles, vous avez besoin de cette institution au service de l’intérêt général. 

Elle pèse lourd tout en venant en complément des dépenses de l’Etat pour le maintien de l’ordre. C’est donc une compétence particulière car partagée, mais pour laquelle la tendance est clairement à la hausse dans un contexte de crainte du terrorisme et de repli sur soi. c’est pourquoi il est important de questionner les politiques de sécurité dans la perspective de la transition écologique des territoires.

Le maire et l’ordre public

La sécurité est une compétence clé du bloc communal qu’il n’est pas possible de ne pas évoquer dans le contexte de la transformation écologique du territoire. Ainsi le code général des collectivités territoriales prévoit dans son article l2212 que la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Ce terme de police municipale ne doit pas forcément s’entendre sous son sens commun de forces de l’ordre, mais de capacité du maire à prendre des mesures réglementaires. En effet, pour assurer le fonctionnement des services, le maire a besoin d’arrêtés définissant les règles de fonctionnement de la commune.  C’est ce que l’on appelle la police administrative, dont le but est de prévenir les troubles à l’ordre public, contrairement à la police judiciaire, qui les réprime.

Ces règles, ce sont les arrêtés municipaux, qui peuvent ainsi être plus restrictifs que la réglementation nationale, mais ne peuvent pas l’être moins. Naturellement, ces décisions sont soumises à un contrôle de légalité préfectoral qui s’assure de leur conformité à la loi. Ce pouvoir de police est précisé par la jurisprudence administrative, qui a pu ensuite encadrer, préciser et confirmer ses limites et possibilités. Dans ce cadre, le maire peut autoriser, interdire, restreindre certaines libertés publiques, voire réprimer les infractions ou à tout le moins les signaler à l’autorité judiciaire.

Il ne s’agit pas uniquement de la police de la route, mais aussi de celle de l’environnement (déchets, animaux et nuisibles), de la sécurité des personnes (salubrité des édifices, hygiène des commerces alimentaires), du commerce (foire, marché, publicité), et la liste n’est pas exhaustive . De plus, ce pouvoir de police a aussi un but de prévention des risques, que ce soit à travers l’éclairage public ou par la prévention des risques via des documents traitant des risques naturels et technologiques.

Les pompiers sont également partie intégrantes des enjeux de sécurité de la transition. Même s’ils dépendant hiérarchiquement d’un service départemental, lui même dirigé par le conseil départemental, les maires ont un pouvoir d’influence fort sur les groupements de pompiers présents sur leur territoire. Depuis la loi NOTRE de 2015, la compétence des communes sur le financement des pompiers peut être transféré aux intercommunalités, ce qui est assez logique vu que ce rôle de prévention des risques demande une vision plus large que la seule échelle communale.

La dimension environnementale des politiques sécuritaires

Pourtant, la question de la sécurité revient finalement assez peu dans les discours écologistes. Ou plutôt, celles-ci traitent les domaines relevant de la sécurité municipale sous d’autres angles. Dès lors, la sécurité risque de se trouver de plus en plus souvent considérée comme contraire aux préoccupations environnementales. Il faut dire que les partis de droite ont réussi à s’accaparer la thématique de la sécurité et, par leurs dérives sécuritaires, son rattachement à des préoccupations discriminatoires voire carrément xénophobes, ont réussi à en faire un indicateur de réussite de leurs mandats. A l’instar du PIB, le taux de délinquance est un symptôme de simplification des grilles de lecture de l’action publique. C’est à celui qui installera le plus de caméras de vidéoppression, aura le meilleur ratio de policiers par milliers d’habitants, les équipera des dispositifs les plus intimidants, et pourra ainsi se transformer, à l’occasion, en chef de guerre. 

D’ailleurs, en matière environnementale, et je parle là d’une expérience professionnelle personnelle, la population déteste la répression qui peut être mise en oeuvre. En plusieurs années de travail sur la question des déchets, je n’ai récolté que mépris et colère quand je devais réprimer des comportements nuisibles pour un geste de tri qui est pourtant si simple, ne se résumant guère qu’à une dizaine d’options que les élèves de primaire comprennent. Ce qui me montrait bien que l’éducation était beaucoup plus efficace que la répression. 

C’est d’autant plus dommage que les politiques publiques de la sécurité ne sauraient se résumer à de vaines démonstration de répression ni à des gaspillages somptuaires de deniers publics qu’il aurait été bien plus judicieux d’investir dans des politiques de cohésion du territoire. Ces dernières, non seulement ne stigmatisent pas la population, mais peuvent en plus faire le lien avec les préoccupations environnementales. En effet, c’est comme si, pour résoudre l’urgence climatique, vous choisissiez de tout miser sur la punition des pollueurs et la mesure de l’évolution du taux de co2 dans l’atmosphère, quand vous pourriez travailler dans le même temps sur l’éducation, le soutien aux alternatives, la mobilisation de la population. 

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Ainsi, une politique locale de sécurité publique environnementale participe pleinement au développement de la résilience de votre territoire. Elle met l’accent sur ce qui lui permettra de surmonter les crises, d’adapter le bon comportement, plutôt que de tenter de développer des techniques de captage qui ne fonctionnent pas.

Les outils classiques de prévention des risques et délits

La police municipale

Pour faire appliquer son rôle de police, les maires ont recours à des agents dédiés. Cela peut être des agents de police municipale et agents de surveillance de la voie publique, voire de gardes champêtres ou d’agents assermentés pour les règles d’urbanisme. Mais, vu que 90% des communes françaises font moins de 5000 habitants, il n’est guère possible pour elles de financer un service de police. D’autant que pour mettre en oeuvre des rondes sur toute la journée et les manifestations, il faudra alors compter sur a minima quatre agents, ce qui représente une charge énorme pour une ville. C’est là où il serait pertinent de mutualiser à l’échelle intercommunale, même si c’est le genre de compétences qu’il est difficile de transférer justement de par sa forte dimension symbolique.

Le pouvoir de police municipale s’incarne également à travers le développement de la vidéosurveillance. Cette tentation dérivée du solutionnisme technologique de tout contrôler par des machines, de transformer le territoire en panopticon, ne peut mener qu’à l’impasse. Ces équipements sont coûteux et fragiles, devant être remplacés tous les 5 ans. ils nécessitent un centre de supervision urbain pour être exploités pleinement, ce qui accroit encore le coût de fonctionnement, sans que les performances dans la lutte contre la délinquance ne le justifient. Les moyens affectés à la vidéosurveillance le sont au détriment de la police de proximité.

Dans son ouvrage « Vous êtes filmés – enquête sur le bluff de la vidéo­surveillance », le sociologue Laurent Mucchieli passe au crible les rouages politiques, économiques, sociaux et techniques de la vidéosurveillance pour produire une évaluation réelle, qui n’a jamais été établie à ce jour par les autorités. Il observe que les images issues de la vidéosurveillance n’apparaissent que dans 1 à 3% des affaires judiciaires. loin de résoudre les problèmes, elle les déplace vers un autre endroit de la ville. C’est un gaspillage d’argent public qui rassure des contribuables aisés, pas une politique publique de sécurité viable.

Son rôle pourrait même se transformer vers de l’accompagnement psychologique. De nombreux policiers sont déjà formés à la médiation, à la communication non violente. Dans un contexte de prise de conscience de l’urgence climatique, du drame planétaire, de nombreux drames pourraient survenir sur votre territoire. certains de vos habitants pourraient craquer face au choc que cela pourrait représenter, et une intervention en douceur serait alors la bienvenue pour éviter les dérapages.

Le document d’information communal sur les risques majeurs

Le DICRIM est établi par le maire à destination de la population de la commune. L’objectif du DICRIM est d’informer le citoyen sur les risques majeurs auxquels il peut être exposé, sur leurs conséquences et sur ce qu’il doit faire en cas de crise. Le maire y recense les mesures de sauvegarde répondant aux risques sur le territoire de la commune. 

Dans son livre Face à l’effondrement : et si j’étais maire, Alexandre Boisson en fait le pilier de la politique communale de préparation à un hypothétique effondrement. A mon sens, il fait une assez grosse erreur d’appréciation sur la portée réelle de ce document en faisant reposer l’action citoyenne sur la demande de mise en oeuvre d’un Dicrim incluant l’aléa climatique et ses conséquences prévisibles, telles que nous les avons définies précédemment. C’est moins un outil de planification que d’information, et il ne remplacera jamais un plan d’action défini selon les principes énoncés dans la deuxième partie de cet ouvrage. Pour autant, c’est loin d’être un outil intéressant dans votre démarche de sensibilisation à la nécessité de transformer nos modes de vie. 

Ce document a pour objectif de recenser  uniquement les risques naturels et technologiques. D’une part, il s’agira de feux de forêt, de glissements de terrain, d’avalanche, tempêtes, inondations fluviales, etc. De l’autre, vous trouverez le transport ferroviaire, les accidents industriels et nucléaires, les accidents aériens, naufrages et ainsi de suite.  N’y figurent que les risques susceptibles de survenir sur le ban communal. Une carte permet d’évaluer les différents risques quartier par quartier, ainsi que leur historicité le cas échéant, de même que les moyens de lutte et de secours qui peuvent déjà se trouver sur place.  Il n’est obligatoire que si des risques majeurs sont identifiés comme tels par le dossier départemental des risques majeurs. Cela signifie incidemment que seuls ces risques peuvent y figurer, et non ceux que le maire juge bon d’y inscrire. Après, si vous voulez désobéir au préfet, comme nous l’avons vu précédemment, c’est possible, mais c’est à vos risques et périls. 

Or, le changement climatique est un risque global, de sorte qu’il devrait normalement être inclus dans tous les Dicrim pourrait-on se dire, mais c’est une erreur d’appréciation. Quand un risque devient tellement vaste qu’il concerne tout le territoire national, cela signifie qu’il ne relève plus de la planification communale mais bien de l’action gouvernementale. Malheureusement, comme nous avons déjà pu le constater, le gouvernement n’a pour l’instant pas montré de réelle prise de conscience de l’ampleur de la catastrophe environnementale à venir, de sorte que cela n’augure rien de bon quant à une éventuelle planification de cet aléa dans les politiques publiques. 

Plutôt que le Dicrim, ce sont des démarches de planification et de concertation qui devraient être mises en avant. Alexandre Boisson a ainsi lancé le mouvement Brigade Dicrim qui essaie d’alerter les maires sur les risques de pénurie alimentaire liés à notre système logistique et au changement climatique, puisque les commerces alimentaires fonctionnent en flux tendu avec en moyenne seulement 3 jours de réserve, ce qu’une rupture de la chaine d’approvisionnement pourrait mener à la catastrophe. C’est d’ailleurs ce qui a déjà pu être constaté avec les mouvements sociaux des transporteurs routiers.  Pour y pallier, ce n’est pas un document d’information qu’il faut mettre en avant, mais une démarche permettant de résoudre le souci. En matière alimentaire, il serait ainsi plus utile de mettre en avant le projet alimentaire territorial, dont nous avons parlé précédemment, qui met autour de la table les différents acteurs locaux de l’alimentation pour créer des synergies, structurer des filières, favoriser les circuits courts et donner un nouvel élan à la résilience alimentaire locale. Ce qu’un Dicrim ne saura jamais faire. 

Il est donc utile pour recenser les risques qui peuvent arriver et que l’on connait déjà, et notamment ceux qui vont être amplifiés par l’action directe du changement climatique. Mais ce risque n’est pas encore suffisamment pris en compte, car si une région est fortement boisée, les prévisions nationales ne prennent pas encore en compte les hypothèses scientifiques de dégradation de la situation.

Par exemple, les forêts des Vosges sont pour l’instant considérées comme peu susceptibles de subir un important feu de forêt, contrairement aux forêts du sud de la France. Pourtant, depuis plusieurs années, notamment à cause de la monoculture d’arbres, ses peuplements sont plus exposés au changement climatique et à la sécheresse croissante, ainsi qu’aux épidémies de parasites, ce qui les rend plus secs, voire les tue. D’ici quelques années, ces feux de forêt géants ne seront plus aussi improbables, mais ce n’est pas encore considéré comme un risque réel. Cela risque de le rester jusqu’à ce qu’un tel incendie survienne, et là tout le monde s’exclamera que c’était totalement imprévisible…

Le plan communal de sauvegarde

Le Dicrim trouve une véritable utilité quand il est couplé avec le Plan Communal de Sauvegarde, lui aussi obligatoire, mais dans toutes les communes cette fois, pas seulement celles concernées par un risque potentiel. Ce second document n’est quant à lui pas destiné au public, mais aux agents de la collectivité. Il s’agit d’un ensemble de fiches décrivant les actions à mettre en place en réaction aux différents risques identifiés au cas où il devrait survenir, et pas uniquement ceux du Dicrim. Par exemple, si un immeuble brûle en pleine nuit, le PCS indique la procédure à mettre en oeuvre pour reloger pour la nuit les victimes, leur fournir des affaires de première nécessité, et ainsi de suite. Dans le cas d’un risque industriel, il rappelle les instructions à diffuser auprès de la population, définit les lieux où se réunira le comité de pilotage de crise et où seront situés les véhicules de secours, ainsi qu’une liste de tâches à réaliser pour sécuriser les habitants, les rassurer et leur fournir ce dont ils auraient besoin. 

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Le Plan Communal de Sauvegarde a un format plus libre puisqu’il n’est pas obligatoirement révélé aux habitants, de sorte que les mesures de réaction à un incident dû au changement climatique pourrait y être inscrit, comme les canicules et pics de chaleur, qui vont mobiliser beaucoup d’agents pour mettre à l’abri les personnes fragiles, sans être pour autant suffisamment spécifique pour justifier leur inscription sur le dicrim. Pour autant, l’un comme l’autre n’ont pas vocation à planifier de mesure de prévention des aléas climatiques, ils ne font que rappeler ce qu’il faut faire quand il est déjà trop tard. En ce sens, ils ne sont pas véritablement adaptés pour votre plan de transformation écologique du territoire. Ce sont des outils pour rassurer les habitants, maintenir l’ordre, restaurer un fonctionnement à peu près normal.

Nous évoquions déjà les limites du PCS face à l’inaction de l’état dans un précédent article sur les moyens d’action du maire face au coronavirus. Pour anticiper les dérapages possibles des dérèglements climatiques, il faut aller plus loin.

Innover en matière de sécurité urbaine

La réserve citoyenne de sécurité civile

Pour vous aider dans cette tâche, vous pourriez ainsi avoir besoin de l’assistance de la réserve communale de sécurité civile. Depuis 2004, la loi offre un cadre clair et pratique pour accueillir des collaborateurs occasionnels permettant d’appuyer le personnel communal, les associations et professionnels de sécurité civile dans l’assistance aux victimes et la réponse aux catastrophes. C’est un instrument dont il serait dommage de se priver, puisqu’il apporte des garanties pratiques – notamment sur le plan de l’assurance et du statut de ces collaborateurs occasionnels – sans être pour autant compliqué à gérer ou à mettre en oeuvre. 

Il s’agit concrètement de recenser des personnes majeures, aptes médicalement, sans casier judiciaire (ou en tout cas sans mention incompatibles) volontaires pour donner bénévolement de leur temps lorsque les services concourant à la sécurité civile risquent d’être dépassés par les tâches nécessaires à la bonne gestion d’une crise. Ils n’ont ni vocation à porter réellement d’assistance médicale aux victimes ou à exercer d’activité dangereuse, mais bien à exercer les petites tâches indispensables au bon déroulement du secours. Ils sont l’huile dans les rouages. Éventuellement, les membres de la réserve peuvent mener des opérations d’urgence en attendant l’arrivée des secours.

Ainsi, avec l’augmentation prévisible des pics de chaleur en été, tant en intensité qu’en fréquence, une telle réserve citoyenne pourrait rendre de grands services. Ses membres pourraient être mobilisés pour prendre des nouvelles des personnes fragiles, faire leurs courses pour éviter qu’elles ne sortent, vérifier que leurs domiciles sont suffisamment frais, qu’elles disposent d’eau en abondance, etc. Et plus la ville est grande, plus ce risque est accru à cause des ilots de chaleur urbains. La pollution de l’air, en cas de proximité avec une zone industrielle ou des axes routiers majeurs, est un facteur aggravant de ces pics de chaleur qu’il faudra alors considérer.

Leur utilité dépendra également du risque dominant local. Météo France a d’ores et déjà prévu que certaines régions seraient d’ici quelques dizaines d’années plus touchées par des feux de forêt qu’aujourd’hui, quand les zones côtières subiront, du fait de l’augmentation du niveau de la mer, des crues plus fortes. Que ce soit pour transporter du matériel, installer des mesures préventives, approvisionner les secours ou s’occuper du relogement des victimes, du soutien moral, les membres de la réserve citoyenne de sécurité civile auront alors à exercer de nombreuses tâches qu’il serait dommage de confier à des professionnels du secours qui seront plus utiles ailleurs. 

Préserver les savoirs traditionnels

Dans sa célèbre série littéraire Fondation, l’écrivain américain Isaac Asimov imagine un mathématicien- Hari Seldon – mettant au point un algorithme prédisant l’effondrement imminent de l’empire stellaire humain. Un empire grand de millions de planètes et vieux de plusieurs millénaires mais qui, en pleine décadence, sombre lentement dans la déliquescence. S’il venait à sombrer finalement dans le chaos, ce serait un âge sombre long de 30 000 ans qui pourrait survenir. Pour y remédier, il préconise la mise en place d’un centre de préservation du savoir, la Fondation, de sorte que ce trouble ne dure que 1000 ans. A la manière de Asimov, l’effondrement que pourrait connaître notre civilisation suite aux crises de l’Anthropocène nécessite une préservation des savoirs traditionnels. Non pas que nous risquions un véritable oubli du savoir et un recul technologique, mais plutôt pour améliorer les capacités de résilience des territoires. L’enjeu est en effet de permettre à vos habitants d’anticiper les ruptures logistiques résultant d’une pénurie de pétrole par exemple. Et pour ce faire, posséder toutes les compétences propres au fonctionnement d’une société sur son territoire sera indispensable. 

Ainsi que nous l’avions vu dans le cas de la production agricole, il existe des outils simples, basés sur la low tech plutôt que sur la high tech, qui permettent de maintenir une activité productive mécanisée sans forcément dépendre d’une main d’oeuvre abondante ni de composants électroniques. Dans le cas de l’agriculture, il s’agit de reprendre des outils et méthodes traditionnels, de les repenser à la lumière des progrès en ingénierie, pour faciliter leur usage et leur entretien. Mais vous pourriez avoir besoin de compétences encore actives, mais pas forcément suffisamment répandues, comme celles en électricité ou en charpenterie, en construction écologique, en conservation des aliments, en couture, etc. 

Ce sont ces techniques, ces savoirs, dont vous avez besoin pour votre territoire. Leur transmission et leur partage permettra de maintenir la cohésion de votre population.  Il existe de nombreuses autres compétences et techniques de ce type qui pourront vous être utiles dans ce cadre.  Encore faut-il pouvoir les identifier, et là encore, il vous faudra d’une part déterminer les besoins à partir de votre plan d’action, mais aussi d’autre part recenser les informations de ce genre à travers le recensement des pratiques que nous évoquions avec les ambassadeurs de la transformation écologique. 

Ensuite, il faudrait veiller à les transmettre, à faire en sorte que votre population s’approprie ces compétences utiles pour la résilience et le maintien d’une activité normale. Face au risque de rupture d’approvisionnement de secteurs comme le textile, pour lesquels la filature et la confection sont quasi-essentiellement internationales, il pourrait ainsi s’avérer utile d’apprendre le tricot, la couture, les petites réparations qui font durer un vêtement, voire pourquoi pas de se servir d’un métier à tisser. La production agricole est un autre domaine qui se prête bien à ces pratiques naturellement, ce qui peut être institutionnalisé à travers des activités péri et extrascolaires, de manière à ce que les enfants apprennent à s’occuper des sols et des arbres.  

Pour ce faire, vous pourriez avoir recours à un réseau comme l’outil en main, dont le but est  l’initiation des jeunes dès l’âge de 9 ans, aux métiers manuels, par des gens de métier, artisans ou ouvriers qualifiés, bénévoles à la retraite, avec de vrais outils au sein de vrais ateliers. C’est alors un bon moyen de susciter de nouvelles vocations pour des métiers en déshérence tout en équipant votre territoire avec ses savoirs utiles.

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Mettre en oeuvre des équipements de survie

Dans une perspective plus effondriste, ou du moins de résilience en cas de situation extrême, votre commune pourrait également songer à s’équiper d’infrastructures critiques. En réalité, ce n’est même pas si catastrophiste que ça, puisque une grande partie des mesures déjà évoquées dans les chapitres précédents entrent dans ce cadre.

Produire sa propre électricité ou réduire les besoins envers un système d’assainissement des eaux usées, développer la production alimentaire locale et la pratique d’une mobilité décarbonée sont autant de moyens de rendre votre commune indépendante vis-à-vis du reste du monde. Non seulement vous maitrisez des équipements indispensable au maintien du confort de vie de vos habitants, mais vous n’êtes pas vulnérable aux décisions d’échelons politiques supérieurs qui, lors de cette crise potentielle, pourraient avoir des objectifs différents ou ne pas être en mesure de se soucier de votre situation, accaparé par le désordre général.

Moins de besoin énergétique, moins de dépendance aux flux logistiques et aux produits chimiques, et vous renforcez votre écosystème au regard des vulnérabilités systémiques évoquées au début de cet ouvrage. Par exemple, en cas de tempête de neige, quand les chasse-neige sont intercommunaux, ce sont les routes principales et celles du bourg centre qui sont dégagées, alors que quand le chasse-neige est communal, toutes les rues le seront. C’est la limite de la mutualisation, signe aussi que l’intercommunalité est un commun imparfait, où les priorités dépendent de celui qui a le dernier mot – le président – et pense bien souvent à raison qu’il n’a pas grand chose à redouter de ce genre de petite trahison.

Je ne vais donc pas vous proposer de construire un immense Bunker, de stocker dix ans de nourriture et d’armer tous vos habitants. La perspective n’est pas ici eschatologique mais assurantielle. En adaptant le dimensionnement de vos équipements par rapport aux besoins que vous pourriez avoir dans le cas d’une déconnexion subie, vous mettez en place une réserve qui, je l’espère, ne sera jamais utile, mais sera là. 

Politiquement, ce n’est pas facile à assumer. Roselyne Bachelot, quand elle était ministre de la santé, avait pris les devants pour limiter les risques sanitaires face à l’épidémie de H1N1 et constitué de vastes stocks de masques chirurgicaux. Quelques années plus tard, ce stock stratégique avait été jugé trop coûteux et injustifié, et nous savons aujourd’hui qu’il aurait été bien utile au printemps 2020 pour sauver des dizaines de milliers de vies. Mais dans un contexte budgétaire tendu, acheter du matériel critique en anticipation du risque est encore bien trop souvent perçu comme un gaspillage d’argent public.  Et c’est d’ailleurs pourquoi, comme nous l’évoquions dans le chapitre dédié au financement de la politique de transformation écologique, vous devriez peut-être songer à faire reposer l’acquisition de ce matériel, de ces équipements, sur du mécénat et non sur un marché public. 

Faudra-t-il armer la population ?

Il ne me parait pas possible d’envisager le sujet de la sécurité sans parler des armes à feu. Parmi les survivalistes, nombreux sont ceux à prôner explicitement la constitution d’armurerie de réserve, et certains milieux d’extrême droite se préparent même à une croisade ou à résister à l’invasion de migrants. Nous n’en sommes pas encore là, d’autant qu’il reste peu probable que surviennent en France un effondrement brutal de type Mad Max qui rende nécessaire la mise en oeuvre de milices locales. Pour autant, la question se pose quand même.

La législation des armes en France les range en 4 catégories. La première, celle des armes de guerre, est strictement interdite à la possession. Seules les forces armées officielles ont le droit d’en posséder. la deuxième catégorie recouvre du matériel soumis à autorisation, qui sert souvent au tir sportif, et possède un potentiel offensif moindre comme les pistolets et revolvers, les fusils à pompe, etc. 1.3 millions d’armes de cette catégorie sont recensées en France. la 3e catégorie est celle des armes soumises à déclaration, généralement des armes de chasse, donc à répétition. Elles sont plus facilement accessibles, pouvant ainsi s’acheter dans une simple foire aux armes sous réserve d’avoir un permis de chasse, et seraient près de 4 millions. La dernière catégorie est pour les armes anciennes, qui peuvent être létales ou servir aussi à la chasse et au tir sportif. La législation a évolué ces dernières années et les propriétaires sont censés se déclarer officiellement et répertorier leurs armes, ce qui devrait permettre d’en savoir encore un peu plus.

Source : L’Humanité

Cela ne signifie pas qu’il faut impérativement avoir une arme chez soi quand on pense que le dérèglement climatique est une réalité et qu’il faut préparer la résilience des territoires. Mais il vous est possible de soutenir la création d’un club de tir sportif ou d’une association de chasseurs. Sans rentrer sur les polémiques naturalistes sur ces derniers, c’est un moyen facile de disposer d’une force armée en cas de besoin. Vous pourriez profiter de la réserve citoyenne de sécurité civile en formant justement ses membres au maniement des armes dans un club de tir. Avoir une population habituée au maniement des armes ne signifie pas qu’il y aura des tueries. C’est que nous enseigne le cas de la Suisse, où la population sert dans la milice d’autodéfense et s’initie ainsi aux armes à feu. Toute la différence réside dans l’éducation, les valeurs qui assortissent ce maniement. Dans un pays qui prône le non interventionnisme et le pacifisme, la détention d’armes n’a pas la même signification que dans un pays plutôt expansionniste.

Une ressource commune partagée au sein d’un groupe, c’est à dire un bien commun, ne peut perdurer que si le groupe qui le gère est en mesure d’en contrôler l’accès pour permettre sa préservation. Si votre territoire est bien adapté au changement climatique et peut même accueillir des réfugiés climatiques, il devra pourtant restreindre cet accès si la situation devait en arriver au point où l’exode serait massif. C’est un tabou, une pensée inconfortable, de l’organisation des villes en transition, mais il est indispensable de l’avoir en tête et de savoir se préparer.

C’est le code moral, la capacité des habitants, en tant que collectif gestionnaire, à définir une nouvelle ligne de conduite, à savoir faire évoluer les règles d’accès à la ville, d’accès à ses ressources pour associer pérennité et solidarité, qui fera la différence. D’autant que dans une telle perspective, il vous faudra alors envisager la question de la justice, la création d’une instance permettant de résoudre les conflits à moindre frais étant de toute manière inhérente au fonctionnement d’un bien commun. Entre la gated communities et le supermarché pillé, il existe une troisième voie, et seul un territoire à la gouvernance ouverte et inclusive sera à même d’offrir une alternative conforme aux valeurs qui fondent la transition écologique.

Conclusion

La sécurité est au coeur d’une démarche de transition écologique. C’est le fondement de la résilience, qui vise à surmonter les chocs et à maintenir un fonctionnement des institutions collectives. Les obligations réglementaires de la communes que constituent le Dicrim et le PCS ne permettent pas d’anticiper suffisamment les risques. Ils ne sont pas conçus pour ça et seront alors inopérants. Mais vous pouvez trouver une alternative en vous adjoignant le concours de citoyens membre de la réserve citoyenne de sécurité civile pour assister vos forces de police et de secours en cas de catastrophe.

Mais viser la résilience, c’est aussi s’assurer de disposer des compétences et équipements nécessaires indispensables au maintien des condition de vie sur le territoire. Et dans des villes dortoir assujetties à une métropole, cette condition n’a rien d’évidente. Regagner des marges de manoeuvre, savoir réduire sa dépendance, ça s’anticipe dès aujourd’hui, et les intérêts peuvent aussi être économiques.

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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