Abondance et Liberté – Pierre Charbonnier

Abondance et liberté était une lecture idéale pour le confinement. Dense, profond et ardu à comprendre sans relecture. Mais au-delà de son apparence d’essai philosophique avec tous les poncifs du genre, il s’agit d’une enquête remarquable sur les conditions de mise en place de notre société occidentale contemporaine. Sa lecture rappelle que tout le progrès est bâti sur un château de cartes. Les sources de nos libertés sont aussi la cause des maux systémiques qui nous rongent et détruiront à moyen terme notre société.

Pierre Charbonnier mène l’enquête sur les conditions ayant amené à cet état de fait. Et pour répondre à cette question, il convoque philosophes et économistes, les interroge sur leur responsabilité. L’un après l’autre, ils témoignent de leur contribution – ou non – à l’établissement d’un lien entre abondance et liberté. L’abondance matérielle des ressources naturelles fonde les libertés politiques des sociétés européennes. C’est pourquoi, quand la pénurie menace, il faut aller chercher ailleurs d’autres ressources. Et quand ces sources extérieures – les colonies – se rebellent, il ne reste plus qu’à changer les règles du jeu. Eventuellement, c’est la technologie qui vient renforcer l’abondance.

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Tous ces auteurs ont forgé la pensée économique et politique dont nous nous servons encore aujourd’hui. Ils ont pour nom Grotius, Locke, Smith, Fichte, Saint-Simon, Marx, Marcuse etc. Ce discours dissimule le paradoxe d’une liberté fondée sur une grande dépendance. Sans les richesses tirées de la nature, rien ne serait possible. C’est le paradoxe d’une illusoire autonomie politique, qui s’alimente en se consumant elle-même.

L’ouvrage indispensable du monde d’après

A la lumière des événements des derniers mois, cet essai prend un sens nouveau. L’explosion des zoonoses et de leur transmission à l’homme n’est pas un fait anodin. C’est un mécanisme qui a été mis en place par la surexploitation des affordances de la nature décrite par Abondance et Liberté. La déforestation, l’artificialisation des sols, l’élevage intensif, la monoculture et la mondialisation sont autant de facteurs ayant fragilité notre société en maximisant son abondance. Ce faisant, il ont multiplié les chances d’apparition d’une pandémie…

C’est plus précisément l’incapacité à donner un sens politique aux interdépendances entre la société moderne et son monde, ses ressources, ses milieux, ses espaces, qui a laissé le champ libre à la prédation écologique.

Depuis sa lecture, j’ai l’impression que je n’arrive plus à avoir de discussion environnementale sérieuse sans y faire référence. C’est une lecture qui m’a profondément marqué et influencera longtemps ma pensée.

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