L’échec du ministère de l’environnement

La décision historique du conseil d’état du jeudi 19 novembre 2020, qui demande au gouvernement français de prouver que la stratégie nationale bas carbone permettra bel et bien d’atteindre une baisse de 40% de l’inventaire national d’ici 2030, souligne les atermoiements d’une politique environnementale vouée à l’échec. Depuis 50 ans, le ministère de l’environnement français édicte des lois mais ne les applique pas forcément. L’économie a toujours eu la primauté sur l’écologie, et nous le ressentons durement à l’heure de la transition écologique.

L’environnement n’intéresse pas l’administration française

Le blocage de l’émergence de l’urgence climatique comme un véritable sujet à part entière au-dessus des autres pourrait également résulter d’une construction sociale. Ce blocage, pour dire les choses autrement, est institutionnel, inhérent au fonctionnement même de notre société. Cela se souligne particulièrement bien dans le fonctionnement des administrations publiques.  Le Lierre, collectif formé de fonctionnaires sensibles à la cause environnementale, publiait ainsi courant 2020 une tribune dénonçant l’inadéquation entre écologie et administration. Ses membres identifient 5 freins à cette prise de conscience. 

D’abord, il n’y a pas de vraie formation aux enjeux environnementaux au sein de la haute fonction publique, essentiellement composée de juristes, d’économistes et d’ingénieurs, qui ne bénéficient pas forcément d’une formation continue obligatoire pour se mettre à jour sur ce genre de sujet. Ensuite, les administrations fonctionnent en silo, sont cloisonnées dans leurs spécialités et échangent très peu entre elle, bien que l’arrivée récente de la méthode projet change un peu la donne ces dernières années.

L’écologie, sujet par nature systémique et donc transversal, souffre d’une telle division de ses différents aspects entre les différentes parts de l’administration. Pris individuellement, chaque aspect de l’urgence climatique perd de sa force, et empêche de percevoir clairement la catastrophe qui se profile. D’autre part, l’administration cherche ses interlocuteurs chez les représentants des domaines concernés par son action, c’est-à-dire auprès des porteurs d’intérêts privés. En agriculture, ce sera le syndicat agricole majoritaire, en économie, le syndicat des patrons majoritaire, etc. Les acteurs minoritaires ou porteurs de vision contraire sont donc ignorés, ou en tout cas ne sont pas associés directement à la prise de décision. De même, l’action publique environnementale n’est pas conçue sur le long terme, contrairement à la politique énergétique ou défensive par exemple, du fait d’une présence insuffisante dans les marchés publics et des limitations de l’annualité budgétaire.

Enfin, administrations centrales et collectivités locales ne communiquent pas entre elles, leurs agents ne dépendant pas des mêmes statuts et ne peuvent donc pas passer facilement de l’une à l’autre. Ce fossé entre les deux administrations nuit aux échanges qui permettraient d’avoir une approche plus pragmatique et réaliste des enjeux environnementaux en cours. L’effet psychologique du premier point amplifie bien évidemment le blocage institutionnel à travers les personnes qui composent l’administration et détiennent un pouvoir de sélection des sujets importants.

Cette analyse rappelle celle faite en 1988 par deux sociologues du groupe de prospective interministériel – Denise Jodelet et Carole Scipion – au sujet des représentations des politiques de l’environnement au sein de la haute fonction publique. Les agents interrogés sont, dans leur grande majorité, opposés à l’action du ministère de l’environnement. Il est considéré comme secondaire, idéaliste, peu crédible ou encore pinailleur.Il est globalement considéré comme inutile par les personnes interrogées. Et pour cause, il restera longtemps la dernière roue du carrosse lors des arbitrages budgétaires, tandis que les secrétaires d’état et ministres anonymes se succèdent à sa tête, sans réussir à le faire briller.  

Les débuts laborieux d’un ministère du cadre de vie

Car ce triple aveuglement quant à la nécessité de réagir pour réduire nos impacts écologiques et de nous adapter aux conséquences du changement climatique a des effets bien réels sur les politiques publiques mises en œuvre, tant au niveau national que local. Globalement, l’État n’agit pas vraiment. Malgré la précocité de la mise en place d’un ministère de l’environnement, en 1971, la politique environnementale gouvernementale n’est pas à la hauteur des enjeux. 

A l’origine, ce ministère a été conçu pour mettre en place des espaces verts et lutter contre la pollution de l’air et de l’eau. Il s’agissait donc de réguler les nuisances des activités industrielles pour préserver la santé des Français. Ce n’est que grâce au plaidoyer incessant de nombreuses ONG françaises, la plupart regroupées sous l’égide de France Nature Environnement, que d’autres aspects ont commencé à être pris en compte dans ses politiques. D’ailleurs, l’ancêtre de l’Ademe – l’agence pour les économies d’énergie – n’avait pas de préoccupation environnementale comme l’indique si bien son nom.  Il s’agissait de réagir au choc pétrolier pour diminuer la dépendance de la France aux hydrocarbures, sans préoccupation environnementale derrière.

Les débuts de ce ministère sont ainsi consacrés à beaucoup de choses, mais pas à la catastrophe climatique qui s’annonce. La sortie du rapport Meadows en 1972 ne provoque pas le déclic attendu. Les années 70 voient la création de nombreux organismes essentiellement dédiés à l’amélioration du cadre de vie (déchets, eau, air) et des espaces naturels. Dans les années 80, avec son cortège de catastrophes industrielles, l’accent est plutôt mis sur la sécurité industrielle voire sur la démocratie technique avec la mise en place des enquêtes publiques. 

Le tournant Lalonde au ministère de l’environnement

L’arrivée de Brice Lalonde change le destin de ce ministère jusqu’alors perçu comme secondaire et inutile. Ce militant écologiste, engagé depuis quasiment leurs débuts aux Amis de la Terre France, puis candidat écologiste aux élections présidentielles de 1981 (3.87% des voix), devient secrétaire d’État à l’environnement en 1988.  Son expertise donnera une véritable envergure à ce ministère en faisant adopter un plan Vert qui le dote de véritables moyens, de directions déconcentrées, conduit à la fusion et au renforcement des autorités administratives et à la publication d’un véritable code de l’environnement, tout en donnant une vraie vision à ce ministère qui, pourtant, ne parle toujours pas de climat.Lui succèderont des ministres proches du pouvoir, Michel Barnier, Ségolène Royal, Corinne Lepage, Dominique Voynet, Yves Cochet, qui permettront son renforcement dans les politiques publiques.  

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Le sommet de Rio de 1993, suivi du protocole de Kyoto de 1997, permettent de faire émerger le sujet climatique au sein du ministère de l’environnement. Ainsi, pour contribuer au respect des engagements internationaux, la France se dote en 2000 d’un programme national de lutte contre le changement climatique. En 2001 est également créé l’observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, non pas à la suite d’un projet de loi, mais d’une proposition de loi déposée par le sénateur communiste Paul Vergès.  A la suite de cette initiative, et malgré un plan climat national en 2004 et une stratégie nationale de développement durable en 2006,, il faudra attendre le Grenelle de l’Environnement de 2007 – et son constat d’une nécessaire accélération des politiques sectorielles – pour que les choses avancent réellement. La loi Grenelle II rend ainsi obligatoire l’adoption d’un Plan Climat Energie Territorial d’ici au 31 décembre 2012 pour les régions, les départements, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération ainsi que les communes et communautés de communes de plus de 50 000 habitants. L’année d’après, le plan national d’adaptation au changement climatique introduit des mesures coercitives, essentiellement fiscale, ainsi que l’objectif du facteur 4 d’ici à 2050. 

A partir de là, la prise en compte commence réellement dans les politiques publiques nationales, du moins en apparence. D’autant qu’après l’échec de la Cop15 de Copenhague, et alors que la France a réussi à devenir le pays hôte de la Cop21, celle qui doit servir à prendre des engagements internationaux sur la lutte contre le changement climatique, il faut donner l’impression de se lancer véritablement dans une politique ambitieuse de lutte contre le changement climatique. En 2015 sont ainsi adoptées  la Loi pour la transition énergétique pour une croissance verte, puis la Stratégie Nationale Bas Carbone. La première fixe de nombreux objectifs et ajoute la qualité de l’air aux PCET devenus PCAET, tandis que la seconde est une feuille de route de l’action gouvernementale quant à la réduction des émissions carbones nationales, fixant un budget à atteindre ainsi qu’une planification de la baisse des émissions.  

Un ministère de la transition pour rire

Durant la présidence Macron, l’espoir d’un ministère de l’environnement puissant renait avec la nomination à sa tête de Nicolas Hulot. 30 après Brice Lalonde, cet autre militant écologiste  – au parcours certes moins militant et plutôt médiatique – amenait une vision affirmée et une connaissance affirmée du sujet à un ministère qui en a bien besoin. Las, il renoncera vite face aux blocages administratifs et à la mauvaise volonté gouvernementale.

Pourtant, les choses commencent bien. En effet,  le gouvernement se dote d’un nouvel outil d’analyse, le Haut Conseil pour le Climat, chargé d’analyser la politique climatique de la France à travers des rapports sur différents sujets. Ses publications sont à cet égard exemplaire, puisque cette instance scientifique a rappelé plusieurs fois que la France ne respectait pas les accords de Paris et n’était pas sur la bonne trajectoire pour que nous restions en dessous des +2°C. Il est encore trop tôt pour savoir si ces rappels à l’ordre seront pris au sérieux par les pouvoirs publics.

Néanmoins, la multiplication des vetos aux mesures proposées par la Convention citoyenne pour le climat – outil remarquable dont nous reparlerons plus tard – ainsi que la transposition au rabais d’autres mesures, malgré les promesses faites par Emmanuel Macron, ne laissent pas augurer une amélioration de cette politique climatique.

Pourtant, dans le même temps, le ministère de l’environnement – devenu ministère de la transition écologique et sociale (MTES) – inaugure un nouvel outil intéressant à travers les contrats de transition écologique. Il s’agit de conventions signées entre le MTES, l’Ademe et des collectivités locales fixant à ces dernières des objectifs et une feuille de route pour la réduction de leurs émissions de GES. Le hic, c’est que ces objectifs ne sont assortis d’aucun financement, si ce n’est la possibilité de faire appel à l’Ademe pour une expertise technique, ce que les collectivités font déjà sans avoir besoin d’une convention ministérielle pour cela.  

De fait, l’essentiel de l’action gouvernementale en faveur d’une prise en compte des effets du changement climatique dans les politiques publiques relève essentiellement du greenwashing ou de la communication.  Le récent plan de relance de l’économie le souligne assez clairement. De nombreuses aides sont accordées à des entreprises dont l’impact climaticide est patent, sans que ce soutien soit assorti d’exigences de réduction de leur impact environnemental, tandis que de nombreux domaines en mal de financement et nécessaire pour la transition écologique sont délaissés.

Le ministère de la transition écologique et sociale ne conduit pas de véritables politiques environnementales. Depuis leurs bureaux, ou plutôt leurs tours d’ivoire, ses agents décernent des labels, lancent des appels à projets, conçoivent des brochures redondantes et partagent l’information auprès des collectivités locales. Toute son organisation est tournée vers la délégation de ses obligations à d’autres acteurs. Le ministère planifie, juge ce que fait les collectivités locales mais n’offre aucun moyen pour les aider à atteindre des objectifs qu’elles sont obligées de fixer. Les PCAET sont caractéristiques de ces nouvelles pratiques. Les grandes collectivités sont contraintes de les adopter, moyennant un diagnostic et la fixation d’objectifs. Si ce diagnostic ne correspond pas aux attentes de l’autorité environnementale et que les objectifs sont en-deçà de ceux fixés nationalement, le plan peut être refusé. C’est parce que les maires se sont donnés pour but des objectifs qu’ils pensent pouvoir atteindre d’ici au prochain plan climat. Mais le ministère ne veut pas d’objectifs réalistes, il veut des objectifs fictifs permettant d’affirmer que la France tient ses engagements. Et si, comme dans la plupart des cas, ces plans climats ne sont pas atteints, il ne se passe rien. 

Nous pourrions faire autrement

Je connais pourtant nombre d’agents de ce ministère qui aimeraient mener une véritable politique de réduction des émissions de GES, accompagner les entreprises et les collectivités dans cette politique de transition écologique et adapter notre territoire aux conséquences déjà prévisibles des bouleversements climatiques. Ils sont nombreux ces agents, motivés, convaincus, compétents, à vouloir changer les choses. Mais ils sont isolés dans un seul ministère face à une culture administrative qui leur est hostile, renforcée par une incompréhension politique des véritables enjeux. 

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Nous pouvons donner un autre exemple avec les bilans carbone. Il s’agit d’une procédure s’apparentant à un bilan comptable, dans lequel les organisations recensent les émissions de gaz à effet de serre dont elles sont responsables. Soit parce que ces émissions ont servi à l’activité de cette organisation ou de ce territoire (scope 1), soit parce qu’elles relèvent de la production d’électricité ou de chauffage pour cette activité (scope 2), soit parce qu’elles sont indirectement causées par cette activité (scope 3). Rendu obligatoire par la loi Grenelle II pour les entreprises de plus de 500 salariés, les collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants et les établissements publics de plus de 250 personnes, à renouveler tous les quatre puis trois ans. Mais en 2020, de nombreuses collectivités et entreprises astreintes à cet exercice comptable ne l’ont simplement jamais fait. Et c’est très simple à vérifier, puisque l’Ademe recense ces bilans sur une base de données accessible à tous. Je vous encourage à vérifier si votre collectivité locale a rempli ou non son obligation en la matière. Mais si elle ne le fait pas, il ne se passera rien. 

Et pour compliquer encore les choses, le ministère de l’environnement a édicté de nombreuses normes de préservation de l’environnement… qui peuvent bloquer les projets de transition écologique. Les nouvelles règles en matière de consommation foncière peuvent par exemple être source de conflit entre un projet municipal et une interdiction de principe délivrée par la préfecture, même quand il s’agit de bâtir des infrastructures dédiées à la transition écologique. De plus, la surcharge de normes écrase les petites collectivités, rappelons nous leurs moyens limités, qui n’ont pas la capacité d’en prendre connaissance, et ne parlons même pas de leur mise en oeuvre. Par exemple, dans une thématique non environnementale, deux ans après son entrée en vigueur, le RGPD n’est toujours pas respecté par l’écrasante majorité des collectivités. Il faut voir par exemple que le premier guide technique sur le sujet a été publié par la CNIL fin 2019, quasiment 1 an et demi après que ce règlement européen soit devenu obligatoire.

Conclusion

L’essentiel de la politique climatique de la France repose sur des contraintes légales sans portée réelle. C’est dommage car la France est dotée de nombreux outils efficaces et pertinents pour engager la démarche. L’ONERC était une démarche pionnière en matière d’analyse nationale du changement climatique, tandis que l’Ademe est un acteur reconnu pour ses analyses et ses guides pratiques, que ce soit à destination des collectivités, des entreprises ou des ménages. Le réseau associatif est bien constitué et majoritairement agréé au titre de la protection de la nature et de l’environnement, ce qui permet à ces acteurs de terrains d’intervenir auprès des collectivités.

La France a le potentiel pour s’être lancé depuis des années dans une démarche ambitieuse et nécessaire de réduction de son empreinte carbone. Pourtant, le ministère de l’environnement produit des rapports et des normes, mais rien ne se passe, hormis dans des collectivités locales aux moyens bridés par l’Etat…

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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