Les 10 risques de la transition écologique locale

Dans un précédent article, nous examinions les vulnérabilités systémiques susceptibles de faire avorter la transition écologique. Ce ne sont pas les seuls problèmes locaux potentiels à anticiper pour s’assurer d’un processus apaisé. En effet, bien qu’il soit nécessaire de mettre en oeuvre une transformation radicale de nos modes de vie, cela ne doit pas se faire sans précaution. Cet article liste ce qui me semble être les 10 principaux risques de la transition écologique, tant externe qu’interne à la commune. Bien entendu, cette liste n’est pas exhaustive.

Les risques externes de la transition écologique

La tentation autoritaire

Il serait tentant d’engager la transition écologique locale sans demander son avis aux habitants. Après tout, de nombreuses publications proposent des solutions clés en main à transposer sur son territoire. Ce serait pourtant une erreur que de pas considérer ce qu’en pensent vos concitoyens. Certes, il ne peut s’agir de remettre en cause le bien fondé du processus de transformation du territoire. Néanmoins, ses modalités et ses priorités peuvent être discutées collectivement.

Dans une de ses notes, le think tank La Fabrique écologique s’interroge justement sur cette tentation de la dictature verte. Leur analyse conclut que les pays autoritaires sont souvent pires que les démocratie en matière de transition écologique. Et les efforts de la Chine cachent en fait une vaste mobilisation populaire qui alimente le volontarisme gouvernemental.

Certes, la sobriété carbone passe par une limitation de certaines libertés. Une condition que démontre bien Pierre Charbonnier dans son ouvrage Abondance et Liberté, dans lequel il explique que nos libertés actuels sont permis par la surexploitation des capacités écologiques. Mais, au niveau communal, ces limitations seront d’autant plus efficaces qu’elles seront décidées collectivement.

La hausse des inégalités

Le mouvement des gilets jaune a démontré que la transition ne pouvait pas se faire sur le dos des plus précaires. Nous avons certes besoin d’une taxe carbone, mais elle peut être payée par tous équitablement, et ne pas peser d’abord sur ceux qui n’ont pas encore la liberté de ne pas émettre trop de CO2. Ainsi, faute d’infrastructures de transport bas carbone adaptées, les travailleurs ruraux ne peuvent pas ne pas impacter le climat. Ils n’ont pas choisi la situation, ils la subissent. De ce fait, les faire payer pour une défaillance collective est injuste.

Plus vous êtes riche, plus vous détruisez la planète

Et ce d’autant plus que le lien entre les revenus et l’impact écologique est clairement établi. Si l’empreinte carbone moyenne d’un français est de 11.2T par an, elle est de 4T pour le 1er décile et de 31T pour le 10e décile. Prendre l’avion, rouler plus, changer plus souvent de véhicule, de vêtements ou de smartphone, avoir une grande maison bien chauffée avec piscine, consommer plus de viande, de produits exotiques ou d’alcool, autant de facteur d’émissions fondées sur les inégalités socio-économiques. Et cela ne considère même pas l’épargne, qui, selon la banque où elle est placée, n’a pas le même impact. C’est ce que rappelle Jeremie Pichon dans son livre La Famille en transition écologique. Une personne riche épargnant au crédit coopératif aura un impact financier deux fois plus faible qu’un autre épargnant chez BNP Paribas ou au Crédit Agricole.

De ce fait, la transition vers la neutralité carbone doit être équitablement répartie. L’effort est plus grand pour ceux qui ont un impact supérieur. La taxe carbone doit donc logiquement se reporter vers eux plutôt que sur les ménages précaires.

L’oppression des minorités

En temps de crise, les groupes sociaux défavorisés se trouvent encore plus fragilisés qu’auparavant. La transition ne doit donc pas être l’occasion de renforcer le racisme, le sexisme et autres formes de discrimination.

Le passage vers le zéro déchet conduit ainsi généralement à un surcroît de charge mentale pour les femmes. En effet, ce sont elles qui portent souvent la charge du soin des autres, et donc du soin de l’environnement dans lequel nous vivons. Dès lors, les petits écogestes du quotidien leur reviennent de plus en plus. Un processus qui participe évidemment à la répartition inégale dans les tâches ménagères et qui doit être combattu pour permettre une transition écologique égalitaire. S’il faut cuisiner plus, réparer ses vêtements, faire soi-même ses produits ménagers et faire les courses/conduire les enfants à l’école en vélo, cela ne doit pas se répercuter sur les femmes.

Dans la même idée, les minorités ethniques pourraient être victimes d’une transition détournée de son objectif initial. Pourtant, le mouvement décolonialiste essaie aussi de penser une écologie prenant en compte toutes les diversités culturelles et ethniques. Par exemple, les rénovations urbaines se caractérisent trop souvent par une gentrification qui pousse les personnes pauvres, souvent racisées, dans d’autres quartiers dégradés. Nous pouvons par ailleurs considérer le surcroît de travail non délocalisable que va supposer la transition écologique. Il ne faudrait pas que les tâches les plus physiques soient ainsi réservées à certaines catégories de population. La cohésion sociale est indispensable à la réussite de la transition écologique, et suppose donc une mixité ethnique dans le partage des tâches.

Le technosolutionnisme

La transition est l’occasion de grandes espérances du côté des industries climaticides. Après avoir bien profité de la situation, elles sont désormais prêtes à nous vendre le remède. C’est l’hypothèse que prenait par exemple le roman bleue comme une orange du romancier américain Norman Spinrad. Ecrit dans les années 90, ce roman réagissait au développement des cop pour le climat. Et de fait, à la cop21, les responsables des dérèglements climatiques avaient leur pavillon de solutions technologiques très onéreuses.

Le réchauffement climatique est ainsi une opportunité unique pour ces entreprises. Elles peuvent faire du profit sur l’exploitation des ressources naturelles, mais aussi sur leur préservation. Les vendeurs de pesticides deviennent fabricants d’OGM. Les géant du pétrole promeuvent les énergies renouvelables. Les concepteurs de véhicules thermiques passent au tout électrique progressivement. Est-il besoin de multiplier( les exemples ou de citer les marques pour s’en rendre compte ? Le hic, comme le rappelle Eric Vidalenc dans son essai Pour une écologie numérique, c’est que le technosolutionnisme empire le changement climatique…

Vous la voyez venir la smart city ?

En effet, ses gains sont généralement faibles et pour les atteindre, les appareils utilisés demandent beaucoup de ressources naturelles. Réduire ses émissions de co2, ou en capter, en détruisant la nature, n’est pas le meilleur exemple pour la neutralité carbone.

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Malheureusement, à ce petit jeu, les communes seront les grandes perdantes. En effet, ces solutions techniques sont onéreuses et introduisent une dépendance vis-à-vis du fournisseur.

Les perturbations institutionnelles

C’est un risque contre lequel il y a hélas peu à faire pour s’en prémunir. Le contexte national peut changer et affecter la transition de votre commune. Un nouveau gouvernement réactionnaire pourrait d’abord couper les subventions et changer la loi. Les entreprises nationales pourraient ensuite ne pas accepter la transition en cours et quitter le territoire.

C’est pourquoi la transition écologique du territoire doit viser certaines actions prioritaires. D’une part les transformations permettant de générer des économies. Cela peut concerner la rénovation, la sobriété énergétique, un suppression des délégations de service public dispendieuses, etc. D’autre part, la transition permet de créer des emplois non délocalisables. La production agricole, la gestion des déchets, la production d’énergie renouvelable, les prestations de service environnemental sont autant de sources d’emploi pour toute la population. Ces deux piliers permettent de lutter contre les changements institutionnels.

Il est même possible que l’équipe municipale soit renversée lors d’un scrutin et remplacée par une équipe qui ne croit pas aux vertus de la transition. Dans ce cas, si la communication auprès des habitants est bien faite, qu’ils sont impliqués dans la gouvernance et comprennent les priorités, ça ne devrait pas arriver. Et pourtant, même l’équipe de Saillans, à la gouvernement aussi horizontale que possible, a été battue aux élections de 2020…

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Les risques internes de la transition écologique

Ces risques sont ceux qui découlent d’une mauvaise préparation à la transition écologique. En effet, il s’agit d’un processus complexe comme le rappelle l’image ci-dessous, pour laquelle tout doit être pensé. Normalement, si vous avez déjà lu l’article sur la stratégie d’action, cet écueil devrait être évité.

risque interne transition
Il n’y a qu’un seul moyen de réussir la transition : suivre le guide

L’absence de vision

Le projet d’une commune repose sur la vision de son maire. Si votre premier édile ne sait pas où il va, hésite, gère à court terme, ça ne peut pas fonctionner. Votre commune a besoin d’une projection à long terme. Pour y parvenir, vos élus doivent rédiger leur vision de la commune dans 10, 20, 30 ans.

Sans quoi, le processus va très vite dérailler. Des choix contradictoires seront faits et des décisions incompréhensibles prises. Les habitants ne comprendront plus les orientations, et les services seront déboussolés. La vision, c’est le cap, l’objectif à atteindre, décliné en sous-objectifs opérationnels. Un grand atelier d’intelligence collective en début de mandat, puis une fois par an, serait idéal. Cela peut commencer par un atelier entre élu, élargi ensuite aux services et aux habitants.

Il peut s’agir par exemple de diminuer les consommations de fluides de l’administration d’un certain pourcentage, d’augmenter la production agricole, d’améliorer la part modale du vélo, etc. Tout doit être précisé et quantifié de manière à pouvoir s’y référer en cas de doute.

La résistance de la population

Les risques pour la transition écologiques sont nombreux. Celui de la résistance de la population en est l’un des plus probables. En effet, comme le rappelle le graphique ci-dessous, en la matière, les changements doivent être progressifs. Je recommande ainsi de commencer par des changements mineurs, faciles, aux gains immédiats. Par exemple la rénovation énergétique, quoique coûteuse, apporte un gain immédiat pour les habitants, la mairie et la planète.

Par ailleurs, si vous commencez la transition en réprimant les comportements individuels sans donner les moyens préalables de s’améliorer, forcément ça ne va pas plaire. De même, c’est l’administration communale qui devrait commencer par s’améliorer. L’éco-exemplarité des services publics montrera que tout le monde est concerné par le processus.

De la sorte, la transition écologique est la recherche d’un équilibre entre efforts à faire et confort de vie. Si elle devient trop pesante, de manière injustifiée ou inégalitaire, des réticences surviendront.

La perte des compétences

Les difficultés que rencontre le secteur nucléaire français a construire un nouveau réacteur est riche d’enseignement. L’industrie française était à la pointe dans les années 80, après avoir érigé 57 réacteurs fonctionnels en une vingtaine d’année. Depuis, toute cette expertise s’est envolée. Les experts sont partis en retraite, ou ont trouvé un autre travail, moins routinier. Et la transmission des savoirs n’a pas été réalisée. Ces risques sont effectifs aussi pour la transition écologique en France.

D’une part, les savoirs traditionnels se sont perdus. De nombreuses compétences n’ont plus été transmises. Deux générations se sont écoulées depuis la mécanisation systématique des services techniques, qui ne savent plus faire autrement. Un agent qui partait en retraite me racontait une fois qu’à son arrivée, il se déplaçait encore en vélo avec remorque pour gérer les espaces verts. Il faudra retrouver certaines manières de faire, former des agents volontaires, embaucher des spécialistes.

D’autre part, les compétences pourraient se perdre pendant le processus même. L’un des avantages de la fonction publique, c’est la formation continue. Ainsi, pour répondre à des besoins précis, les communes n’hésitent pas à former leurs agents.

Hélas, une fois formés, il peut être difficile de garder les agents. Dans une collectivité où je travaillais, la DRH devait passer un contrat avec les agents techniques en formation. En effet, les formations caristes ou poids lourds sont onéreuses, mais leur titulaire peut gagner beaucoup plus dans le privé. Plusieurs agents avaient ainsi été formés (pour la déneigeuse notamment) et étaient partis une fois diplômés. Avec la spécialisation que suppose la transition, notamment en maraichage, en artisanat, en mécanique, en électronique, ce genre de choses pourrait également arriver facilement. Le système de rémunération du public rend difficile de garder les profils techniques, souvent mieux rémunérés en bureau d’études ou en atelier.

La diminution des ressources

Les financements de certains dispositifs tendent naturellement à se tarir. En effet, les appels à projet servent par exemple à amorcer une dynamique, à générer des pionniers. Une fois les premiers projets aboutis, et que des retours d’expérience ont pu en être tirés, il devient difficile de se faire financer. Ainsi, de nombreuses idées de transition ont été bâties sur l’aide apportée par l’ademe, les agences de l’eau, le feader, etc. Quand elles s’arrêtent, c’est le drame. En ce moment, la grande tendance est au financement des prestations pour service environnemental. Mais avec des budgets contraints, il est quasiment certain que ce financement s’achèvera d’ici quelques années. La pérennité de ces prestations sera remise en cause.

De même, les financements de l’état sont sur une pente déclinante. La dotation globale de fonctionnement ne cesse de rétrécir, et la suppression de la taxe d’habitation sera certainement très mal compensée. De fait, tout est conçu pour replacer les collectivités locales sous la tutelle financière de l’Etat sans le déclarer officiellement. Dans ce contexte, la transition est un investissement qui apparait difficile à financer. C’est pourquoi il faut prioriser les projets à la rentabilité rapide, afin qu’ils génère des économies susceptibles d’alimenter le processus.

L’absence de plan d’action

Il n’y a rien de plus pour réussir un changement aussi complexe que la transition écologique, que de ne pas avoir prévu un plan d’action. Déjà parce qu’un bon plan d’action devrait compiler les 9 risques pour la transition écologique que nous venons de compiler, pour mieux les prévoir et réduire leur risque.

Le plan d’action permet aussi de définir les sous-objectifs, les étapes, les indicateurs. Sans lui, vous serez incapable d’évaluer efficacement votre progression. Ou cette évaluation ne sera ni objective, ni honnête envers la population, ce sera du marketing. Malheureusement, le greenwashing passe de moins en moins inaperçu, et peut générer du rejet pour la transition.

Et ce d’autant que sans ce fameux plan, vous naviguerez à l’aveugle. Le plan d’action est un scénario que vous déroulez. Vous savez où vous allez et comment vous allez y parvenir. Si votre trajectoire dévie, vous savez normalement comment revenir sur l’itinéraire, corriger les erreurs, compenser. C’est donc le meilleur moyen d’éviter de se perdre en route ou de faire un faux départ, qui dégoûterait votre population, déconsidérant l’idée de transition écologique chez elle.

Conclusion

A travers l’inventaire de ces 10 risques pour la transition écologique, nous avons pu établir ce qu’il fallait éviter. Le processus est autant menacé par des facteurs externes que internes, certains sur lesquels nous pouvons agir, d’autres moins. Les avoir en tête, connaitre le risque, c’est déjà faire la moitié du travail de prévention.

Pour le reste, je ne peux que recommander d’avoir un comité de pilotage citoyen de la démarche. Les élus et les agents changent, mais un comité ouvert à tous permettra d’assurer un suivi dans la continuité. Partager les doutes, les difficultés et les questionnement avec votre population est un remède doublement souverain. Il n’est pas possible de changer la manière de vivre sur un territoire sans refonder le contrat social. D’autant que, ce faisant, vous trouverez des idées et des solutions que le cadre politico-administratif seul n’aurait pas imaginées.

Nous n’avons pas de seconde chance pour la transition écologique. Il serait dommage que cet article fasse office de Cassandre avec ces risques de la transition écologique.

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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