Les 5 vulnérabilités systémiques à anticiper

Généralement, les maires ne s’inquiètent que des inondations, des coulées de boue et des incendies de forêt. Eventuellement, quand un site seveso est proche, le risque industriel est aussi considéré. Pourtant, il existe des vulnérabilités systémiques plus probables que ces risques, mais totalement ignorées par les maires.

Car la transition écologique locale est un processus qui prend du temps. Or, jusqu’à son achèvement, votre commune est exposée à des vulnérabilités systémiques inhérente à notre modèle sociétale. Ces vulnérabilités systémiques sont susceptibles de remettre en cause la transition écologique. Ou qui pourrait en tout cas l’empêcher de se compléter. Ces 5 menaces pour la transition locale sont des poncifs déjà bien connus des adeptes de la collapsologie. Il faut néanmoins les avoir en tête, car l’un d’eux pourrait conditionner notre futur…

La menace énergétique et matérielle

Le rapport Meadows l’avait prédit dès les années 70 et cette menace est en passe de se réaliser. Nous sommes en train d’assister à la fois à l’épuisement du pétrole et des matériaux nécessaires à notre vie quotidienne.

le pic de conventionnel a été atteint en 2008

Ainsi le le pic de production de pétrole conventionnel a été atteint en 2008. Le conventionnel désigne celui extrait par des derricks, à l’inverse de non conventionnels comme par exemple celui situé sous la mer, dans les sables bitumineux ou dans les mers polaires. La production continue pourtant à augmenter, portée par le relais du non conventionnel. Mais cette croissance est en trompe-l’oeil et devrait vite ralentir. En effet, le taux de retour d’énergie par énergie investie (EROEI) décroît de plus en plus. Il y a un siècle, un baril investi permettait d’en obtenir 100. Aujourd’hui, en moyenne, un baril de pétrole investi en rapporte douze. De la sorte, il est de moins en rentable d’extraire du pétrole (ou du gaz) à mesure que les gisements conventionnels s’épuisent.

Mais ce n’est pas la seule pénurie en perspective. Des matériaux qui nous paraissent banaux, ordinaires, sont en passe de s’épuiser ou de devenir difficiles à extraire.

Ainsi, ce tableau présente les réserves estimées. Mais ce sont les réserves totales, pas celles facilement accessibles. Le problème est alors le même que celui du pétrole, avec un risque de flambée des prix à très court terme. Or, ces métaux servent à produire de l’énergie, à construire de l’électronique, des véhicules, etc. Nous avons plus consommé de ces minerais en cinquante ans qu’en dix mille ans. Et ce sans jamais considérer sérieusement leur recyclage.

Grand absent du tableau, le sable de construction est une ressource à la pénurie également imminente. Il sert aussi bien à la production de vitres, de bouteilles ou de béton … Or, comme le rappelait l’Ademe dans une étude récente sur les mérites comparés de la rénovation par rapport à la construction neuve, y compris avec des matériaux biosourcés, le sable reste indispensable pour le neuf.

Il s’agit donc d’une double menace qui devient de plus en plus concrète chaque jour. Pourtant, des solutions existent et peuvent être mises en place dès maintenant. Le recyclage doit être intensifié, avec des déchetteries pour les professionnels. Côté construction, le bois devrait être privilégié, les matériaux et bâtiments réutilisés le plus possible. Et pour l’énergie, les mobilités douces doivent être soutenues, tandis que la production d’énergie renouvelable est une autre piste.

La menace logistique

Corollaire de la section précédente, la montée des prix ou la pénurie des énergies fossiles aura des conséquences logistiques fortes. Concrètement, cela peut prendre trois formes complémentaires.

D’abord, les circuits d’approvisionnement mondialisés pourraient se tarir. L’avenir pourrait être à la responsabilisation du secteur aérien. la hausse du kerosene, couplé à une taxe carbone, sonnerait le glas des trajets aériens abondants. Ce serait ainsi la fin des fruits exotiques et du tourisme de masse par exemple. Mais c’est surtout le fret routier qui en souffrira, rendant compliqué l’acheminement longue distance à travers l’Europe. De la sorte, les produits conçus avec de nombreux composants fabriqués un peu partout deviendront de moins en moins compétitifs. L’avantage sera alors pour les bassins économiques maitrisant toute la chaine de production. Et même si le fret maritime devrait mieux s’en sortir, lui aussi devrait néanmoins voir son coût augmenter. De manière générale, le fret longue distance devrait être pénalisé.

Ensuite, les circuits d’approvisionnements intérieurs pourraient eux-même se compliquer faute d’alternative. Les difficultés croissantes que rencontrera le fret routier – le fret électrique n’étant pas encore viable – découlera également sur la logistique des derniers kilomètres. D’une part via le fret routier dont les coûts dépendent du prix du carburant. D’autre part à cause des limitations que les villes pourraient mettre au transit des camions. Des limites qui permettraient de lutter contre la pollution et les ilots de chaleur tout en favorisant les mobilités douces.

Enfin, la gestion des ressources humaines pourrait aussi pâtir de la raréfaction du pétrole bon marché. La hausse du carburant est inéluctable à moyen terme, au-delà des fluctuations dues aux crises économiques. Or, avec une part modale majoritaire, l’automobile est la reine des déplacements pendulaires quotidiens, notamment à la campagne. Quand des salariés ne pourront plus venir travailler sans se ruiner en carburant, la situation explosera. L’avantage sera aux employeurs qui auront privilégié l’emploi local, même si ce critère est discriminant.

Par ailleurs, n’oublions pas que les agrocarburants ne sont pas une alternative viable et durable. Ils ne font qu’empirer les choses. Il faut réfléchir dès maintenant aux mobilités durables, en particulier dans les territoires ruraux, plus exposés à ces vulnérabilités systémiques.

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La menace alimentaire

La ruée vers les supermarchés en début de confinement a rendu ridicule les peurs de famine. Pourtant, la pénurie alimentaire est bien plus crédible qu’il n’y parait à l’horizon 2050. Plusieurs facteurs se conjuguent et rendent la situation explosive.

D’une part, les sols agricoles disparaissent de plus en plus vite. En effet, les effets associés de l’usage de pesticides, du labour, de la monoculture, de la fin de la rotation et des machines agricoles conduit à fragiliser les sols. Actuellement, la perte de sol est estimée à environ 1cm par an dans les zones les plus touchées. Or, vu la durée nécessaire pour leur reconstitution, cette perte rend les parcelles agricoles moins fertiles.

D’autre part, le réchauffement climatique remet en cause les solutions possibles pour pallier ce souci. La disparition de la biodiversité souterraine et l’agriculture intensive empêche les sols de se régénérer correctement, de sorte qu’il faut recourir à des engrais pour maintenir la productivité. Mais ces engrais azotés produisent énormément de gaz à effets de serre et devront donc disparaitre pour atteindre la neutralité carbone.

Pour conclure, les espèces cultivées en France ne sont pas adaptées aux chaleurs moyennes que nous allons atteindre à moyen terme. Elles sont le résultat de croisement et d’adaptation tout au long des siècles, et sont optimisées pour le climat du XXème siècle. Or le réchauffement climatique diminue les rendements, ce que reconnaissent d’ailleurs les géants de la chimie, espérant compenser avec des OGM (mauvaise idée). Nous ne risquons peut être pas la famine, mais il va falloir envisager de repenser notre alimentation très rapidement.

Là encore, en la matière, les communes pourraient agir en facilitant la transition des agricultures âgés vers des jeunes agriculteurs prêts à l’agriculture biologique. Les mairies pourraient également inciter à la culture potagère, à l’agriculture urbaine, etc.

La menace environnementale

Il apparaît de plus en plus clairement que l’environnement se dégrade de manière accélérée. Ainsi, rien qu’en matière d’espèces animales, leur disparition devient de plus en plus crédible. Le schéma ci-dessous donne quelques ordres de grandeur en la matière.

Ce problème peut ne pas sembler très préoccupant pour la communes française. C’est pourtant une erreur, tant les insectes et vertébrés sont importants dans l’équilibre environnemental local. En effet, ils participent à la vitalité des sols, à la régénération des forêts, à l’entretien des cours d’eau, à la lutte contre les parasites et insectes exotiques.

D’autant plus que la situation n’est pas meilleure pour la flore. Depuis 40 ans, Meteo France observe un triplement des territoires concernés par une sécheresse annuelle. D’ici 2050, les sécheresses exceptionnelles pourraient survenir une année sur deux. Un rythme qui ne laisse aucune chance pour la régénération des forêts et des sols agricoles.

Des catastrophes qui surviennent alors que les sols sont mal en point, fragilisés par l’artificialisation soutenue. Or, les sols sont susceptibles de capter le co2. Sans ce renfort, la neutralité carbone de la France sera plus difficile à atteindre. Et des sols fragilisés, sans vie souterraine, ce sont aussi des sols qui s’érodent et peuvent donner lieu à des coulées de boue !

Pourtant, en la matière, les communes peuvent agir directement. Outre un inventaire systématique de la faune et de la flore à travers un atlas de la biodiversité communale, elles peuvent également préserver via l’outil des trames vertes, bleues, brunes et noires, qui contraignent l’urbanisme présent et futur. D’autres outils sont également accessibles à travers la régulation des intrants chimiques ou de la circulation automobile par exemple…

La menace financière

Quelques jours avant le confinement, le monde a cru voir survenir une nouvelle crise économique. Mais ce n’était qu’un petit dégonflement des bulles boursières, qui perdait un peu de capitalisation. La richesse perdue n’était que virtuelle, tout comme la frayeur.

c’est la dedette qui monte qui monte qui monte

La vraie crise financière est plutôt liée aux dettes. Le graphique ci-dessus montre que la dette mondiale a doublé (il manque les 4 dernières années) en dix ans. A l’inverse, le PIB n’a augmenté que de 40%. Or, la crise de 2008 était une crise de la dette. Incapable de rembourser leur crédit, des ménages ont provoqué la ruine de banques, entrainant avec elles des entreprises. C’est une crise de la liquidité de la monnaie, raison pour laquelle les taux directeurs des banques centrales sont aussi bas depuis lors.

Mais une dette qui se décorrèle du PIB n’est pas tenable. Des défauts de paiement risquent de survenir et de refaire surgir le spectre de la récession. Et ce d’autant plus qu’en l’absence de croissance, les Etats sont contraints de s’endetter de plus en plus sans espoir de jamais rembourser leurs crédits. Ce qui est inquiétant, compte-tenu des dépenses à venir pour s’adapter et compenser les dérèglements climatiques et les vulnérabilités systémiques précédentes.

Les compagnies d’assurance ont ainsi de plus en plus de mal à couvrir les risques liés aux perturbations environnementales. Dès lors, les communes les plus exposées pourraient non seulement avoir du mal à financer leurs travaux, mais n’auraient pas de garantie de compensation en cas de sinistre. C’est pourquoi les territoires dont les pronostics de désastre environnemental se précisent – montée des eaux, sécheresse chronique, érosion des sols, cyclone, etc. – devraient mener au plus vite leurs travaux. Si elles tardent trop, elles pourraient ne plus en être capable du tout.

Conclusion

A travers l’examen de ces vulnérabilités systémiques, nous avons un aperçu de la raison principale pour laquelle la transition doit être rapide. Dans la plupart des cas, il est à craindre une dégradation brutale de la situation dans les 20 prochaines années. Or, couplées au réchauffement climatique, ces vulnérabilités systémiques pourraient avoir un effet dévastateur. Elles pourraient littéralement remettre en cause la résilience des communes françaises et entrainer un recul considérable du confort de vie en France.

Vous en voyez d’autres ? N’hésitez pas à proposer d’autres vulnérabilités systémiques ou à commenter celles déjà proposées.

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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