L’État qu’il nous faut – Agacinsky, Beaucher & Danion

L’État qu’il nous faut est le récit de la faillite de l’État à anticiper la manière de réagir au réchauffement climatique, mais aussi des solutions pour s’en sortir. Or, quand des Hauts Fonctionnaires et des spécialistes en innovation publique s’assemblent pour analyser ce qui dysfonctionne dans les mécanismes de l’État et des collectivités à l’heure du réchauffement climatique, je suis forcément intéressé. Je me suis énormément reconnu dans leur constat qui part du constat de l’inébranlable nécessité de l’action collective pour décider ensemble d’une société plus soutenable sous l’égide d’un état fort.

Un État plus que jamais nécessaire

Face aux grandes catastrophes environnementales en train de se dérouler, l’État apparaît plus que jamais nécessaire. Les auteurs font l’erreur (ils l’ont d’ailleurs reconnu suite à mon interpellation) de nier l’implication des associations environnementales auprès des collectivités jusqu’à la judiciarisation de cette action environnementale au début du siècle, comme si entre le Larzac et l’Affaire du siècle il ne s’était rien passé. C’est un pan de l’histoire qu’il faudrait souligner, notamment à travers le rôle de conseil et de lanceur d’alerte que les différentes fédérations affiliées à France Nature Environnement ont pu jouer auprès des administrations déconcentrées et/ou décentralisées.

L’État n’est pas une grande machinerie allant dans une seule direction, facile à prendre en main et à changer d’orientation. C’est au contraire un ensemble d’administrations centrales et locales avec des objectifs divergents, une interdépendance entre contrôle et action concrète, des liens financiers, juridiques et interpersonnels, et donc des habitudes à changer, un fonctionnement à transformer.

Partant du constat de la casse de l’État et des services publics locaux suite à l’introduction de réformes d’inspiration néolibérale (RGPP, MAP, etc.) , mais aussi de la décentralisation et de la formation des hauts fonctionnaires, les auteurs expliquent justement à quel point nous en avons besoin. Par exemple, si une lecture simpliste des gilets jaunes tendait à penser qu’ils voulaient moins d’impôts et plus de services publics, c’est plutôt qu’ils veulent un impôt plus juste et des services publics là où ils vivent (car les réformes successives ont fermé les services publics locaux).

Il ne faut pas oublier alors que l’État s’est longtemps reposé sur la promesse d’une abondance matérielle, d’une liberté accrue en échange de l’exploitation des matières premières. Le retour de bâton que constituent les politiques environnementales est d’autant plus mal compris que non seulement il est mal expliqué et mal répercuté dans l’action publique, mais surtout que l’effort est injustement réparti.

Un affaiblissement progressif de son efficacité

Or cet ensemble de réforme a conduit l’État à l’impuissance. Les auteurs s’attardent alors sur certaines mauvaises habitudes comme les réunions interministérielles où tout est décidé d’avance, la confrontation des points de vue semblant n’être qu’un rituel, ce qui nuit à la coopération et incite à jouer sur la communication. De même, ils déplorent la logique de carrière des hauts fonctionnaires, qui les poussent à bloquer l’innovation tout en mettant en œuvre des réformes qu’ils ne verront pas achevées, partant pour un autre poste moins de deux ans après leur arrivée, laissant le travail entre les mains de consultants paradoxalement plus stables.

La manière dont la décentralisation a été menée et donc elle se traduit aujourd’hui participe à ce sentiment. La préfecture reste très condescendante vis à vis des collectivités locales tout en jouant sur les cordons de la bourse de manière à bloquer les initiatives intempestives. La fragmentation des compétences entre les différentes strates nuit à la compréhension, égarant ainsi le citoyen, tandis que les fonctionnaires perdent la maitrise de leurs projets. Et avec des revenus en baisse par rapport au reste de la population, des conditions de travail de plus en plus difficiles et un dialogue social difficile, la fonction publique souffre en plus de difficultés de recrutement, notamment pour les profils les plus techniques.

Si le coeur du propos tourne autour de l’État comme Bien Commun, la solution proposée est tournée vers la relation entre Etat et Citoyen, ou plutôt de la puissance d’agir que le premier donne aux seconds, c’est à dire de la capacité à faire confiance, à soutenir des initiatives, à mettre des moyens à disposition, mais aussi à redonner du pouvoir sur leurs travail aux agents.

Mais cette transformation de l’état, cette remise en état de marche, reste un impensé des candidats aux élections, quelque soit l’échelon considéré. Pire encore, la tendance dominante reste à la diminution des effectifs et à la dégradation de sa capacité à agir. Si, l’État est avant tout une structure de mutualisation des moyens pour accomplir des actions difficile individuellement, il est également nécessaire d’avoir des contributions financières et des agents pour les accomplir. Or la tendance était d’invisibiliser ce besoin en oubliant de mentionner que les fonctionnaires non remplacés étaient des soignants, des pompiers, des professeurs, des experts techniques, des juges, tout ce qui nous manque aujourd’hui pour faire fonctionner correctement notre société. Pire encore, les contributions et cotisations sont devenues des charges, une extorsion. Cette guerre sémantique est au coeur de la nécessité de repenser l’action publique.

Agir dans le cadre de l’Anthropocène

Pour cela, pas de secret : de la formation, des modes de gestion moins contraignants, mais paradoxalement plus de planification pour mieux anticiper les crises et permettre aux perdants (entreprises polluantes notamment) de s’adapter, car l’absence de planification et les changements fréquents de politique sont d’autant plus contraignants qu’ils semblent reposer sur une trompeuse agilité.

L’Etat qu’il nous faut ne vous donnera pas les clés pour innover dans votre collectivité, refonder ses principes de fonctionnement et faire revenir l’être aimé, mais il permet de se débarrasser des dernières illusions sur le new public management pour opter pour une action publique adaptée au nouveau régime climatique… dans un climat de confiance, d’ouverture et d’intérêt général renouvelé.

Je regrette néanmoins de ne pas sortir plus outillé de la lecture de cet essai. Par exemple Romain Beaucher, fondateur de l’agence de design public Vraiment Vraiment, propose des outils pour améliorer les services publics, repenser notre rapport au citoyen. Il est dommage que ses solutions soient réservées à ses clients et non à ses lecteurs. (vous pouvez cependant déjà en trouver sur leur site dédié voila voila) Quelques principes de plus n’auraient pas été de trop. J’espérais trouver un manuel de la transformation publique à l’heure de l’anthropocène, et je n’ai qu’un très bon diagnostic sur tout ce qui dysfonctionne et les orientations à prendre pour y remédier.

Sur le même sujet :  Diminuer l'empreinte carbone des administrations

Retrouver l’Etat qu’il nous faut sur le site de son éditeur

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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