Choisir une banque éthique pour financer la transition

Le nerf de la transition est l’argent, comme d’habitude. Certaines mesures qui paraissent nécessaires seront d’autant plus difficiles à appliquer qu’elles suppose un effort financier de chacun. Une Zone à Faible Emission par exemple, qui semble une bonne idée a priori, est difficile à respecter pour un foyer modeste pris au piège d’un véhicule désormais trop polluant, ainsi que l‘expliquait récemment un ami. Or l’argent, ça tombe bien, c’est moins compliqué pour les collectivités locales. Elles ont des facilités pour en avoir, mais aussi des contraintes supplémentaires. Mais comment pourraient elles concrètement financer la transition écologique ?

L’impact climatique de l’argent

Dans son livre “une famille en transition”, Jeremy Pichon nous éclaire avec sagacité sur l’impact de notre argent sur le climat. Cet argent, qu’il soit sur un compte courant ou un livret d’épargne, abonde des caisses d’organisation qui, pour la plupart, financent les entreprises à l’origine du changement climatique et coupables d’évasion fiscales.  Si nous retirions notre épargne, elles auraient moins de liquidités et de facilité de prêt, et seraient peut être plus circonspectes quant à l’usage qu’elles font de l’argent de leurs clients. 

Ainsi, il estime que chaque euro placé dans une des 6 principales banques en France nous fait produire 800g de CO2 par an. Contre 350g en moyenne pour les 3 plus vertueuses. Avec notre épargne, nous multiplions facilement par 2 ou 3 notre impact carbone par rapport à l’empreinte définie par les statistiques nationales.

Il est clair que nous n’avons pas le même impact quand nous avons un compte à la BNP Paribas ou au Crédit Coopératif, le premier soutenant l’extraction de pétrole et l’élevage intensif quand le second finance la transition énergétique et l’agriculture biologique. Comme le montre le tableau ci-dessous, élaboré grâce aux travaux des ONG les amis de la terre et Oxfam, nous voyons que l’impact en général est bien plus grand sur l’ensemble des domaines qui constituent le bien vivre ensemble.

Changer de banque à titre personnel est devenu très simple. Ça prend quelques minutes, certains comptes d’épargne peuvent voir leur transfert facturé, mais globalement, en quelques jours, vous avez diminué la capacité de nuisances de certaines des pires multinationales de la planète. Pour les collectivités locales, ce n’est pas aussi simple.

Le cadre réglementaire des finances publiques

En effet, les collectivités n’ont pas le choix de leur banque. Contrairement aux citoyens, elles n’ont pas ce levier d’action pour diminuer rapidement leur impact sur la crise écologique. Et pour cause, puisque les collectivités n’ont pas de banque. Ou plutôt elles ont toutes la même banque, la Banque de France. 

En vertu du principe de séparation de l’ordonnateur et du payeur, les collectivités – qui décident des projets – ne payent pas directement leurs fournisseurs. Elles sont soumises au préalable à un contrôle de légalité par les trésoreries publiques, qui disposent des cordons de la bourse de chaque collectivité. C’est pourquoi les impôts locaux sont perçus par l’Etat, puisque c’est lui qui paie également les dépenses des communes, EPCI, départements et régions. 

Pourtant, il reste un levier accessible en matière de finance : l’emprunt. Car pour pallier le manque de liquidités en fin d’année ou se lancer dans un gros projet, les collectivités peuvent elles aussi emprunter. Leur limite étant qu’elles ne peuvent pas dépasser les douze ans de capacité de remboursement, sous peine sinon d’être reprises en main par la préfecture, comme c’est arrivé il y a une dizaine d’années pour les collectivités piégées par le fonds toxique Dexia…

En théorie, l’emprunt est réservé au financement de l’investissement, c’est à dire pour des dépenses excédant le fonctionnement normal de l’administration. Mais comme l’emprunt n’est pas soumis au contrôle de légalité, des abus peuvent survenir.

Ainsi, en cas d’emprunt, la collectivité peut choisir librement son prêteur. Il n’y a même pas besoin de mise en concurrence, bien que le bon sens propre à la gestion des deniers publics impose de comparer les taux d’intérêts des organismes prêteurs. Les collectivités sont des bons clients, car outre leur solvabilité garantie, ils ont souvent recours aux banques en fin d’année pour avoir un peu de liquidités pour peu que les recettes espérées n’aient pas été au rendez-vous. Des prêts évidemment rémunérateurs et qui permettent aux banques que nous connaissons bien de financer des projets climaticides plus risqués.

Vers des banques éthiques

Dès lors, en privilégiant des prêteurs plus éthiques, elles pourraient rémunérer des comportements vertueux et contribuer par ce biais à la transition. A condition que les organismes prêteurs écologiquement responsables soient capables de financer toutes les collectivités le demandant, ce qui suppose que les citoyens transfèrent massivement leurs livrets d’épargne vers les banques agissant en faveur de la protection de l’environnement. (c’est à dire la Nef, le Crédit Coopératif, les crédits municipaux et dans une moindre mesure La Banque Postale)

Rappelons à cet effet que les banques peuvent prêter environ 12 fois ce qu’elles possèdent en fond propre. Or, les collectivités locales sont endettées en 2018 à hauteur de 180 Milliards d’euros (ce qui est assez faible). Il faudrait donc au total 15 Milliards d’euros dans les banques éthiques pour les seuls besoins des collectivités locales françaises. Or, d’après une étude de 2019, l’épargne moyenne des français est d’environ 45 000 €. Il faudrait donc environ 350 000 épargnants dans les banques éthiques pour fournir l’encours actuel de la dette publique locale, sans compter les prêts aux particuliers et entreprises. Difficile mais pas impossible.

D’ailleurs, le cadre réglementaire étant flou à ce sujet, nous pourrions même nous demander s’il n’est pas possible pour les collectivités de recourir à des CIGALES pour relocaliser encore un peu plus son financement, ce qui ne marche néanmoins que pour des prêts assez faibles, mais pourrait s’avérer intéressant dans certains cas, comme celui des monnaies locales.

Et les monnaies locales ?

Par ailleurs, les collectivités pourraient également choisir de payer en monnaie locale. Ce faisant, elles cautionnent là encore un véritable choix de société, celui d’une économie plus locale – où les bénéfices ne partent pas à l’autre bout du monde ni ne sont thésaurisés – celui du contact humain – puisqu’il faut se voir pour payer – celui qui met en avant un réseau de proximité d’acteurs interconnectés et interdépendants, qui ont besoin les uns des autres et peuvent ainsi s’aider si nécessaire. 

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Une loi est venue encadrer les monnaies locales et les trésoriers payeurs généraux acceptent le principe de leur usage par les collectivités locales. Ils pourraient ainsi servir tout d’abord aux services publics locaux (salles de sport et de spectacle, transports en commun, inscription aux activités jeunesse, bibliothèque, cantine, musée, crèche, etc.) ainsi qu’à diverses redevances, notamment celles pour les places de marché ou l’occupation du domaine public, et seraient ensuite réutilisées par la mairie pour diverses prestations comme l’aide aux personnes défavorisées (ce que fait la ville de Toulouse par exemple), des primes pour les agents, le paiement des prestataires pour des petites commandes qui peuvent échapper à la dématérialisation de la commande publique, voire des subventions à des associations ou des dotations dans le cadre de budgets participatifs, etc.

Nous n’en sommes pas encore au stade où les taxes peuvent se payer en monnaie locale, mais ce n’est pas non plus inenvisageable à terme, puisque différentes monnaies françaises se sont associées pour développer une plateforme logicielle pour le paiement électronique. 

De nombreuses personnes que je croise ne voient pas l’intérêt d’une monnaie locale, et je les comprends. Dans notre société mondialisée et adepte du tout-numérique, une monnaie locale semble une anomalie. Pourtant, dans une société en déclin, où les flux commerciaux se raréfient, où certaines régions peuvent s’isoler de par des difficultés d’accès ou une pénurie d’essence, le maintien d’un lien économique devient vital. La monnaie locale joue le rôle de ce liant, d’autant plus qu’elle est connue sur un territoire cohérent, que son argent est placé dans une banque locale (à Strasbourg, le Stück dépend du crédit municipal) et pourrait se substituer à une monnaie défaillante suite à l’effondrement des bourses.

En tout cas, outre le fait d’utiliser une banque éthique, rien n’interdit aux collectivités locales d’utiliser une monnaie locale pour encourager l’économie locale vertueuse. Dans un prochain article, nous aborderons la question autrement plus complexe des marchés publics.

Pour en savoir plus sur les finances publiques, un petit guide rédigé par un collègue pour un ancien poste, et les rapports des amis de la terre et de oxfam

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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