Ecotopia – Ernest Callenbach
L’écrivain américain Ernest Callenbach a écrit son récit Ecotopia dans les années 70, mais ce n’est que récemment qu’il a été traduit en français. Un retard dommageable, puisque cette fiction offre une véritable vision positive d’une société qui s’inscrit dans le respect des limites planétaires tout en maintenant un niveau de vie agréable. Le récit prend place 20 ans après la mise en place de cette société, quand elle a atteint son rythme de croisière.
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Une quête initiatique inversée
L’histoire est centrée autour du personnage de William Weston, journaliste américain, envoyée dans les états sécessionnistes d’Ecotopia pour y réaliser un repartage exclusif. En effet, dans les années 70, les 3 états de la côte Ouest – Californie, Oregon, Washington – ont déclaré leur indépendance pour réorienter leur fonctionnement vers une meilleure prise en compte du respect de l’environnement. Depuis lors, ils ont coupé toute relation diplomatique avec les USA, se tournant vers le reste du monde pour leurs échanges commerciaux. Weston est donc le premier américain accrédité à y rentrer depuis une vingtaine d’années.
Son point de vue a ceci de particulier qu’aucun américain avant lui n’a pu savoir à quoi ressemblait cette société écologique. Ernest Callenbach réussit avec brio à imaginer le choc de la découverte d’une écotopia à la fois familière et différente. Elle est familière car Weston y reconnait des vestiges des USA, mais différente aussi car en 20 ans de sécession, la nouvelle société a emprunté une voie de développement radicalement différente. Les articles qu’il écrit s’en ressentent et offrent alors un contrepoint intéressant au récit de son évolution personnelle.
Au fil de ses rencontres, et notamment d’une histoire amoureuse, il découvre de nouveaux aspects de cette société si familière et pourtant si lointaine de ses propres référentiels. L’idée est qu’il ne peut pas espérer atteindre son objectif, rencontrer la présidente écotopienne, sans avoir pris un point de vue différent, plus empreint de curiosité et de bienveillance, que d’amertume et d’antipathie.
Une société vraiment idéale ?
Son récit montre vite que la liberté individuelle ne peut pas survivre à la recherche d’un équilibre écologique. Du moins, elle ne peut pas se maintenir avec une intensité égale à celle que nous connaissons actuellement, ce que nous avait déjà appris Pierre Charbonnier, puisque ces libertés sont rendues possibles par l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables. C’est pourquoi, la première découverte de Weston sera l’abandon quasi généralisé de la mobilité individuelle au profit des transports en commun. En cela, avec Ecotopia, Ernest Callenbach rejoint la voie ouverte à la même époque par Ivan Illich dans Energie et Equité, où ce dernier soulignait que nous passions plus de temps à travailler pour nous payer une voiture que nous n’en gagnions avec cette même voiture. Alors que le transport représente un quart des émissions mondiales de Co2, l’abandon de la mobilité individuelle est d’autant important.
Cette société est d’ailleurs conviviale dans l’acceptation qu’en donne Illich. Les produits sont simples, universels, réparables facilement, et n’endommagent pas l’environnement. Les emballages plastiques sont issus de matière végétales et conçus pour se dégrader rapidement. La nourriture est conçue pour nourrir et non pas pour plaire à l’oeil. Les vêtements sont conçus dans des matières naturelles qui ne polluent pas l’environnement en se dégradant. La liste est longue de ces pratiques qui ont dû sembler surprenante dans un récit des années 70, mais qui ne nous semblent plus aussi incongrues en 2021, quoique leur mise en oeuvre soit encore aujourd’hui compliquée.
C’est une société radicalement différente, qui cherche la symbiose jusqu’à opter pour des choix qui aujourd’hui encore paraissent incompréhensibles. La vision qu’a Ernest callenbach d’écotopia n’est pas forcément l’image parfaite d’une société en transition écologique. Encore trop empreinte de croissance verte, c’est une société encore en transition, mais qui peut encore mieux faire.
Une société aux moeurs différentes
D’autant que ce changement intervient aussi dans les mœurs. C’est là un poncif auquel les récits de science fiction ne peuvent pas échapper, que d’imaginer à quoi peut ressembler une société ayant pris un chemin radicalement différent. On en revient ainsi toujours à la sexualité, qui est évidemment plus libérée – tradition hippie oblige – que dans le reste de l’Amérique. Les couples ne sont pas aussi figés ou plutôt monogame, et la morale ne réprouve pas l’amour sans lendemain. Cela se ressent d’ailleurs dans la notion de famille, qui n’existe plus vraiment. Les enfants y sont élevés en commun par un ménage qui peut comporter plusieurs adultes.
C’est d’ailleurs une société profondément féministe. Non seulement l’égalité entre les sexes est une réalité politique, mais le consentement sexuel est un droit fondamental. Ernest callenbach imagine d’ailleurs que Ecotopia est essentiellement gouvernée par les femmes, qui étaient à l’origine du mouvement de sécession. Ce pouvoir des femmes s’incarne à plusieurs reprises à travers les personnages féminins que Weston rencontre, et qui vont bouleverser son existence, l’orienter vers des directions inattendues.
Mais c’est aussi une société qui a abandonné la compétition, et ne s’intéresse ainsi plus guère au sport, pour préférer la coopération. Pourtant, Ernest Callenbach croit que la violence est inévitable et imagine ainsi une pratique violente ritualisée à Ecotopia, une sorte de jeu de guerre où deux équipes s’affrontent dans une sorte de match à mort où le premier sang met fin à la rencontre. Finalement, dans une société sans exutoire spirituel, sans coupe du monde ou occasion d’exercer une puissance technologique, il n’est pas aberrant d’imaginer ce moyen pour exprimer un besoin de communion et de défoulement.
Cette question de la violence dans une société est fondamentale, et il est heureux que Callenbach s’en soit saisie. Elle se posera également dans une société en effondrement ou en transition, quand les privations – qu’elles soient concertées ou subies – créeront des frustrations et des tensions sociétales. C’est un angle mort des questionnements actuels qui sont évacués par la croyance de certains gourous comme Pierre Rabhi ou Pablo Servigne en une bienveillance naturelle des individus. Il nous faudra un cadre institutionnel de la violence comme catharsis.
Conclusion
Avec Ecotopia, Ernest Callenbach a signé un livre très fort quand il s’agit d’imaginer à quoi pourrait ressembler une société en transition écologique. Tout n’est pas à reprendre au pied de la lettre, mais il envisage aussi bien les aspects positifs que négatifs d’une société en accord avec son environnement. Cette perspective est un écueil sur lequel échoue de nombreux récits, et il réussit à n’écrire ni une utopie, ni un dystopie. C’est un reportage journalistique fictif qui fait rêver, et nourrit l’imaginaire. A mettre entre les mains de ceux qui veulent bâtir des alternatives pour les aider à préciser leur dessein.