Réduire les déchets des bibliothèques
A l’occasion d’une série de webinaires sur le développement durable des médiathèques avec the shift project, j’ai été invité à réfléchir à la démarche environnementale des bibliothèques, et notamment sur comment réduire les déchets. Je vous propose une démarche introspective complète pour remettre en perspective le rôle du déchet dans les bibliothèques.
Nous avons tous en tête le renouvellement des oeuvres. Des livres disparaissent, trop abîmés ou délaissés par les lecteurs, d’autres apparaissent pour les remplacer. Le désherbage des médias est une partie essentielle du travail des bibliothécaires. En ce sens, il n’y a pas besoin d’apprendre aux bibliothèques à réduire les déchets, puisqu’elles le font déjà très bien toutes seules. Mais il existe peut être d’autres gisements à explorer…
Cet article n’a pas vocation à l’exhaustivité. C’est une réflexion rapide sur les enjeux et outils pour améliorer la situation, et son objectif est avant tout de faire réfléchir les professionnels sur leurs pratiques pour qu’ils trouvent eux même les bonnes solutions.
Sommaire de l'article
Quelques généralités sur le déchet
Une histoire juridique
Un déchet est le résidu de l’utilisation d’un produit. Si celui-ci est à usage unique, le produit devient alors un déchet. Quand on y songe, tout objet matériel est voué à devenir déchet, à produire un résidu. La question est donc celle du traitement de ce résidu, mais aussi de la durée d’utilisation avant la transformation en déchet. Mais le déchet est aussi quelque chose que nous répugnons à envisager, et c’est pourquoi jusqu’à la fin du siècle dernier, on s’en débarrassait en l’incinérant ou en l’enfouissant, sans lui accorder de valeur.
Tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit, ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que le détenteur destine à l’abandon (article L.541-1-1 du Code de l’environnement)
Ça n’a pas toujours été le cas. C’est une conséquence de l’industrialisation de notre société avec une énergie abondante et des biens manufacturés produits en masse. Jusqu’au début du 20ème siècle, l’essentiel des déchets recyclables étaient ramassés par des chiffonniers tandis que les habitants des villes s’organisaient comme ils pouvaient pour évacuer leurs ordures. Ceux qui refusaient de s’astreindre à un ramassage payant jetaient leurs ordures, dégradant le cadre de vie général, sans qu’il soit possible de les sanctionner faute de cadre réglementaire réellement efficace. Le ramassage des déchets avait pourtant déjà été testé, notamment à Paris, pour améliorer la situation sanitaire. A la campagne, le déchet n’existait tout simplement pas, tout était valorisé ou réutilisé. Le déchet est une invention moderne.
Ce n’est que vers 1975 qu’une première loi oblige les communes à procéder au ramassage des déchets des ménages. C’est dire la cécité des pouvoirs publics sur le sujet jusqu’alors, chacun faisant un peu à sa guise, essentiellement à la campagne. C’est ce qui pousse les communes à créer des syndicats mixtes, qui deviendront les intercommunalités dans les années 90.
Les déchets ultimes sont les déchets dont on a extrait la part récupérable ainsi que les divers éléments polluants comme les piles et accumulateurs (circulaire d’avril 1998)
Il devient alors nécessaire de différencier les déchets valorisables des déchets ultimes, qui n’ont aucune valeur voire peuvent représenter un coût pour la collectivité. Par exemple les mâchefers, résultant de l’incinération des déchets, sont polluants et sont parfois utilisés dans la construction des routes, mais plus généralement enfouis. Si aujourd’hui il ne reste plus de décharges, les centres d’enfouissement restent encore bien présents, et ce d’autant plus qu’on y accole des centres de valorisation thermiques pour récupérer de l’énergie dans leur traitement. Paradoxalement, cela n’incite pas à réduire les déchets, puisque cette énergie est dite renouvelable et donc censément vertueuse. Ainsi, tout comme réduire les déchets dans les bibliothèques peut sembler une gageure, la législation n’encourage pas non plus à une action concrète sur le sujet. Elle ne fait que séparer le déchet ressource du déchet fardeau sans réellement imaginer le déchet qui n’existe pas, car évité.
Connaissez vous les déchets ?
Pouvoir définir un déchet ne suffit pas savoir réellement ce que sont les déchets. Pour cela, je pourrais y passer des heures sans que nous n’ayons encore vu tous les aspects de la question. Je vous propose trois questions, qui permettent de souligner l’aspect critique de la question de leur réduction dans notre société.
Savez vous quelle volume de déchets génère un français chaque année ?
Il n’y a pas de réponse facile à cette question. L’indicateur généralement retenu est de prendre le volume total collecté par les intercommunalités et de le diviser par la population totale. Cela aboutit à un chiffre tournant autour des 580 kilos de déchets, soit 2/3 collectés directement par ramassage et 1/3 en apport à la déchetterie. Il est évident que ce chiffre, en tant que moyenne, ne reflète pas du tout la situation de nombreuses personnes. Quand vous vivez dans un appartement, vous ne générez pas le même volume qu’avec un jardin. De même, avec un bébé ou un adulte qui a besoin de couches, ce volume va là encore exploser. Idem si vous possédez un animal de compagnie et que vous ramassez ses excréments.
La bonne nouvelle, c’est que la plupart de ces déchets sont valorisables pour peu qu’ils soient correctement triés. Le hic, c’est de réussir à faire son tri correctement, et ça c’est pas gagné. Quand je faisais des tournés de vérification du tri dans les bacs jaunes, j’ai pu constater que 90% des erreurs venaient de la présence de plastique dans le bac. Et c’est logique, car si on peut y mettre des bouteilles plastique, pourquoi ne pas y mettre des sachets ou des pots de yaourt ? Mais c’est un autre problème. Car souvent, les débouchés possibles pour valoriser vos déchets n’existent pas. Il devient plus simple de les incinérer ou de les enfouir, même si ce sont des objets encore fonctionnels. Par exemple, il est possible de recycler des mégots de cigarette ou des cd, mais ce n’est pas rentable de les collecter et de les trier. Il n’y a guère que dans des filières de collecte par voie de solidarité, comme les bouchons et les stylos, où le gros du travail est fait par des bénévoles, que cela devient possible.
Mais ce chiffre est inexact. Dans les faits, le volume total de déchet par français est de l’ordre de 5 tonnes. Cela implique de considérer tous les déchets utilisés par l’industrie française pour produire des biens manufactures ou des produits agricoles, mais aussi les déchets issus du BTP. 90% de nos déchets nous échappent, et nous n’avons pas de prise concrète dessus.
A cela s’ajoute une autre dimension, celle du volume de matériaux nécessaires pour les produits consommés. L’industrie française ne couvre pas l’intégralité de nos besoins, et par exemple l’essentiel de l’électronique ou du textile est importé depuis l’étranger; Cela signifie que les déchets qui sont associés à la conception de ces produits ne sont pas comptabilisés dans le volume français. (il serait nécessaire de réaliser une différence entre inventaire national et empreinte déchet, mais cela n’existe pas encore pour l’instant). Considérant qu’un ordinateur nécessite 800 kilos de déchets, il est facile d’imaginer la masse considérable et invisible de déchets derrière notre mode de vie.
Savez vous trier les déchets ?
Depuis le temps que vous avez un bac jaune chez vous, vous avez sans doute compris les grands principes du tri. Mais ceux-ci évoluent avec le temps, sans qu’on en ait parfois conscience. Ainsi, depuis début 2022, toute la France est censée avoir basculé en extension de consigne de tri, ce qui signifie que plus d’emballages plastiques sont acceptés grâce à une amélioration des centres de tri. Mais ce n’est pas toujours effectif, et entre deux territoires, les consignes peuvent varier en fonction des capacités réelles des infrastructures de gestion des déchets ou du budget alloué au service. En effet, la plupart du temps, ce sont les impôts locaux qui paient le ramassage des déchets sans que cela soit clairement imputé. A l’inverse, le système de redevance – généralement incitative – permet de transformer la collecte des déchets en service annexe pour lequel les usagers paient une facture.
De même les déchetteries n’acceptent pas les mêmes déchets d’un site à l’autre, a fortiori d’une intercommunalité à l’autre. Et même si les couvercles de bacs sont censés être harmonisés, la diversité des couleurs, parfois aux sens antagonistes à quelques kilomètres de distance, n’aidait pas à la lisibilité. Un peu comme si chaque service de ramassage des déchets avait son propre code dewey. Vous imaginez le bordel ?
Le vrai problème des différents systèmes, c’est qu’on ne sait jamais vraiment comment ça marche. L’information n’est jamais vraiment claire, et ce d’autant plus que même les professionnels ne savent pas vraiment si les déchets sont vraiment recyclés ou à quoi ils servent. Nous ne faisons généralement que partager les explications données par les éco-organismes comme Citeo, qui simplifient le message pour améliorer le geste de tri. Ainsi, quand l’extension des consignes de tri revient à dire que les emballages plastiques sont admis dans les bacs jaunes, cela revient à accroître les erreurs de tri. L’image ci-dessus illustre bien la diversité du recyclage en fonction des usages et des matières, considérant que si nous utilisons couramment une dizaine de plastiques, il en existe bien plus encore dans vos maisons.
Alors voila, je ne sais pas trier. J’ai enseigné le tri pendant des années aux habitants des territoires où je travaillais, mais pourtant j’en sais à peine plus qu’eux. Tout comme eux, je suis confronté aux documentaires sur les déchets envoyés en Afrique, sur l’électronique qu’il n’est pas rentable de recycler, sur les décharges sauvages et les produits toxiques incinérés, et je ne sais quoi leur dire. On peut même avoir l’impression que tout ça est vain.
La réduction des déchets est elle efficace ?
Cette tentation est réelle, et je l’ai souvent entendue dans la bouche de personnes qui pourtant aimeraient bien faire. Mais il est difficile de savoir ce qui est réellement impactant, car la communication des collectivités locales n’a pas pour objectif d’informer mais de valoriser leur action. D’ailleurs il est difficile de promouvoir la réduction des déchets quand, dans le même temps, c’est l’économie circulaire qui est mise en avant. Or, pour fonctionner, elle a besoin de matières à recycler. Si vous réduisez les déchets à la source, il n’y a pas d’économie circulaire.
Dans leur étude Faire sa part, le cabinet Carbone 4 essaie de déterminer l’impact que peut avoir un individu sur la baisse de son empreinte carbone par ses seuls choix de consommation. Sur un objectif de 8 tonnes, ils estiment que nous pourrions au mieux diminuer de 2.8 tonnes sans gros investissement. Pour aller plus loin, il faut rénover son logement, acquérir un véhicule électrique, ce qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. Ils estiment ainsi que le choix du zéro déchet permet d’économiser 100 kilos de Co2 par an. Et en effet, avec quelques dizaines de grammes de Co2 par emballage plastique ou carton, même rapporté sur une année, la différence n’est pas énorme.
Le véritable impact est ailleurs. Il est dans la renonciation à l’achat de produit de mauvaise qualité. C’est en pratiquant le seconde main pour de l’électroménager ou du mobilier, en réfléchissant à vos achats textiles, que vous obtenez des résultats plus impactants. Pourtant l’investissement en temps est moindre, et vous faites peut être même des économies. Pour appréhender la meilleure manière de réduire les déchets en bibliothèque, il vous faut donc une stratégie.
La règle des 3R
En la matière, le premier cadre stratégique a été introduit il y a une cinquantaine d’année avec la règle des 3 R pour Réduire, Réutiliser, Recycler. Acheter en vrac permet de réduire les déchets, quand l’achat d’occasion vise la réutilisation. Il faudra alors attendre la fin de vie, soit parce que l’objet est trop abimé, que les pièces de rechange ne sont pas disponibles ou qu’il est tout simplement obsolète, pour l’envoyer dans le système de tri où il pourra – avec un peu de chance – être recyclé. C’est le principe qui a prévalu à la création du système actuel de collecte des déchets recyclables et à la mise en oeuvre des déchetteries à partir de la loi Royal (oui comme Ségolène) de 1992, puis de la Responsabilité Élargie des producteurs pour que ceux-ci agissent en amont sur leurs emballages de manière à réduire les déchets ou à les rendre plus faciles à réutiliser.
Mais ça ne suffit pas pour permettre une stratégie zéro déchet vraiment efficace. Pour cela, nous devons plutôt nous rapprocher vers la règle des 5R du mouvement zéro déchet. Celui-ci ajoute ainsi un principe initial, qui est de refuser les déchets à usage unique, voire de renoncer à un achat (perspective plus radicale). Le 5ème R est pour rendre à la terre dans le sens de composter / pailler, mais c’est une forme de réemploi. Pour ma part, vu le contexte culturel de cet article, je préfère le réserver pour parler de rééducation.
Pour les bibliothèques, il est évident que les animations font partie des outils à déployer pour réduire les déchets. J’imagine que ça l’était aussi pour vous, mais il vaut mieux expliciter les choses parfois plutôt que de croire que nous partageons le même implicite.
De la sorte, comme vous pourrez vous en rendre compte, la stratégie de prévention et de réduction des déchets deviendra vite une démarche holistique. En effet, en s’attaquant à différentes problématiques susceptibles de générer des déchets, elle implique de nombreuses compétences communales qu’elle s’emploie à transformer pour les adapter aux nécessités de l’urgence climatique. Dans le même genre, je m’étais attaqué aux politiques de la sécurité, pour montrer qu’elles ne s’arrêtaient pas au maintien de l’ordre, mais à la sécurité énergétique et alimentaire, garantes de la stabilité de notre système socio-économique.
Grâce au zéro déchet, vous agirez ainsi sur l’occupation des sols, la végétalisation urbaine, la transition agricole, la sobriété énergétique, les besoins en mobilité, la gouvernance partagée, la communication et les solidarités. Les problématiques environnementales sont profondément intriquées dans le fonctionnement des collectivités locales, puisque par nature elles sont transversales. Vous ne pouvez pas faire de zéro déchet sans parler des autres objectifs de développement durable et donc agir sur toute la ville.
Le déchet dans les bibliothèques
Qu’est ce qu’une bibliothèque ?
Pour déterminer la meilleure manière de réduire les déchets dans les bibliothèques, je vous propose ainsi de revenir sur leurs rôles, leur fonctionnement. Il y aurait environ 18 000 bibliothèques publiques en France, aucune institution n’ayant de chiffre précis. 16 300 seraient municipales voire intercommunales , 1500 seraient des bibliothèques universitaires et il resterait les bibliothèques départementales. Quant aux bibliothèques associatives, il n’existe pas de recensement. Les formes peuvent varier entre le point lecture sans véritable gestion documentaire, la bibliothèque municipale de petite taille avec quelques agents et la médiathèque proposant aussi des dvd, des cd, des livres audio, voire des jeux vidéo ou de société. La seule règle, c’est qu’il n’y a pas de règle !
En effet, hormis pour les départements, rien n’oblige une collectivité à créer une bibliothèque. C’est une compétence facultative, pour laquelle l’action publique est volontariste. La récente loi du 21 décembre 2021 vient préciser certains aspects de leur rôle, et aussi rendre opposable la constitution de leur fonds pour permettre la diversification des oeuvres et des points de vue, afin de garantir un égal accès à la culture et à l’information à tous. Cette politique volontariste est assez contrainte financièrement. Les fonds dédiés à l’acquisition d’oeuvres peuvent être assez limités, de sorte que la gestion de médias en bon état devient un enjeu crucial dont les usagers ont rarement conscience. Réduire les déchets pourrait ainsi être un moyen de réaliser quelques économies. Pourrait, car ce n’est pas si simple évidemment.
Mais une bibliothèque n’est pas seulement un lieu où consulter et emprunter des livres. C’est tout d’abord le principal équipement culturel en France, c’est à dire un lieu d’accès privilégié à la culture. C’est donc à la fois un lieu d’apprentissage, de loisir, d’épanouissement personnel, de découverte de nouvelles idées, d’interaction sociale et de lien intergénérationnel, mais aussi de confrontation avec les pouvoirs publics. Ce peut être le seul endroit où trouver des bibliothèques publiques dans une ville, tout en permettant à des sans domiciles de ne pas passer la journée dehors. Les bibliothèques peuvent aussi organiser des activités à destination de publics éloignés comme des personnes précaires en accueillant des activités sociales ou solidaires. Elles sont également un lieu où se restaurer, où faire ses devoirs, où organiser des expositions et des concerts, voire des réunions publiques.
Pour beaucoup de personnes, c’est aussi le seul endroit depuis lequel accéder à un ordinateur pour faire des démarches administratives ou des recherches personnelles. On y trouve aussi de plus en plus souvent des espaces de fabrications d’objets – dits fablab – ou des crèches, des centres artistiques, des salles de formation et de beaux jardins. Réduire les déchets des bibliothèques, c’est aussi considérer la diversité des rôles, qui impliquent tout autant de sources potentielles de déchets. Et certains sont encore à inventer, car les établissements actuels ne sont pas figés. Face au défi de la désaffection du public, et ce alors que ce sont parmi les équipements les plus présents dans les communes, leur vrai rôle reste encore à inventer.
Recenser les déchets dans les bibliothèques
Avez-vous lu La Magie du Rangement de Marie Kondo (ou vu la série netflix) ? Dans ce livre de développement personnel, cette japonaise explique comment ranger de manière efficace son appartement en apprenant à déterminer ce dont nous avons vraiment besoin pour savoir jeter le superflu et tendre vers une forme de minimalisme. Tout n’est pas parfait dans cet ouvrage, elle n’aborde par exemple pas les aspects environnementaux de la surconsommation, mais elle propose une démarche globale intéressante. C’est assez simple, pour elle, à peu près tout ce que vous avez dans votre appartement est un déchet potentiel;
A partir de là, c’est assez simple, il vous faut répertorier tout ce qui compose la bibliothèque et déterminer dans quelle condition la transformation en déchet se fera. Prenez une cartographie de votre bibliothèque, des post-it et c’est parti pour commencer à réduire les déchets. J’apprécie beaucoup cette approche systématique, fortement empreinte d’émotions (qui ont un rôle important à jouer, car nous protégeons ce que nous aimons)pour déterminer ce qui est important ou pas, ce qui est utile ou est un déchet, un fardeau dans votre existence.
Le second point positif dans la méthode KonMari est qu’elle recherche l’efficience et non la satisfaction immédiate. Vous devez agir un grand coup tout de suite, tambour battant. Ne vous arrêtez pas après avoir vidé l’armoire, continuez sur les bibelots, puis sur les papiers, et ainsi de suite. C’est pareil dans les bibliothèques, si vous vous contentez de réduire les déchets d’un secteur, vous finirez par reprendre tout le poids que vous avez gagné. L’effet yoyo existe ausi en matière de déchets, et c’est pas beau à voir.
Utiliser le cadre théorique des communs
Dans mon travail de prospective sur la transition écologique des communes, j’utilise le cadre des biens communs. C’est une approche conceptuelle qui permet de penser un service public comme une ressource partagée et gérée par une communauté d’usagers qui édictent des règles de partage , voire de sanction contre les mauvais comportements. Elle connaît un regain de popularité dans l’action publique depuis qu’Elinor Ostrom a reçu le prix Nobel d’Économie en 2008 pour son ouvrage sur la gouvernance des communs. En effet, jusqu’à sa sortie en 1990, la théorie économique dominante soulignait qu’une ressource partagée en commun par des personnes ayant un intérêt à l’exploiter finissait par son épuisement, à moins que la propriété privée ne vienne en réguler l’accès. Grâce aux travaux d’Ostrom, il apparaît clairement que les individus peuvent se mettre d’accord pour gérer en bonne intelligence une ressource sans l’épuiser ni renoncer à l’entretien nécessaire.
Ce concept des biens communs est particulièrement pertinent quand il s’agit de décrire le fonctionnement d’une commune. En effet, les équipements municipaux offrent une ressource d’intérêt général à tous les habitants de la commune – et même parfois au-delà – qui est géré indirectement à travers les élections municipales. Ce n’est pas un commun au sens strict du terme, puisqu’il n’est pas toujours possible d’exclure certains bénéficiaires non souhaités, et la gouvernance n’est pas directe, mais des approximations et rapprochements sont possibles.
Dans ce cadre, la bibliothèque est un commun centré sur la ressource documentaire – d’accès libre mais dont les oeuvres ne peuvent être utilisées que par un nombre limité de personnes – et partagé par une communauté d’usagers, d’agents et d’élus. Ce sont ces derniers qui ont le véritable pouvoir d’édicter les règles, mais les usagers habitant la communes peuvent choisir les élus. Un élargissement de cette gouvernance pourrait être un atout précieux pour mieux déployer cet objectif de réduire les déchets dans les bibliothèques, ou plus largement d’intégrer des objectifs environnementaux. Car la dimension des déchets nous redirige vers la version négative des communs, celle où ils peuvent être considérés comme un fardeau. En effet, à travers des médias abîmés par les prêts et soumis à l’obsolescence de leur contenu, les bibliothèques sont aussi des infrastructures fragiles.Il n’y a pas loin d’ici à ce que l’usage en fasse des résidus, faute d’un renouvellement des fonds et d’une politique d’animation pertinente. L’aspect patrimonial a aussi son intérêt si le bâtiment a été mal conçu ou n’est pas adapté au réchauffement climatique, de sorte qu’il deviendra un déchet lorsqu’il sera inutilisable.
Associer les usagers – et les agents – à cette réflexion permet de préserver la ressource en se demandant comment agir efficacement. Évidemment, le contexte municipal joue beaucoup dans cette réflexion, car s’il faut affecter un budget supplémentaire, cela devra se faire au détriment d’une autre action municipale, ce que les habitants ne comprennent pas toujours, faute d’être formé aux finances publiques. Pourtant, un comité des usagers pourrait être une méthode pour élargir les perspectives, varier les approches et choisir des objectifs satisfaisants pour tous.
Pour aller plus loin sur le concept de communs appliqués aux bibliothèques, je vous renvoie vers l’excellent Blog de Lionel Maurel, conservateur des bibliothèques, qui étudie ces aspects depuis plus de dix ans.
Aller plus loin sur l’action environnementale dans les équipements publics
Télécharger “Mon école en transition écologique” Mon-ecole-en-Transition-ecologique.pdf – Téléchargé 11214 fois – 4,67 MoAgir sur le volume de déchets
Les 5 enjeux de la réduction des déchets des bibliothèques
Mieux connaitre ses consommations et leurs impacts
Vous ne pouvez agir qu’en connaissance de cause de la nature réelle des déchets potentiels. Pour réduire les déchets des bibliothèques, je recommande ainsi de s’intéresser aux analyses de cycle de vie des produits, qui est un outil d’évaluation globale et multicritère des impacts environnementaux des produits. Ces analyses étudieront aussi bien l’empreinte carbone que la consommation d’eau ou de terre, mais aussi les produits toxiques nécessaires. Le champ de l’analyse s’étend depuis la fabrication du produit (y compris l’extraction des matières premières) jusqu’à son traitement en tant que déchet ultime. Bien plus poussée que la simple analyse durant l’usage ou la fabrication, l’ACV permet une compréhension fine des consommations dans votre établissement.
Avec une ACV, vos choix sont éclairés. Vous savez quelles conséquences ont les différents choix qui s’offrent à vous, et de quelle manière ils seront traités en tant que déchets. Les déchets cachés sont explicités, et vous savez aussi comment agir là-dessus. C’est un outil précieux pour améliorer la commande publique, mais aussi pour communiquer auprès du public.
Cette meilleure connaissance est un atout pour promouvoir la réparation et le réemploi au sein de vos collectivités. Pour rappel, alors qu’un smartphone sert en moyenne 3 ans, doubler son espérance de vie avec un bon entretien permet d’économiser 100kg de Co2. Pour un téléviseur, doubler sa durée de vie permet d’espérer 600 kg de co2 en moins.
Le bureau d’étude Terres vivantes a ainsi réalisé l’ACV d’une feuille A4 selon qu’elle est recyclée ou issue d’une forêt gérée durablement selon les standards PEFC. Le papier recyclé gagne haut la main le duel. Seul problème, les livres sont plutôt imprimés avec du papier neuf, plus beau et plus résistant.
Connaître l’itinéraire d’un produit tout au long de son existence permet aussi de lutter contre les fausses bonnes idées. Par exemple, la distribution de tote bag à l’inscription, comme cela se fait dans les médiathèques de Strasbourg, est un contresens environnemental. Cela doit vous rappeler qu’il vaut mieux parfois renoncer plutôt que d’essayer de trouver des compromis environnementaux. Ce n’est pas parce qu’un papier est recyclé qu’il faut l’utiliser plus pour vos supports de communication.
Intégrer le bâtiment et le mobilier dans sa réflexion
L’infrastructure dans laquelle sont situées les bibliothèques ne peuvent pas être ignorées dans la perspective de réduire les déchets. Vous n’avez évidemment en tant que bibliothécaire que peu d’impact sur cet aspect-là, mais il me semble pertinent de l’évoquer ici. En effet, en fonction des choix architecturaux et techniques faits, un bâtiment pourra varier considérablement dans ses impacts environnementaux. Par exemple, il vaut mieux rénover que construire un nouveau bâtiment, ce choix pouvant avoir plusieurs ordres de grandeur de différence en terme de consommation de matériaux. Même un bâtiment inadapté au réchauffement climatique – comme ceux avec des grandes baies vitrées – peut être amélioré et rénové sans passer la destruction. Ce sera sans doute un peu plus coûteux, mais plus durable.
En la matière, votre meilleur allié au sein de l’administration ne sera pas le responsable environnement comme vous pourriez le croire. Ce sera plutôt le responsable des marchés publics, qui sera votre interlocuteur privilégié pour améliorer les appels d’offre, inclure des clauses plus exigeantes, rechercher des solutions techniques avec un impact moindre. La loi Anti-Gaspillage et Économie Circulaire du 10 février 2020 inclut ainsi des seuils minimaux d’achat de produits recyclés ou réutilisés dans la commande publique. Cela concerne aussi l’achat de livres.
Vous pouvez ainsi agir également sur le mobilier utilisé au sein des bibliothèques, les appareils électroniques, les différentes fournitures. Tout n’est pas encore couvert par cette loi, mais le terrain de jeu est déjà vaste. L’idéal est de choisir du durable plutôt que du facilement recyclable, car ‘économie circulaire ne nous sort pas du paradigme du jetable. Votre objectif doit plutôt porter sur la réduction et le réemploi, et non le tri. Ce levier d’action permet aussi d’améliorer la qualité de l’air intérieur en choisissant des équipements avec peu de solvants, des peintures naturelles, etc.
Gérer les biodéchets
La gestion des biodéchets est un enjeu important pour les collectivités, puisqu’elle deviendra obligatoire en collecte séparée des ordures ménagères résiduelles à partir de 2024. Cela va introduire des changements dans les collectes, et notamment un accroissement des coûts pour lesquels les collectivités ne se sont pas suffisamment préparées. En théorie, la gestion des biodéchets par des composteurs partagés permettrait de résoudre ce problème. Dans les faits, faute d’anticipation, c’est plus compliqué. Réduire les biodéchets des bibliothèques devient alors un enjeu intéressant, d’autant qu’il y a fort à faire.
Le biodéchet le plus facile à traiter, c’est celui qui va au compost sans traitement particulier. Dans une bibliothèque, cela ira des épluchures et restes de fruit aux mouchoirs et morceaux de papier, en passant par des épluchures de crayon et des filtres à café. Quant aux restes de repas, cela va dépendre de la qualité du composteur mis en place et de votre bon entretien. En effet, le pain a tendance à moisir tandis que les plats préparés, notamment ceux avec de la viande, peuvent attirer des rongeurs. Il vous faudra donc une grille et un composteur solide, mais aussi un retournement hebdomadaire avec une quantité suffisante de matière sèche. Et c’est parti sur des animations pour que les habitants reproduisent ça chez eux ou adoptent un lombricomposteurs pour ceux en appartement.
D’ailleurs, le second aspect est celui des déchets du jardin. Même si ce n’est pas toujours possible en pleine ville, je suis toujours un peu triste de voir des bibliothèques sans parc avoisinant, alors que c’est un fabuleux endroit pour lire, passer du bon temps, socialiser et éduquer les enfants. Mais si vous en avez un, avoir un composteur pour gérer sur place les déchets verts est une superbe opportunité de partage de la connaissance et de sensibilisation des usagers au zéro déchet. Vous pouvez ainsi montrer comment composter efficacement le gazon, les avantages du mulching dans la gestion zéro déchet du jardin, mais aussi avec l’usage de broyat pour protéger les sols, massifs et potagers et ainsi réduire les intrants.
Le dernier aspect est plus clivant, d’autant qu’il dépend aussi de l’aménagement du bâtiment : les toilettes sèches. Loin du cliché de la cabane en bois avec son seau malodorant, elles peuvent être une solution pratique et très hygiénique pour réduire les déchets des bibliothèques. Avec une cuve de lombricompostage et un matériel de qualité, aucune odeur ne remonte et les matières fécales sont traités sans manipulation par le personnel d’entretien. Vous réduisez même votre consommation d’eau et donc aussi le déchet que constitue les eaux usées. Et si en plus vous séparez l’urine, elle pourrait même servir comme engrais naturel pour les potagers ou un agriculteur local.
Intensifier les usages :
Et si les bibliothèques n’étaient pas seulement des bibliothèques, ce serait un bon moyen de réduire leurs déchets non ? Multiplier les usages et les rôles, c’est réaliser des économies d’échelles et varier les publics. Avec le manifeste de l’urbanisme circulaire de Sylvain Grisot, j’ai ainsi découvert ce Restaurant universitaire qui se transforme en espace de coworking en dehors des repas. Certes, les médiathèques ont souvent l’expérience de cette diversification, mais il reste encore tant à faire.
Le principal atout des bibliothèques, c’est leur habitude de mutualiser des objets pour les mettre à disposition de leurs usages, ce qui permet d’éviter de les acheter chacun de son côté et donc de réduire les déchets. Pourtant, il est possible de mutualiser bien plus que des livres ou des dvd. Ainsi, à l’instar de la bibliothèque universitaire de la Roche sur Yon, vous pourriez vous transformer en trucothèque !Le concept est aussi simple que génial, puisqu’il s’agit de prêter des objets du quotidien rarement utilisés. Par exemple, saviez vous qu’une perceuse fonctionne en moyenne moins de douze minutes ? Soit parce qu’elle est de mauvaise qualité, soit par manque d’utilité. Mais si vous prêtez une perceuse de bonne qualité quand on en a besoin, ça évitera des achats inutiles.
D’ailleurs quitte à avoir des outils, vous pourriez aussi créer un fablab (avec des matériaux de récupération)ou donner des cours de bricolage, faire un repair café pour intensifier la réparation des petits objets cassés. Avec les outils de cuisine, et si vous faisiez des ateliers de cuisine ? Vous avez déjà les livres de cuisine en plus. Et c’est parti pour l’atelier de transformation des restes alimentaires pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Avec les outils de jardinage, pensez à organiser une grainothèque pour encourager l’agriculture urbaine et mettre en avant votre fonds dédié ! Bref, les possibilités ne manquent pas.
Accompagner les usagers
Ces enjeux vous poussent à être exemplaires, mais aussi à montrer comment faire aux usager des bibliothèques pour les aider eux aussi à réduire leurs déchets. L’éducation est un objectif clé des bibliothèques, je pense ne rien vous apprendre. Prêter des livres n’est qu’un prétexte pour les attirer dans des bibliothèques où les habitants pourront apprendre à réduire leurs déchets. Informer sur l’ACV des produits du quotidien, expliquer les enjeux de l’empreinte carbone, les matériaux cachés dans la construction d’un bâtiment ou encore la gestion des biodéchets sont des outils commodes pour votre politique zéro déchet. Vous pourrez trouver des exemples d’animation sur le site de ressources dédiées de l’Ademe.
Multiplier les ateliers ne suffit pas, il faut aussi leur donner un cadre cohérent et les bibliothèques sont le meilleur endroit pour cela. Elles ont leur fonds documentaires – qui peut être adapté et enrichi de références sur les différentes facettes du zéro déchet. Le contexte culturel permet d’envisager des expositions, des défilé de mode durable, des festivités réalisées avec des matériaux de réemploi (comme pour le carnaval par exemple) ou des spectacles mettant en scène la réduction des déchets.
Ce cadre cohérent pourrait être complété par l’organisation de défis. C’est la nouvelle formule qui marche bien pour pousser les individus à l’action. En effet, nous avons besoin de pairs avec lesquels échanger pour se motiver, s’intégrer dans un groupe social auquel s’identifier et ainsi se construire une culture commune. Les défis permettent ainsi de mélanger habilement formation concrète, ateliers pratiques, mise en oeuvre chez soi et retour collectif d’expérience, voire un peu de compétition, pour atteindre des bons résultats dans ses pratiques individuelles. Et pour les aider à progresser dans le tri des déchets, parce qu’il reste inévitable sauf à tendre complètement vers le zéro déchet, l’éco-organisme Citeo propose une application bien faite, qui donne la bonne poubelle selon votre géolocalisation.
La nécessité de transformer son mode de vie, et pas seulement de réduire ses déchets, va s’apparenter à une transition éprouvante pour les individus. Cette prise de conscience pourrait bien survenir justement dans les bibliothèques, grâces aux ouvrages et animations proposées, et il serait alors intéressant que vous puissiez prendre en charge la suite du processus. La découverte de la fragilité de notre planète, du quasi-inéluctable effondrement de la biodiversité à moyen terme pourra être ressenti comme un deuil, et vous serez en bonne position pour aider à surmonter ce traumatisme pour enfin passer à l’action.
Il n’est pas possible de réduire à zéro les déchets des bibliothèques
Tout d’abord, il ne faut pas oublier que les déchets ne sont pas seulement matériels. Si vous chauffez trop votre bâtiment, ou au contraire le laissez trop chauffer, vous allez générer un excédent de température qu’il va falloir évacuer. C’est un déchet, qui peut contribuer à former un îlot de chaleur urbain dans le voisinage, donc avoir un effet négatif. Si vous laissez tourner vos ordinateurs toute la nuit, ou ne pensez pas à bien éteindre – sans laisser en veille – tous vos équipements électroniques, vous gaspillez de l’électricité et accélérez l’usure de ces équipements, générant des déchets là encore. In fine, toutes les activités conduisent à consommer de l’énergie, probablement fossiles, et donc à émettre du CO2, qui est lui aussi un déchet.
Ça peut sembler un peu tatillon, mais il faut plutôt en retenir que puisque tout est déchet, il n’est pas possible d’atteindre le zéro déchet. Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. Le plus important est d’atteindre une efficience entre les efforts déployés et le volume de déchets effectivement produits. Dans cette perspective, l’évaluation de la politique zéro déchet avec des objectifs et des indicateurs clairement définis en amont sera un atout. Par exemple, pour les toilettes sèches, calculez le volume d’eau effectivement économisée voire le volume d’urine pouvant être revalorisée, ce qui sera source d’économies, mais mesurez aussi la satisfaction, le ressenti des usagers face à cette solution inattendue dans un tel endroit, tout autant que les éventuelles perturbations que cela pourrait occasionner. Sans évaluation, il n’y a pas de politique environnementale efficace.
Car si le zéro déchet peut dans certains cas permettre de faire des économies, le temps des agents n’est pas non plus extensible. Et si réduire les déchets dans les bibliothèques se fait au détriment des autres tâches, personne n’est gagnant. Certes il est important de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais il faut garder en tête la mission de service public avant toute chose.
Vous pouvez aussi agir sur l’accessibilité en favorisant la venue avec un vélo ou un véhicule électrique. Installer des abris fermés et des bornes de recharge sont assez efficaces pour ça. Agir sur le personnel – et notamment sa mobilité – peut aussi être un bon levier d’action. Et grâce aux efforts d’animations et d’information mis en oeuvre dans vos bibliothèques pour parler de réduire les déchets, vous serez rôdé pour faire de même sur la consommation de viande, de textiles, l’usage de l’avion, la rénovation des logements, etc.
D’ailleurs, il me parait indispensable d’associer les usagers dans le processus. Il ne s’agit pas de se lancer des fleurs sur son exemplarité, mais d’engager des changements individuels tout en profitant des retours des usagers sur le fonctionnement de l’établissement, et quelles améliorations ils aimeraient y voir. Il pourrait être tentant de supprimer directement quelque chose qui se transforme rapidement en déchet, mais peut être qu’il couvrait un besoin que vous ne soupçonniez pas. Après tout, en tant que commun, la bibliothèque doit être aussi gérée par tous ceux qui se partagent la ressource documentaire.
Le rôle du numérique
Nombreux sont ceux qui pensent que le numérique pourrait permettre de réduire les déchets dans les bibliothèques. A ce stade de l’article, vous devez déjà avoir pris conscience des déchets cachés derrière le numérique et de ses externalités. Le numérique n’est pas la panacée tant vantée, mais n’est pas pour autant dénué d’avantage.
Pour en prendre conscience, je vous propose de comparer les empreintes carbones respectives d’un livre de poche et d’une liseuse. D’après Carbone 4, un roman standard aura une empreinte d’environ 1.3kg eq.CO2 (l’étude parlant de 7.5 kg ne s’applique pas à la France, son périmètre d’ACV ne correspond pas) quand une liseuse ou une tablette aura une empreinte oscillant entre 100 et 150 kg. Et ce sans considérer le coût de la recharge électrique des terminaux. D’un côté, vous avez un support figé qui pourra être prêté des dizaines de fois sans souci. De l’autre, vous aurez un terminal à la durée de vie limitée (environ 5 ans, 10 au mieux) pour lequel vous devez espérer qu’il serve au moins 20 fois par an pour être pertinent. Et encore, je ne vous ai pas parlé de la recyclabilité de ses composants.
Par ailleurs, en 2010, l’Ademe avait essayé de calculer s’il était plus intéressant d‘imprimer ou de lire sur écran. Le calcul est un peu daté, les terminaux sont plus efficients, mais les sites web sont aussi plus lourds. En tout cas, à l’époque, l’agence concluait qu’en-dessous de 2mn de lecture par page, il valait mieux rester en numérique. Mais cela suppose de lire d’une traite, de refermer l’ordinateur en cas de pause, etc. La plupart du temps donc, sauf pour des mails ou des textes courts, l’impression est la meilleure solution. Mais pour rendre cela acceptable,il faudra alors arrêter la tendance à la sacralisation de l’arbre. Ce n’est pas l’objet de cet article, mais retenons simplement que dans le cadre d’une gestion raisonnée des forêts, couper un arbre adulte n’a pas d’inconvénient majeur, d’autant plus que le papier se recycle plusieurs fois.
Pourtant, la question du numérique en bibliothèque peut se poser si vous prenez l’option de ne pas mettre à disposition des lecteurs de terminal, mais proposez plutôt un accès à des oeuvres numériques, voire en permettant l’emprunt simultané d’une même oeuvre par plusieurs lecteurs. Dans ce cas, et s’ils n’ont p&as acquis exprès une tablette pour lire, ce pourrait être pertinent. Le cas des périodiques peut aussi être évoqué, car ce sont des médias à obsolescence très rapide, et pour lesquels – notamment ceux accessibles via des plateformes comme pressreader notamment – le format papier n’est plus vraiment adapté.
Conclusion
Les analyses de cycle de vie nous enseignent une leçon précieuse. La distribution des produits et leur gestion en tant que déchets n’a guère d’impact environnemental. Il y en a un, mais il est insignifiant la plupart du temps. Réduire l’emballage plastique ou bien trier a moins d’importance que choisir un produit durable, utile et produit selon des méthodes respectant l’environnement. L’agriculture nous montre ainsi la différence entre une tomate produite en décembre dans une serre chauffée, parfois avec des pesticides, transportée en avion réfrigéré, et une tomate produite dans un potager en été. Même si cette tomate d’hiver était emballée, l’impact environnemental de sa production est tel qu’il écrase tout le reste. Cet exemple est volontairement caricatural. L’important est de réfléchir à la pertinence du produit.
A cet égard, je tiens aussi à vous mettre en garde contre un phénomène bien connu dans le milieu de l’énergie dans les démarches de réduction de la consommation : l’effet rebond. Concrètement, les efforts d’efficacité peuvent contribuer à amplifier un phénomène. Son découvreur, William Jevons, avait ainsi constaté que la consommation de charbon ne diminuait pas malgré l’amélioration des machines à vapeur, puisque le gain de productivité permettait en fait de produire plus pour le même prix. Il faudra donc rester vigilant et ne pas relâcher ses efforts pour réduire les déchets des bibliothèques.
L’économie circulaire n’est pas la panacée tant espérée. Votre priorité devra d’abord porter sur les déchets à économiser en apprenant à renoncer ou à réduire vos besoins. Le réemploi des matériaux (pour des animations, pour des dons, etc.) et la réparation sera votre seconde priorité. Enfin, le recyclage est la solution quand plus rien d’autre n’est possible. Il est néanmoins important de l’avoir en tête au moment du choix du produit. Une bonne politique zéro déchet permet d’influer positivement sur la transition alimentaire et énergétique locale, d’inspirer les habitants et de réaliser de substantielles économies. Ainsi, gardez en tête que la nature et l’entretien du bâtiment tient une grande place, souvent sous-estimée, dans ces efforts.
L’important n’est pas tant le résultat que le processus et l’intention affichée. Être exemplaire ne signifie pas être exhaustif mais essayer de faire de son mieux. Ainsi, si vous avez sérieusement réfléchi aux potentiels déchets pour déterminer leur place dans la règle des 5R, avez traqué les déchets inutiles et appris à trier correctement ceux qu’il est impossible de supprimer, vous avez déjà fait l’essentiel du travail ! Réjouissez vous, réduire les déchets dans les bibliothèques doit être une démarche épanouissante.
Très bon article, merci !