La Fabrique des Pandémies – Marie Monique Robin

Avec la Fabrique des pandémies, Marie Monique Robin sort de son format habituel. Confinement oblige, c’est le livre qui précède et inspire le documentaire. La réalisatrice enquête sur les causes de la pandémie de covid-19 et interroge pour cela une soixantaine de scientifiques du monde entier. Ceux-ci vont lui dépeindre les causes environnementales probables de la crise sanitaire actuelle, lui confiant que la plupart d’entre eux s’attendaient à ce qu’une telle crise survienne tôt ou tard. 

Dans cette quête d’explications, elle est accompagnée du parasitologue Serge Morand, qui lui a permis de rencontrer tous les scientifiques présentés dans cet ouvrage.  Avec la Fabrique des Pandémies, Marie Monique Robin ne nous dit pas comment réagir au covid19, mais s’attaque à ses causes fondamentales en évitant ainsi l’apparition du prochain virus.

L’échec de la préparation sanitaire 

Alors que dans les années 70, l’OMS se félicitait de réussir à éradiquer les maladies infectieuses, l’apparition du SIDA a montré qu’il n’en était rien. Ce qu’il convient d’appeler à partir de la conférence de Washington de 1989 les “virus émergents” permit de mettre en place, du moins aux Etats-Unis, une culture de l’anticipation du risque sanitaire. 

Cette préparation prit d’abord la forme de scénario de contagion spontanée plus ou moins létale, avant de prendre une dimension plus sécuritaire avec la montée en puissance du bioterrorisme dans les années 90.  Un programme fédéral de biodéfense fut ainsi mis en place, avec pour but de surveiller l’émergence de nouveaux virus, de former les scientifiques des pays avec le plus de risques à surveiller et prévenir leur émergence.

Mais le focus sur le bioterrorisme, alors que les virus lâchés volontairement ne firent jamais autant de morts que des épidémie comme Ebola par exemple, empêcha la véritable préparation aux risques sanitaires. L’administration Trump décida même la suppression de ce programme quelques semaines avant les premiers cas de Covid19

Ainsi, comme en France où les stocks stratégiques de matériel sanitaire avaient petit à petit été abandonnés, les politiques de biodéfense furent un échec complet dans le monde entier. 

L’écologie de la santé

Cette nouvelle discipline au croisement de la biologie et de la médecine apparait avec le constat de l’influence des activités humaines sur les virus émergents. Le virus Nipah, apparu en Malaisie en 1998 est caractéristique. Suite à des feux de forêts allumés pour déforester et planter des palmiers à huile, des chauve-souris sont chassées de leur habitat naturel et se réfugient dans une zone où se trouvent de vastes exploitations porcines. Elles ont déféqué et croqué des fruits qui sont tombés et ont été mangés par des porcs, contaminés par un virus jusque là inconnus. Les porcs étant génétiquement proches de l’Homme, le virus lui est ainsi transmis. 

Cet exemple souligne les conditions idéales pour l’apparition d’un virus émergent : une activité humaine perturbant le fonctionnement normal de la nature, la proximité avec des animaux proches de nous qui constituent un pont épidémiologique, et l’intégration dans une économie mondiale qui facilite la diffusion des virus. 

4 activités humaines peuvent ainsi être considérées comme facilitant la diffusion des virus émergents :

  • la déforestation, qui détruit des habitats naturels et en chasse les habitants, cassant des équilibres qui permettait de neutraliser les virus. Elle peut avoir pour cause le besoin en bois ou la mise en oeuvre de monocultures (soja, palmier, etc.)
  • la construction de route, qui permettent de s’enfoncer toujours plus profondément dans les espaces naturels et donc favorisent la diffusion des virus.
  • La domestication des animaux (de compagnie ou de bétail), qui de par leur proximité avec l’Homme constituent un pont épidémiologique idéal
  • L’élevage intensif, dans le cadre duquel les mauvaises conditions et le stress, couplés à des populations animales génétiquement semblables, conduisent à l’explosion de nouveaux pathogènes. 

L’effet dilution 

Un résultat paradoxal de ces activités est que les chercheurs observent un lien entre virus et biodiversité. Plus il y a de diversité, plus il y a de chances qu’un pathogène apparaisse. Pourtant, la diminution de cette biodiversité se traduit par l’émergence d’épidémies infectieuses.

Le problème vient de la diminution des espèces dites spécialistes, c’est à dire adaptée à un seul milieu, par des espèces généralistes, qui sont capables de s’adapter et de vivre dans plusieurs milieux. La perturbation d’un milieu permettant à des espèces spécialistes d’y habiter conduit à leur disparition au profit des généralistes.

Or les virus infectieux émergent justement à cause de la prolifération de ces espèces généralistes, qui sont des hôtes privilégiés ou compétents pour les parasites (tiques, puces) porteurs de ces virus. Alors que jusque-là la diversité des espèces, la cohabitation entre généralistes et spécialistes permettait de réduire le risque de transmission en diluant le risque parmi l’ensemble des porteurs potentiels. 

Le problème se pose d’ailleurs tant pour les animaux que les végétaux et explique les problèmes rencontrés par les exploitations en monoculture (y compris forestières). Non seulement les plants sont génétiquement très proches, mais il n’existe plus d’hôte alternatif, de sorte que ces exploitations sont ravagés très rapidement. Les pesticides permettent de compenser imparfaitement cette vulnérabilité. 

Cela permet à Marie Monique Robin de revenir à son sujet favori, celui des pesticides, en montrant qu’ils pouvaient stimuler la croissance d’algues au Sénégal qu’apprécient des escargots, dont les prédateurs sont éliminés par des pesticides. Or ces escargots sont les porteurs compétents d’un virus, la bilharziose, qui affecte 200 millions de personnes par an. L’agriculture intensive devient ainsi une fabrique des pandémies. 

Le corollaire est que certains scientifiques estiment qu’en supprimant la biodiversité, le risque est également supprimé.  C’est tentant de considérer que des espèces généralistes comme les rongeurs ou les chauve-souris, qui n’ont pas très bonne réputation parmi le grand public, puissent être supprimées, mais c’est sans considérer leur rôle primordial dans les écosystèmes auxquels appartiennent les espaces urbanisés. Ces hôtes compétents ne deviennent dangereux qu’en cas de diminution de la diversité des espèces, et peuvent eux-mêmes prévenir d’autres pathogènes en étant hôtes non compétents pour d’autres pathogènes. 

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L’effet dilution n’est pas considéré comme systématique. Il ne fonctionne pas dans tous les écosystèmes, mais une méta-étude relève qu’il est effectif dans 70% des 200 études répertoriées. 

Le rôle protecteur de la biodiversité 

La Biodiversité n’est pas utile seulement pour son effet de dilution, mais aussi pour son effet de désensibilisation. L’exposition précoce des enfants aux animaux, au pollen, aux plantes semble les protéger de nombreuses pathologies, à commencer évidemment par les allergies. Étant moi-même allergique à de nombreuses choses, je ne peux qu’être sensible à cette question. L’étude comparative de populations génétiquement semblables mais vivant d’une part en ville, d’autre part à la campagne, montre ainsi une prévalence de ces pathologies bien moindre chez les seconds. Cela concernerait aussi l’intolérance alimentaire, ou des maladies comme les ulcères digetsifs, la sclérose en plaque ou le TDAH. Des hypothèses audacieuses sur lesquelles je ne me prononce pas.

C’est notre microbiote intestinal qui serait responsable de cette différence. En effet, il se forme à la naissance, notamment avec le lait maternel, mais aussi tous les éléments extérieurs que notre corps absorbe. Dans un environnement riche comme l’est la campagne, il va absorber plus de microorganismes auxquels le corps va s’habituer, par une mithridatisation quotidienne. Pour autant, les prédispositions génétiques ne sont pas non plus à exclure.

Ainsi, dans un environnement moins hygiéniste, les individus sont plus résistants aux aléas environnementaux. Parmi les normes hygiénistes en cause, les scientifiques interrogés citent la pasteurisation, la purification de l’eau, la minéralisation des sols, la suppression de la végétation en ville sauf dans des parcs bien délimités, l’éloignement avec les animaux domestiques, le recours systématique aux antibiotiques, la diminution de la promiscuité, l’obsession de la propreté.

Mais ce n’est pas l’hygiène qui pose problème, plutôt son excès. Au-delà d’un certain seuil de microorganismes, l’effet protecteur diminuerait, et l’effet serait au contraire négatif. Trop de microbes dans l’eau et les diarrhées apparaissent par exemple. C’est donc un équilibre à trouver en ville entre la nature, l’hygiène et nos besoins individuels.

D’ailleurs, l’un des passages les plus surprenants de la Fabrique des pandémies est celui sur les vers intestinaux. Ceux-ci posséderaient en effet des vertus protectrices méconnues. Certains chercheurs postulent ainsi que la moindre prévalence de la covid-19 en Afrique ne résulte pas de problèmes de détection, mais bien de l’effet protecteur des vers intestinaux. Ceux-ci, en créant des réactions inflammatoires chez l’individu porteur, donneraient à l’organisme plus de vigueur pour se défendre contre l’effet inflammatoire de la covid-19. 

L’intention n’est pas de soutenir l’infection par les vers intestinaux, qui posent aussi des problèmes sanitaires comme le paludisme, la malnutrition, la déficience en fers et minéraux, voire l’anémie. Il s’agit plutôt de souligner que traiter ces problèmes coûte moins cher que traiter les autres pathologies résultant de leur absence, qui sont elles plus invalidantes.

Vers une santé unique : environnementale et humaine

A travers les différents chercheurs rencontrés dans la Fabrique des Pandémies, nous nous acheminons vers le constat que la santé de la nature  affecte la santé de l’Humain.  C’est un renversement de pensée, puisque les biologistes, les vétérinaires et les médecins sont formés dans 3 filières différentes sans rapprochement possible. 

Concrètement, cela pourrait signifier qu’au moment de lancer de grands travaux d’infrastructures, il ne faut pas se contenter d’une étude environnementale. Il faudrait également évaluer l’impact sanitaire des travaux prévus, en fonction de ce qui a été vu précédemment notamment; 

Cette nouvelle discipline se révèle d’autant plus pertinente que le réchauffement climatique affecte aussi la transmission des maladies infectieuses. Par exemple, il permet à des insectes d’élargir leur zone de circulation, comme le moustique tigre par exemple, et donc de contaminer de nouveaux territoires. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le paradigme de Stockholm ou hypothèse de l’oscillation. Les agents pathogènes spécialistes peuvent devenir généralistes à l’occasion de perturbations environnementales comme celle que nous vivons aujourd’hui.

Et ce d’autant plus que la chaleur ambiante affecte la capacité de transmission elle-même. Plus il fait chaud, plus le virus se répand vite dans le corps d’un moustique et donc est susceptible d’être transmis durant sa brève durée de vie. D’autres virus, stockés dans le pergélisol durant des décennies, voire des siècles, se réveillent quand la chaleur augmente et vient faire fondre le sol. 

Cela aboutit au concept de Santé Planétaire, pour lequel il ne faut pas seulement considérer les liens entre santé animale et humaine, mais aussi l’aménagement des villes, le réchauffement climatique, l’agriculture, etc. Nos actions, la manière dont nous traitons la nature a donc un impact non seulement sur notre propre santé, mais potentiellement sur celle d’individus et d’animaux vivant à des milliers de kilomètres de nous. Plus que jamais, la Terre est un bien commun dont il est urgent d’apprendre la manière d’exploiter ses ressources sans l’endommager.

Repenser le rôle de la biodiversité 

La biodiversité ne doit plus être pensée comme une accumulation mathématique d’espèces animales et végétales. C’est un système à l’équilibre précaire, où des espèces peuvent avoir des rôles semblables, tout en permettant à d’autres au fonctionnement différent d’y cohabiter. Cela permet la stabilité du système quand une espèce disparaît ou au contraire quand un aléa extérieur nécessite qu’une espèce spécialiste compense. 

Cet équilibre est tellement précaire que les perturbations peuvent être invisibles, et souvent non comprises. Bétonner une zone humide abritant des moustiques pourrait sembler être une bonne idée, mais cela prive des populations animales de nourriture tout en supprimant la fonction de régulation des cycles de l’eau – et donc des inondations – de cette zone. 

Ainsi, en nous intéressant à la santé des écosystèmes, nous pourrions être capables de déterminer la santé des populations locales, tant physique que mentale, puisque la présence de biodiversité influe positivement sur le bien-être des individus, tout en rendant des services de protection contre les pathogènes, de fourniture de ressources, etc.  Certaines études montrent ainsi des corrélations entre la bonne santé humaine et le bon état de la biodiversité locale. 

Des liens évidents avec la transition écologique des communes

La Fabrique des Pandémies nous montre quelques pistes d’amélioration de la manière dont nous aménageons nos territoires, et qui pourraient se révéler indispensables pour concevoir la transition écologique des communes.

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Le premier point, c’est l’importance des espaces naturels en ville. Qu’il s’agisse d’un véritable espace naturel préservé lors de l’urbanisation ou d’un parc, une forêt urbaine, nous avons absolument besoin d’avoir de tels espaces dans toute la ville. Pour l’exposition précoce aux pathogènes, pour le bien être, pour la régulation des températures, les raisons d’avoir des arbres et de la végétation à proximité des lieux de vie ne manquent pas.

D’ailleurs le point sur la nécessaire exposition des enfants à la végétation pour faire diminuer le risque d’allergie souligne la nécessité de transformer la manière dont nous aménageons les cours d’école pour les rendre beaucoup plus végétales, à l’instar de la stratégie des cours oasis de la Mairie de Paris.

Le second point, c’est la nécessité d’avoir non seulement une vraie préparation, mais surtout une préparation adaptée aux vrais enjeux. En se préparant à un risque terroriste surestimé plutôt qu’aux virus émergents, les pouvoirs publics ont laissé la porte ouverte aux épidémies récentes. En matière de ville résiliente et décarbonée, il ne faudra pas non plus se tromper d’aléa à combattre, d’autant que les risques sécuritaires sont bien souvent surcompensés par rapport à leur réalité. 

Le troisième point, c’est l’intégration d’une dimension sanitaire aux politiques municipales. Bien que la santé ne soit pas une véritable compétence du bloc communal (nous y reviendrons dans un article dédié), cela pourrait le devenir en y intégrant justement cette dimension environnementale. Puisque l’état des populations animales et végétales affecte la santé humaine, les communes sont légitimes à reprendre la main sur la santé à travers l’aménagement de leur territoire.

Cela se répercutera aussi sur de nombreux aspects des activités locales. Il faut ainsi repenser la transition agricole à l’aune du besoin de diversité des semences, de la cohabitation avec des petits animaux, avec des espaces forestiers. Et ce d’autant plus que les territoires où sont installés de grands élevages industriels sont potentiellement plus menacés, surtout si la biodiversité ambiante est fragile. La gestion de l’eau, aussi bien par les zones humides, par les sols ou par les systèmes d’assainissement, doivent eux aussi intégrer cette dimension. 

Enfin la Fabrique des Pandémies permet de rappeler l’importance d’aborder la transition par l’angle des inégalités et de la participation de tous à la gestion des espaces. Pour que cette nouvelle vision de la biodiversité soit effective, il faut que chacun puisse y être concrètement associé, ait intérêt à sa préservation, un intérêt qui dépendra aussi de l’urgence vitale dans laquelle il se trouve. L’éducation et la prise de conscience ne font pas tout, il faut aussi avoir les moyens de ne pas détruire son environnement. 

Conclusion

La Fabrique des Pandémies m’a beaucoup plu .À travers son analyse du fonctionnement de l’économie de marché via la prédation environnementale, Marie Monique Robin plaide pour une véritable politique de préservation de la biodiversité. Non pas pour sauver des espèces en extinction dont tout le monde se fout tant qu’elles ne sont pas mignonnes, mais parce que nous en avons besoin pour être en bonne santé ! 

Car cette pandémie, nous l’avons fabriqué nous même en détruisant l’environnement. Notre confort de vie repose sur une prédation environnementale qui permet à des pathogènes d’émerger d’écosystèmes dans lesquels ils étaient neutralisés.

C’est une approche cynique, et la Fabrique des Pandémies ne le dit pas aussi crûment, mais c’est pourtant l’enjeu de cet ouvrage. La santé environnementale est un volet indispensable de la santé humaine, que nous avons trop longtemps négligé au profit de la santé financière. Si nous voulons éviter la prochaine pandémie, il n’y a pas le choix, il faut préserver la Nature.

Découvrir la Fabrique des Pandémies sur le site de l’éditeur

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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