Le risque du solutionnisme contre la crise climatique

La progression de la prise de conscience de l’urgence climatique est une opportunité que saisissent les milieux technocratiques. Partiellement responsables de la crise, ils s’en servent pour se dédouaner et imposer de nouveau leur vision sociétale basé sur un solutionnisme technique permanent, décrédibilisant du même coup une transition menée démocratiquement.

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Il y a quelques jours, le célèbre MIT dévoilait un nouvel outil, le logiciel de simulation climatique EN-ROADS. Conçu comme un serious game à jouer en groupe, il propose de lutter contre le changement climatique en ajustant ce qui est défini comme étant les principales variables d’ajustement de la crise climatique. Tel facteur, associé à tel autre, se révélera ainsi plus efficace que d’autres combinaisons. C’est à nous de trouver les combinaisons qui ont été programmées par défaut pour sauver le monde.

Sans surprise, les bonnes combinaisons, les facteurs clés de réussite sont essentiellement techniques, ce qui est d’autant plus facile que la plupart des solutions non-techniques (ou plutôt relevant de la low-tech) ont tout simplement été oubliée dans l’opération. Après tout, pour qu’elle ne puisse pas être choisie par le public, il suffit de ne pas en parler, c’est beaucoup plus simple.

Ainsi, opter pour un mix énergétique à base de nucléaire, qui permet une forme électrification décarbonée (mais pas dépolluée) de l’industrie, des transports et des logements, sera la bonne solution. D’autant plus que pour soutenir la captation artificielle du CO2, il vous faudra beaucoup d’énergie. A l’inverse, les renouvelables et les solutions naturelles sont sous-évaluées.

Car d’autres scientifiques moins dévoyés par cette volonté de puissance scientifique évaluent les choses différemment. D’après le rapport drawdown, les 3 moyens les plus efficaces pour inverser la courbe du réchauffement sont

  • L’alimentation (moins de gaspillage, moins de viande, moins de produits hors saison ou exotiques)
  • L’affectation des terres (sylvopastoralisme, restauration des forêts tropicales et des tourbières, régénération des sols par limitation des intrants chimiques)
  • L’éducation (en général, mais sexuelle spécifiquement) et l’information sur les conséquences et causes de la crise climatique

Ce genre de solutions reposant sur la volonté politique n’est pas le genre d’alternatives pouvant plaire à des ingénieurs. Car ainsi que l’explique avec brio Evgeny Morozov dans son essai sur le solutionnisme numérique, les ingénieurs ont intérêt à ce que l’action concrète soit transférée du public vers le privé, où elle pourra être commercialisée, mais aussi dérégulée, réduites à des variables objectives mais paradoxalement incompréhensibles.

Dans cette optique d’innovation, le plus simple reste de conditionner l’individu à ce nouveau paradigme, et à lui faire croire qu’en appuyant sur quelques boutons, en recourant à quelques écogestes, il pourra faire sa part. Comme si le réchauffement climatique était un bug dans le logiciel de la société humaine.

Vivement la dictature écologique du solutionnisme

Et finalement, le message qui s’impose à partir de cette vision des choses, est qu’il faut dépasser la démocratie pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES. Par exemple, il y a quelques jours, dans un direct sur youtube, le physicien spécialiste du climat Jean Marc Jancovici expliquait indirectement, par allusions soigneusement choisies, que la démocratie n’était pas en mesure d’affronter cette crise contrairement à des régimes comme la Chine, capable de redéfinir la hiérarchie et l’importance des libertés.

Pourtant, la dictature, les techniciens n’en ont pas besoin. Quand il a fallu produire massivement de l’énergie, les centrales nucléaires se sont naturellement imposées sans débat ni prise en compte de l’avis des français. Les techniciens concevaient et décidaient la politique énergétique. La proximité entre l’industrie et les élites techniques ne sont un mystère pour personne en France, ce qui leur a permis de développer de superbes innovations devenues des impasses techniques et des échecs économiques. (Minitel, Concorde, et les différents logiciels boulets comme Louvois, Cassiopée, APB, Sirhen, ONP, etc)

On peut se demander ce que changerait un renforcement de régime, une plus grande puissance donnée à la répression des comportements déviants et à la mise en oeuvre des normes quand on constate que l’évidence technique qui sert de boussole aux autorités françaises les mène systématiquement dans le mur, projet après projet. Ainsi que le démontrait Jacques Ellul dans ses travaux, il est dans la nature même de la technique de penser les solutions en termes techniques, de chercher à s’imposer dans tous les domaines. Les techniciens et ingénieurs, mêmes confrontés au constat qu’ils ont contribué à la crise climatique, ne pourront pas abandonner leurs croyances et chercheront donc une solution technique à un problème d’origine technique, ajoutant une nouvelle couche de complexité là où il faudrait justement diminuer la complexité, rendre plus de marges de manoeuvres aux individus pour agir.

La crise climatique ne se résoudra pas par moins de liberté, mais bien par plus de concertation entre les citoyens de chaque pays. Oui, nous n’avons plus le temps d’attendre, et il faudrait avoir agi avant-hier, mais imposer des changements radicaux et perçus comme injuste ou arbitraires par une population qui n’y a pas consenti a rarement amené à une réussite. Dans la contrainte, sous un management autoritaire et avec des conditions de travail dégradées, les employés ont plus recours au sabotage et à la dissimulation qu’à la coopération entière et à l’acceptation.

Une transition écologique doit s’appuyer avant tout sur la volonté de ceux qui vont en subir les conséquences plutôt que sur les envies de contrôle de ceux qui y voient l’aboutissement de leurs fantasmes de solutionnisme technique. Au niveau local, les collectivités ne pourront faire l’économie d’assemblées citoyennes constituantes, de convention climat habilitées à déterminer les efforts à mettre en oeuvre, à surveiller l’application de ses décisions et à décider des mesures de rétorsion contre les récalcitrants.

La crise climatique nous oblige à un nouveau contrat social impliquant chaque individu, pas à de nouvelles innovations influençant le comportement par des nudges habilement dissimulés sous une apparence de gamification comme c’est désormais devenu la tendance quand on ne veut rien faire.

Le nivellement par le bas des solutions

Un point qui peut échapper à l’attention dans l’algorithme de simulation proposé par le MIT est l’absence de prise en compte du coût financier des différentes solutions proposées. Oui, on peut taxer ou défiscaliser les sources d’énergie, mais l’impact réel de nos décisions n’est pas connu. Pire, contrairement à ce qui se passe dans la réalité, la taxation des énergies fossiles ou fissiles n’entraîne pas de report sur les énergies renouvelables.

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De même, ce logiciel met sur le même plan des solutions légères, peu coûteuses en temps, en argent et en compétence avec des solutions très consommatrices de ces mêmes items, soit parce qu’elles demandent beaucoup d’énergie pour fonctionner, soit parce qu’elles n’ont pas encore été découvertes et nécessitent encore de la R&D, soit parce qu’elles nécessitent des installations coûteuses pour fonctionner, voire un mélange d’un peu tout ça.

Derrière ce parti-pris se cache le paradigme du technocapitalisme, cette alliance paradoxale et mortifère entre le savoir et l’argent. Les solutions techniques, les besoins en ingénieurs, ne posent jamais de problèmes financiers, puisqu’elles aboutiront à des solutions mercantiles, dûment commercialisés auprès des collectivités qui les auront auparavant financées, trop contentes de trouver un exutoire, aussi couteux soit-il, à cette crise qui remet en cause les fondement même de leur autorité. C’est ce qui permet aux opérateurs Telecom et aux ingénieurs en données d’affirmer que la 5G est l’outil parfait de la transition écologique.

Croire en la Technique comme solution à la crise climatique, c’est croire que l’argent et la croissance peuvent encore exister dans notre monde, que le business as usual n’est pas mort, car l’économie circulaire permettra de maintenir la société de consommation comme avant.

Ce genre d’interprétation n’en est qu’à ses débuts. Mais nous pouvons tabler avec certitude que le combat des organisations environnementales n’en est qu’à ses débuts, car il ne s’agit pas tant d’imposer une transition écologique, que d’imposer une transition écologiquement responsable. Le subterfuge technique ne fait que retarder l’échéance, pas le résoudre.

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Nicolas Falempin

Cadre de la fonction publique territoriale spécialisé en protection de l'environnement.  Mélange droit public, transition écologique et tasses de café pour créer un blog concret sur la transition des territoires.

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